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« Dragon Gate Inn » : après « L’Hirondelle d’or », King Hu continue de réinventer le wuxia

par Brigitte Duzan, 21 décembre 2011

 

Sorti en 1967, « Dragon Gate Inn » (《龙门客栈》) est aujourd’hui quelque peu éclipsé dans la mémoire cinématographique des jeunes générations par le « remake » qu’en fit Tsui Hark (徐克) en 1992 ; il y fait cependant directement référence en en reprenant le titre intégral : « New Dragon Gate Inn » (《新龙门客栈》).

 

King Hu (胡金铨) a pourtant réalisé là un chef d’œuvre qui revisitait un genre extrêmement populaire en Chine à la fin des années 1920, avant d’être interdit par le Guomingdang (1) ; le film est devenu l’œuvre de référence de tous les films de wuxia réalisés par la suite, y compris, indirectement, le  « Flying Swords of Dragon Gate » (《龙门飞甲》) du même Tsui Hark, sorti le 15 décembre 2011 sur les écrans chinois.

 

Un scénario devenu un classique du genre

 

Le scénario de King Hu est très proche de celui du remake de Tsui Hark, mais

 

Dragon Gate Inn

l’atmosphère en est totalement différente : plus sombre, sans digressions, sans fantaisies, drolatiques ou macabres.

 

L’affiche avec Shangguan Lingfeng

 

L’histoire se passe pendant une période de l’histoire chinoise où la dynastie impériale était affaiblie et le véritable pouvoir exercé par les eunuques ; le film commence ainsi :

中国,明朝,景泰八年,也就是公元1457年,那时候,太监专权,包揽朝政,并且控制了两个最大的特务组织,东厂和锦衣卫。

En Chine, dynastie des Ming, huitième année de l’ère jingtai, soit 1457 après Jésus-Christ ; les eunuques exercent un pouvoir absolu, les affaires de la cour impériale sont entre leurs mains, ils ont en particulier pris le contrôle des deux plus importants organismes des services secrets, la « fabrique de l’est » et la « garde de brocart ».

 

Le tout-puissant chef des eunuques, Cao Shaoqin (曹少钦), a réussi à évincer son principal opposant, le général Yu Qian (于谦) : accusé d’activités subversives, celui-ci a été exécuté avec la quasi-totalité de sa famille, seuls deux de

ses enfants ont été graciés par l’empereur, mais condamnés à l’exil dans le désert au nord du Xinjiang. De crainte qu’ils puissent un jour chercher vengeance, Cao Shaoqin envoie ses sbires les assassiner sur le chemin de l’exil, au lieu dit « de la passe du Dragon » (龙门).

 

Il y a là une auberge qui sert d’étape à toutes sortes de marchands et brigands. L’ancien bras droit du général Yu, Xiao Shaozi (萧少滋), y arrive pour ravir les enfants et les mener en lieu sûr, appelé par l’aubergiste, Wu Ning (吴宁), qui est aussi, en secret, un ancien lieutenant du général. Un frère et une sœur, Zhu Ji (朱骥) et Zhu Hui (朱辉), experts en arts martiaux et dignes rejetons d’un autre lieutenant de Yu, viennent leur prêter main forte. A eux quatre, ils vont venir à bout de Cao Shaoqin et de ses soldats.

 

Cette ligne narrative volontairement très simple n’est que le  

 

 

Han Yingjie

que le prétexte à un superbe exercice stylistique.

 

Une vision d’esthète 

 

King Hu était un esthète et un visionnaire. Son film précédent, « Come Drink With Me », ou « L’Hirondelle d’or » en français (大醉侠), n’avait pas eu l’heur de plaire aux Shaw Brothers qui préféraient les réalisateurs plus rapides pour tourner les films. Il claqua la porte et partit à Taiwan. On a comme l’impression qu’il s’est alors trouvé comme libéré des contraintes du studio de Hong Kong, en mesure de donner libre cours à ses idées et à son talent.

 

Action stylisée et tension dynamique

 

« Dragon Gate Inn » reflète la culture et la sensibilité d’un réalisateur qui avait une connaissance très profonde de l’histoire et de la civilisation chinoises. Se limitant à une ligne narrative relativement simple, sans fioritures ni digressions, King Hu a pu ainsi se livrer à une stylisation très poussée de

 

Xu Feng dans A Touch of Zen

quelques éléments fondamentaux qui viennent appuyer le récit et le replacer dans un contexte culturel faisant appel à l’histoire et à l’opéra. On a l’impression d’une sorte de pureté : pureté des dialogues, des expressions, des personnages.

 

Les enfants Yu sous escorte

 

Les costumes, les lieux, les décors ont fait l’objet de recherches, aboutissant à une reconstitution méticuleuse de l’esprit de l’époque. Mais King Hu était aussi un passionné d’opéra, et il a su faire vibrer son film au rythme de l’opéra traditionnel chinois et de ses percussions. Chaque scène de tension, de confrontation ou de combat est scandée par des claquettes. Mais, bien au-delà de la musique, c’est toute la gestuelle, toute l’action qui est stylisée comme à l’opéra.

 

King Hu avait emmené avec lui de Hong Kong le chorégraphe des scènes d’action de son film précédent, Han Yingjie (韩英杰), qui interprète d’ailleurs aussi un petit rôle dans « Dragon Gate Inn ». Conçus selon les instructions de King Hu, ses combats ont la grâce d’un ballet aérien. Ce n’est cependant pas le combat lui-même qui importait aux yeux du réalisateur, ni la rapidité ou la dextérité de l’action, mais la tension dramatique que l’on pouvait en faire ressortir, couplée à la beauté du geste et soutenue par les claquettes.

 

King Hu est en fait le maître de la tension dynamique : de même que ses combats ne commencent que lorsqu’ils sont naturellement amenés par la tension préalablement créée, toute la première moitié du film ne tend qu’à faire monter peu à peu la tension, comme dans un subtil jeu du chat et de la souris, pour la résoudre ensuite par touches successives. On peut en ce sens lire le film comme une construction fractale, la tension

 

Xu Feng en Zhu Hui

étant sensible et primordiale à tous les niveaux.

 

Une interprétation toute en finesse

 

Nous sommes loin ici des films de kungfu qui supplanteront bientôt les films de wuxia. L’interprétation demandait une formation au théâtre et à l’opéra, et pas seulement aux arts martiaux. Les acteurs ont été choisis en conséquence, ce sont des acteurs de Taiwan, et les trois principaux ont débuté leur carrière avec ce film.

 

Shi Jun en Xiao Shaozi

 

Outre Shi Jun (石隽) dans le rôle de Xiao Shaozi (萧少滋), les deux actrices ont été quasiment formées par King Hu pour le film. Pour le rôle de Zhu Hui (朱辉), King Hu avait d’abord pensé à celle qui venait d’interpréter le rôle de l’Hirondelle d’or dans son film précédent : Zheng Peipei (郑佩佩). Mais celle-ci n’était pas disponible, étant sous contrat avec le studio des Shaw Brothers. C’est donc une toute jeune actrice de dix sept ans encore inconnue qui la remplaça : Shanguan Lingfeng, ou Polly Shangkuan (上官灵凤). Elle fit ensuite toute sa carrière dans le même genre de rôle.

 

Celle que le film propulsa fut Xu Feng (徐枫), l’interprète du rôle de Yu Xin (于欣), la fille du général Yu. Elle avait seize ans. Elle jouera ensuite dans la plupart des films de King Hu

à Hong Kong, mais aussi dans beaucoup de films tournés à Taiwan. Elle a la légèreté et respire la pureté que voulait King Hu.

 

Genèse et symbolique

 

Les films dont l’histoire se situe dans un passé historique plus ou moins précis ont en général, en Chine, une signification symbolique latente, raison pour laquelle ils se multiplient en période de resserrement de la censure : ils permettent d’occulter certains messages. « Dragon Gate Inn » n’est pas une exception.

 

Double symbolique politique

 

L’intérêt de King Hu pour la dynastie des Ming remonte à un livre sur la politique Ming de l’historien Wu Han (吴晗) dont c’était un des sujets de recherche. Le livre présentait la période comme une époque d’ouverture et de développement des influences occidentales ; en même temps, il la décrivait aussi comme l’une des périodes les plus corrompues de l’histoire chinoise : la plupart des empereurs Ming étaient des personnalités faibles, drogués ou très jeunes à leur accession sur le trône, d’où leur incapacité à exercer le pouvoir, laissé entre les mains des eunuques de la cour qui avaient créé des services secrets redoutables ; ils pouvaient ainsi arrêter et exécuter arbitrairement tout opposant à leur pouvoir, y compris des ministres de la Cour.

 

Dans « Dragon Gate Inn », la symbolique est à mettre en parallèle avec le contexte de l’année de conception du film : 1966. Le film est ainsi significatif à deux égards : comme symbole des excès de la Révolution culturelle en Chine

 

Wu Han

continentale et des excès de la Terreur blanche à Taiwan, où King Hu venait d’arriver.

 

La destitution de Hai Rui

 

Il se trouve que Wu Han fut l’une des premières victimes de Mao au début de la Révolution culturelle. En juin 1959, il avait publié sous un pseudonyme une apologie déguisée de Peng Dehuai, qui venait d’être destitué pour avoir mis en garde Mao contre les excès du Grand Bond en avant ; le texte, sous forme de conte situé, justement, sous les Ming, avait été adapté en opéra intitulé « La destitution de Hai Rui » (海瑞罢官) qui avait connu un succès immédiat.

 

Au début de la Révolution culturelle, Wu Han fut arrêté par les Gardes rouges et persécuté (il mourra en 1969). King Hu aurait eu en pensant à lui l’idée de cette histoire d’un ministre intègre persécuté et finalement assassiné par l’entourage corrompu de l’empereur, les sinistres geôles de la « fabrique de l’est » des eunuques des Ming représentant une image de celles des Gardes rouges.

 

De la même manière, l’arbitraire du pouvoir des eunuques présenté dans le film peut se  lire comme une dénonciation des excès de la Terreur blanche imposée par le Guomindang lors de son arrivée à Taiwan pour pourchasser les communistes dans l’île et asseoir leur pouvoir.

 

Symbolique esthétique et morale

 

L’autre facteur dont King Hu a reconnu une influence sur la conception de son film vient du personnage de James Bond qui était devenu très populaire en 1965 (on en était au quatrième film, après Goldfinger). Il a expliqué qu’il trouvait très mauvais de faire un héros d’un agent secret, c’est pourquoi il avait conçu les agents des eunuques comme de vulgaires assassins.

 

Le personnage du ‘chevalier’ volant au secours des enfants, Xiao Shaozi, bien que partageant quelques traits avec Bond, est totalement différent : c’est un altruiste qui ne sert pas un gouvernement, mais une cause, un idéal. Il n’est pas parfait, et il est mortel. Surtout, il ne peut réussir seul : il a besoin de l’aide de ses pairs, sa réussite est le résultat d’un effort collectif, d’un travail d’équipe.

 

Symbolique nationale et sentimentale

 

Enfin, le film touchait une corde sensible chez tous les Chinois obligés par les caprices de l’histoire à vivre hors de Chine continentale : à Hong Kong, à Taiwan ou en Asie de Sud-Est, où, justement, « Dragon Gate Inn » a eu un immense succès.

 

King Hu lui-même avait été coincé à Hong Kong alors qu’il s’y trouvait en 1949 et n’avait jamais pu revenir « chez lui », d’où ses efforts répétés pour recréer, dans ses films, la culture chinoise, y évoquer l’ancienne civilisation de la Chine, comme pour tenter de reconstituer le lien brisé avec la mère patrie. Une grande partie du succès de « Dragon Gate Inn » à sa sortie vient de là.

 

Ang Lee, dont « Tigre et Dragon » (卧虎藏龙) est un hommage non déguisé à « Dragon Gate Inn » et à son réalisateur, a expliqué que, élevé à Taiwan, il avait eu ce sentiment de coupure avec sa culture, et qu’il avait retrouvé le sens de son identité en regardant les films de King Hu : un sentiment abstrait, comme un rêve… King Hu avait réussi à créer une Chine mythique.

 

Une Chine mythique et codifiée

 

Cette Chine mythique est créée, imaginée à partir de codes que l’on retrouve ensuite dans les autres films de King Hu, mais aussi dans les films de wuxia d’autres réalisateurs : le genre ne se conçoit plus dès lors sans le passage obligé par ces codes, eux aussi symboliques.

 

L’auberge

 

Au centre du film est le monde plus ou moins clos de l’auberge, aux confins du désert. S’y croisent et s’y combattent les éléments les plus divers de la société, c’est un microcosme qui regroupe et mêle toutes les strates sociales, un exemplaire de société traditionnelle en miniature. C’est aussi une image du jianghu (江湖), le « pays des fleuves et des lacs », sorte de maquis en retrait du monde  où œuvrent les redresseurs de tort, et dont le modèle vient du roman « Au bord de l’eau » (水浒传).

 

Une héroïne habillée en homme

 

Au centre du récit est une héroïne spécialiste d’arts martiaux, qui se confond, ou tente de se confondre, avec les hommes autour d’elle avec lesquels elle a des rapports vagues : ce sont des collègues avec lesquels agir pour sauver leurs congénères injustement condamnés.

 

Le modèle : Au bord de l’eau

 

Le sexe est absent de cette imagerie. Le modèle pourrait en être Hua Mulan, mais il faut le chercher surtout dans les travestis de l’opéra traditionnel dont tous les autres personnages sont également redevables avec leurs caractères nettement typés qui se lisent sur les visages, dans « Dragon Gate Inn »

 

Une quête spirituelle

 

Enfin, tous ces ‘chevaliers errants’ sont mus par une quête de liberté, et de liberté spirituelle. S’ils luttent contre un pouvoir tyrannique, ce pouvoir est celui des eunuques et de leurs agents secrets ; ils ont conservé leur loyauté à l’empereur.

 

King Hu a ainsi codifié un genre, mais il a réussi, malgré tout, à lui insuffler tant de poésie et de souffle que son film reste le modèle de référence auquel reviennent tous les réalisateurs de films de wuxia. Malgré les progrès de la technique qui permettent aujourd’hui de véritablement faire « voler » les combattants, on n’a jamais égalé la beauté de sa réalisation.

 

 

Bande annonce 1

 

 

Bande annonce 2

 

 

(1) Voir : Repères historiques.

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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