L’opéra
huangmei ou huangmeixi, source de nombreuses
adaptations au cinéma
par Brigitte Duzan, 27 janvier 2016
L’opéra
huangmei,
appelé huángméixì
(黄梅戏)
ou huángméidiào (黄梅调),
est une forme régionale d’opéra chinois traditionnel devenue
une source féconde d’adaptations cinématographiques, en
particulier dans les années 1960 à Hong Kong, où le genre a
atteint son apogée avec le « Love Eterne » (《梁山伯与祝英台》)
de
Li Han-hsiang (李翰祥).
Des chants populaires du Hebei et de l’Anhui
Chants de la cueillette du coton
L’origine exacte de l’opéra reste incertaine, mais il est
généralement considéré qu’il est né il y a plus de trois
cents ans dans le district de Huangmei, à l’est du Hubei (湖北省黄梅县),
d’une tradition de
chants
entonnés par les femmes au moment de la récolte du thé, donc
appelés « chants de la cueillette du thé » (黄梅采茶歌).
Sous les règnes des empereurs Qing Qianlong et Daoguang (乾隆、道光),
à la
fin du 18ème siècle et au début du 19ème,
il y eut une migration de population du Hebei vers l’Anhui
en raison d’inondations et de famines. Les paysannes
apportèrent leurs chants avec elles, et le district d’Anqing,
au sud-ouest de l’Anhui (安徽省安庆县),
devint un nouveau centre de ce genre musical.
A Huangmei, les chants s’étaient développés en courtes
pièces musicales ; à Anqing, ils évoluèrent en drames
musicaux plus longs, mais restés simples dans leur forme,
sans la gestuelle élaborée de l’opéra traditionnel chinois
usuel, et avec des textes et des airs relativement faciles à
comprendre et à mémoriser. Au 19ème siècle,
l’opéra était répandu dans les trois provinces du Hubei, de
l’Anhui et du Jiangxi.
Développement au début du 20ème siècle
Les Annales de Susong,
1921
Pendant la période républicaine, à partir de 1911,
l’opéra a peu à peu perdu ses formes essentiellement
rurales pour à la fois se professionnaliser et se
développer en milieu urbain, avec des sujets plus
diversifiés.
C’est en 1920, dans un article paru dans « Les
annales du district de Susong » (《宿松县志》),
que le terme de huángméixì
(黄梅戏)
a été utilisé pour la première fois
[1].
On peut considérer que l’opéra était désormais bien
établi.
Des spectacles ont été donnés à Shanghai au début
des années 1930, mais c’étaient des divertissements
bon marché, considérés comme vulgaires, donnés dans
des quartiers pauvres ; taxés par les autorités de
« chants et danses très lascifs, offensant la morale
publique », ils ont souvent été interdits (被视为“伤风败俗”的“花鼓淫戏”).
Essor en Chine après 1949
L’opéra huangmei a reçu le soutien des
autorités après 1949, dans le cadre du développement
des opéras traditionnels. Une troupe provinciale
d’opéra huangmei a été créée dans l’Anhui. On
considère que l’année 1952 est une charnière pour
l’essor du huangmeixi car des représentations
ont été données à Shanghai avec les grands
interprètes de la troupe, dont Yan Fengying (严凤英)
et Wang Shaofang (王少舫).
Yan Fengying
Le mariage d’une fée,
1955
Les Shanghaïens ont découvert cet opéra, se sont
enthousiasmés pour la beauté de la musique, et en
particulier les milieux du théâtre et du cinéma.
Trois ans plus tard, en 1955, le grand acteur et
réalisateur
Shi Hui (石挥)
a réalisé « Le mariage d’une fée » (《天仙配》),
superbe conte musical sur un scénario de
Sang Hu (桑弧),
avec Yan Fengying
[2]
dans le rôle de la septième fille de l’empereur
Jaune, tombée amoureuse d’un mortel interprété par
Wang Shaofang.
L’opéra fut bien sûr victime de la Révolution
culturelle, mais une troupe fut reconstituée dès
1970.
Mais entre-temps, « Le mariage d’une fée » avait été
projeté à Hong Kong et y avait rencontré un grand
succès. La vogue de l’opéra huangmei s’y
répandit comme une traînée de poudre…
La vogue du huangmeixi à Hong Kong
Du Mariage d’une fée à Diau Charn
Si le huangmeixi a rencontré un tel succès à
Hong Kong, c’est qu’il y avait un public parmi la
foule des immigrants venus du Continent après 1949,
et en particulier du Guangdong où l’opéra s’était
répandu au moment de la révolte des Taiping ; mais
c’est surtout parce que
RunRun Shaw, qui,
avec son flair habituel, avait reconnu l’attrait de
la musique, en a fait des films somptueux, en
couleur et en « Shawscope », sans comparaison avec
les films cantonais de la concurrence. A son flair
personnel s’est ajouté le génie de
Li Han-hsiang.
Tout a commencé parce que celui-ci était allé au
cinéma voir « Le mariage d’une fée » et qu’il avait
constaté avec stupeur que les spectateurs chantaient
avec les acteurs. Il réalisa que le film était
devenu un film culte. Il persuada donc Runde Shaw,
qui était à la tête de ce qui était encore le studio
des Shaw and Sons, de produire un film similaire ;
ce fut « Diau
Charn »
(《貂蝉》),
réalisé par
Li Han-hsiang
en 1958, avec Lin Dai (林黛)
et Zhao Lei (赵雷)
dans les rôles principaux.
Diao Charn, 1958
La vogue du huangmeixi dans les années 1960
The Kingdom and the
Beauty, 1959
Quand
RunRun Shaw reprit
les rênes du studio, ensuite, il choisit de
continuer à produire des films huangmei parce
que ces opéras sont chantés dans une voix naturelle,
ce qui les rend mélodieux et accessibles. Le
mouvement était lancé.
Il commença en 1959 avec « The Kingdom and the
Beauty » (《江山美人》),
réalisé par
Li Han-hsiang,
avec à nouveau le couple Lin Dai/Zhao Lei.
The Kingdom and the Beauty (ss-titres chinois et anglais)
Le mouvement se poursuivit avec une série de films
semblables au début des années 1960, mais le coup de
génie fut l’idée de
Li Han-hsiang
de faire interpréter le rôle (masculin) de Liang
Shanbo à
Ivy Ling Po (凌波)
dans
« Love Eterne » (《梁山伯与祝英台》).
Il connaissait l’actrice parce qu’elle doublait les
films produits par la Shaw Brothers et l’idée lui
vint quand il la vit doubler le film réalisé en 1962
par
Yuen Chau-fung
(袁秋枫) :
« Dream of the Red Chamber » (《红楼梦》).
Ce film marquait une rupture avec l’habitude, dans
les huangmeixi précédents, de choisir des
Ren Jianhui dans le
rôle de Liang Shanbo
(opéra cantonais)
acteurs pour les rôles masculins. Le réalisateur fit jouer
le rôle de Jia Baoyu par l’actrice Ren Jie (任洁).
Ren Jie dans le rôle
de Jia Baoyu
dans Dream of the
Red Chamber, 1962
Ni le rôle
ni le film ne sont mémorables, en revanche ils ont
été les précurseurs de « Love Eterne » et du rôle de
Liang Shanbo interprété par
Ling Po
[3].
Le film eut succès sans précédent dans l’histoire du
cinéma de Hong Kong.
En même temps, c’est l’apogée et le modèle du genre.
La Shaw Brothers a continuéà produire des
huangmeixi
jusqu’en 1969, et toujours avec des rôles travestis,
devenus un trait caractéristique du genre. C’est
ainsi que Lin Dai a interprété le double rôle de la
mère et de son fils dans « The Lotus Lamp » (《宝莲灯》)
de Yueh Feng (岳枫),
sorti en 1965, tandis que
Cheng Pei-pei (郑佩佩)
interprétait le rôle du père.
Même
Li Lihua
a eu son rôle travesti : celui du lettré Yang Yuwei
dans « Lady Jade Locket » (《连琐》)
réalisé par
Yan Junen
1967 d’après un conte du Liaozhai.
Le dernier huangmeixi produit est “Three
Smiles” (《三笑》),
de Yueh Feng, en 1969. Mais à partir de 1967, c’est
la fièvre du wuxia qui prend la relève.
Développement ultérieur sur le Continent
Le huangmeixi a poursuivi son développement
dans la Chine de l’ouverture, en lien avec le
théâtre et l’opéra occidentaux.
Lors du Premier Festival Shakespeare de Chine, en
1986, la troupe Huangmei de l’Anhui a monté une
adaptation en huangmeixi
de la pièce de Shakespeare "Much Ado about Nothing".
Le premier ministre britannique de l’époque,
Margaret Thatcher, qui assistait à la
représentation, a envoyé
Li Lihua dans le rôle
de Yang Yuwei
dans Lady Jade
Locket, 1967
un message de félicitations au grand dramaturge Cao Yu qui
était alors président de l’Association des dramaturges
chinois.
En 1994 a été créé l’Institut du
huangmeixi
(黄梅戏剧院)….
L’opéra fait l’objet de recherches et d’études pour la
modernisation du répertoire.
[2]
Formidable actrice et chanteuse,
d’origine paysanne, qui fit beaucoup pour le
développement de l’opéra, mais se suicida au début
de la Révolution culturelle, en 1968, à l’âge de 38
ans.
[3]
Mais il y a aussi un précédent cantonais : l’actrice
Ren Jianhui dans le rôle de Liang Shanbo dans le
film cantonais de
Li Tie /ou
Lee Tit (李鐵)
« The
Tragic Story of Liang Shanbo and Zhu Yingtai »
(《梁祝恨史》)
en 1958.