Née à Harbin, Dai Wei a fait des études de
journalisme à l'Université des communications de
Chine (中国传媒大学新闻系).
Après l’obtention de son diplôme, elle a continué
ses études dans le département de mise en scène de
l’Institut du cinéma de Pékin.
Elle a travaillé pendant dix ans à la télévision
centrale CCTV et filmé des vidéos musicales avant de
réaliser son premier long métrage, « Ganglamedo »
(《冈拉梅朵》),
tourné au Tibet central et sorti en 2008. Elle a
poursuivi avec le projet de deux autres films pour
former avec le précédent une « trilogie tibétaine »,
mais seul le premier des deux a été réalisé. Son
quatrième film, « Chanting
Willows » (《柳浪闻莺》),
sélectionné au festival de Shanghai en 2021, se
démarque de la thématique tibétaine pour aborder la
question du genre à partir de l’histoire de deux
interprètes d’une troupe d’opéra
Yue, interprètes féminines comme le veut la
tradition de cet opéra,
Dai Wei
2008 : Ganglamedo
Ganglamedo
Produit par China Film, sur un scénario de
Tashi Dawa (扎西达娃),
« Ganglamedo »
(《冈拉梅朵》)
tisse une histoire « romantique » entre une jeune
Tibétaine et un chanteur chinois, unis à soixante
ans de distance par le chant intitulé Ganglamedo.
Le film a été produit pour le 60ème
anniversaire de la fondation de la République
populaire, afin de contribuer à la diffusion de
messages d’harmonie entre ethnies sur le sol
chinois.
Ganglamedo, sous-titres chinois
2011 : Once Upon a Time in Tibet
Un an après « Ganglamedo », au lendemain des émeutes
de Lhasa, Dai Wei a enchaîné avec le tournage d’un
autre film au Tibet, avec une équipe de production
occidentale.
Le film a un titre de fable : « Once Upon a Time in
Tibet » (《西藏往事》).
C’est en effet une histoire d’amour entre une
Tibétaine et un pilote américain faisant partie de
ceux qui, pendant la guerre de résistance contre le
Japon, apportaient des approvisionnements en Chine
en survolant l’Himalaya. Le scénario est adapté, par
l’auteur lui-même, du roman de Tashi Dawa « Troubles
à Shambala » (《骚动的香巴拉》),
publié en 1993.
Au-delà de l’aspect un tantinet caricatural des
personnages et de l’intrigue, dû d’abord au
scénario, le film a au moins deux point positifs à
son actif. D’une part, il a offert son premier grand
rôle à l’actrice chinoise Song Jia (宋佳)
qui, dans le rôle ici d’une jeune Tibétaine, s’en
sort très bien.
Once Upon a Time in
Tibet
Et
d’autre part, il a de superbes images, signées du grand
directeur de la photo Mark
Lee Ping-bin (李屏賓).
Once Upon a Time in Tibet, trailer
Dai Wei a ensuite conçu le projet d’un troisième film – « Le
Royaume de Guge » (《古格王国》)
[1]
– qui semble n’avoir jamais pu être réalisé, mais qui
constitue, au moins virtuellement dans sa filmographie, le
troisième volet d’une trilogie dite « du Tibet », ou plus
exactement « trilogie des amours légendaires du Tibet » (“西藏传奇爱情三部曲”).
Si ces films sont intéressants, cependant, c’est surtout
parce qu’ils montrent le côté un peu artificial, cultivant
le pittoresque pour un public chinois, des films sur des
thèmes tibétains réalisés au Tibet par les cinéastes chinois
à un moment où
Pema Tseden
venait de commencer lui-même à filmer : le tournage de
« Once Upon a Time in Tibet » a commencé, en 2009, alors que
« The
Search » (《寻找智美更登》)
était couronné du Grand prix du jury au festival de Shanghai
[2]…
Dai Wei a ensuite abandonné la thématique tibétaine avec
« Once Again » (《二次初恋》)
sorti en 2017, puis pour le film suivant, sorti au festival
de Shanghai en 2021 : « The
Chanting Willows » (《柳浪闻莺》).
2017 : Once Again
Once Again
Tourné à Chongqing, « Once Again » (《二次初恋》)
joue avec un thème fantastique : alors qu’un couple
s’est séparé au bout de vingt ans de mariage, la
femme, Ye Lan (叶兰),
voit apparaître un jeune garçon, Lu Damin (路大民),
qui se dit être un neveu de son mari et devient
l’ami de son fils.
Mais Ye Lan se pose de plus en plus de questions car
Lu Damin ressemble trop à celui qu’il dit être son
oncle quand il était jeune…
Le film apparaît tout au plus comme une transition
dans la filmographie de Dai Wei.
2021 : The Chanting Willows
« The Chanting
Willows » (《柳浪闻莺》)
partait dès l’abord d’une idée bien plus
attrayante ; même si elle a été traitée maintes fois
– et le parallèle a été fait avec « Adieu
ma concubine » (《霸王别姬》)
sans qu’il soit besoin d’y revenir – elle l’a
rarement été d’un point de vue féminin comme ici.
Le film est adapté d’une novella (zhongpian
xiaoshuo) de l’écrivaine Wang Xufeng (王旭烽)
[3]
tirée d’un recueil de 2008 intitulé « Amours au bord
du lac de l’Ouest » (《爱情西湖》).
Le titre chinois (liulang wenying《柳浪闻莺》),
littéralement « le chant des loriots dans les
saules », est le nom d’un des dix sites célèbres du
lac de l’Ouest à Hangzhou. Le scénario, que la
réalisatrice a passé trois ans à peaufiner, relate
l’histoire d’un triangle amoureux original – deux
interprètes, féminines bien sûr, d’opéra Yueju et un
peintre spécialiste d’éventails – le tout sur fond
de déclin de cet opéra et des troupes qui
l’interprétaient dans les années
The Chanting Willows
1990.
Mais Dai Wei a changé la perspective de la nouvelle en se
plaçant du point de vue des deux femmes, et en accentuant le
contexte du déclin d’une troupe d’opéra se battant pour
survivre dans la Chine de l’ouverture au marché.
Le
film est aussi une réflexion sur le genre au travers de la
relation entre les deux femmes qui ont passé toute leur vie
et leur carrière ensemble, relation perturbée par
l’attirance de l’une pour le peintre d’éventails tandis que
l’autre perd peu à peu la vue. Le film débute par la
déclaration du peintre : « Une femme interprétant un opéra
Yue représente un troisième genre, entre masculin et
féminin. » Déclaration qui trouve un écho à la fin du film
comme dans une sorte de sentence parallèle : « Une jeune
femme interprétant un rôle masculin reflète une combinaison
de genres au-delà du simple binôme mâle-femelle ». Le film
est un hommage à l’opéra Yue dont il présente onze épisodes,
sur un total de vingt minutes de film.
Bande
annonce
Après
avoir été sélectionné en compétition au festival de Shanghai
en juillet 2021, « Chanting
Willows » est sorti en Chine début mars 2022. Dans
ses dix premiers jours d’exploitation, les recettes n’ont
couvert que la moitié du budget. Mais Dai Wei n’a pas
l’intention d’abandonner sa nouvelle approche du cinéma en
continuant son exploration de la psyché féminine.
Filmographie
2008
Ganglamedo
《冈拉梅朵》
2011
Once Upon a Time in Tibet
《西藏往事》
[Le royaume de Guge《古格王国》)]
2017
Once Again
《二次初恋》
2021
The Chanting Willows
《柳浪闻莺》
[1]
Il s’agit d’un royaume tibétain fondé
au 10e siècle par un arrière-petit-fils
du dernier empereur de la dynastie Yarlung,
Langdarma. Le royaume était situé dans le district
de Ngari, dans l’actuelle Région autonome du Tibet,
et connut son apogée au 17e siècle. Le
site fut redécouvert au début des années 1930 par
l’archéologue italien Giuseppe Tucci et réhabilité à
partir de 1969. La restauration des fresques a été
entreprise à partir de 2012.
[2]
Ganglamedo en particulier est à
replacer dans le cadre d’un nouvel essor, dans les
années 2000, des films dits « de minorités » (少数民族电影).
Voir la thèse de Vanessa
Frangville
sur le sujet.
[3]
Écrivaine née en 1955, spécialiste du
thé et auteur d’une trilogie de romans sur le sujet
(la « Trilogie des hommes du thé »《茶人三部曲》)
qui lui a valu le prix Mao Dun en l’an 2000.