D’une
famille originaire de Ningbo, dans le nord-est du
Zhejiang, Sang Hu est né en 1916 à Shanghai et y a
grandi. Passé de la banque au cinéma, il est un
réalisateur atypique dans le contexte de son époque.
De la
banque au cinéma : scénariste puis réalisateur
En 1930,
ayant perdu son père et sa mère, obligé de
travailler, il entre comme apprenti à la Bourse du
commerce de Shanghai. Trois ans plus tard, il
s’inscrit à l’université Hujiang (沪江大学),
pour suivre des cours de journalisme, tout en étant
employé dans une banque industrielle. Mais il
s’intéresse à l’art cinématographique qu’il étudie
pendant ses moments de loisir. C’est un des rares
réalisateurs de l’époque à ne pas venir du théâtre.
Sang Hu
Zhou Xinfang
En 1935, il
fait la connaissance de deux artistes qui vont avoir
une influence déterminante sur sa carrière : Zhou
Xinfang (周信芳)
et
Zhu Shilin (朱石麟).
Le premier, natif de Ningbo et mort pendant la
Révolution culturelle, était un représentant éminent
de l’école de Shanghai de l’opéra de Pékin (海派京剧),
spécialiste des rôles de lao sheng (老生)
et créateur d’un style particulier.
Quant à
Zhu Shilin, c’était l’un des réalisateurs les
plus influents de l’époque, le maître du cinéma
réaliste de l’après-guerre à Hong Kong, et un maître
qui eut pour élèves et disciples les grands
réalisateurs qui allaient marquer le cinéma chinois.
Issu d’une famille de hauts fonctionnaires du
Jiangsu, lui-même avait commencé, en 1919, comme
apprenti à la banque de Chine, à Hankou ; il devait
donc ressentir des affinités avec Sang Hu.
C’est avec leur
soutien et encouragements qu’il commence à écrire des
scénarios. Le premier est justement pour un film de Zhu
Shilin, sorti en 1941 : « L’esprit et la chair » (《灵与肉》).
Puis suivent en 1942 : « La nuit de noce » (《洞房花烛夜》),
tourné par Yang Gongliang (杨工良),
et « Rendez-vous au crépuscule » (《人约黄昏后》)
de Zhu Shilin (1).
Sang Hu
continue son travail de scénariste pendant toute la
guerre de résistance, puis, après la défaite du
Japon, il entre en 1946 comme scénariste et
réalisateur aux studios Wenhua qui viennent
d’être créés en août à Shanghai par Wu Xingzai (吴性栽),
un homme d’affaires qui avait déjà des parts dans
les studios Lianhua dans les années trente.
Quand Wu
Xingzai crée ces
studios Wenhua, c’est dans le but de réaliser des
films artistiques à petit budget traitant de
problèmes sociaux contemporains, éventuellement
adaptés d’œuvres littéraires, y compris
occidentales, les films pouvant être des comédies ou
des drames, mais sophistiqués. Les deux œuvres
caractéristiques, avant le chef d’œuvre de
Fei Mu
« Printemps dans une petite ville »
(《小城之春》), en 1948, sont deux films
de 1947 : d’une part « L’auberge de la
nuit » (《夜店》)
de
Zhu Shilin
Huang Zuolin (黄佐临),
adapté de l’œuvre de Maxime Gorki « Les bas-fonds », avec la
grande star Zhou Xuan (周璇)
dans le rôle principal, et d’autre part, dans le registre de
la comédie, « Vive ma femme ! » (《太太万岁》),
troisième film réalisé par Sang Hu.
De la Wenhua aux studios de Shanghai
Collaboration avec Zhang Ailing
Un amour sans fin
Le second film réalisé par Sang Hu, «Un amour sans
fin»
(《不了情》),
fut le fruit d’une collaboration avec Zhang
Ailing (张爱玲),
romancière alors très en vogue à Shanghai (2). Elle
transposa dans son scénario son univers de sombres
tragédies familiales et drames personnels dans
lesquelles la femme est toujours la victime d’un
univers dominé par la loi masculine.
Le film fut
tourné en quelques semaines, terminé le 22 mars
1947, sortit en avril à Shanghai et connut aussitôt
un immense succès populaire. Il fut couronné du
titre flatteur de « grand film correspondant aux
idéaux du public populaire de la production
cinématographique chinoise postérieure à la
victoire » (“胜利以后国产影片最适合观众理想之巨片”).
Le succès
remporté incita Sang Hu à poursuivre sa
collaboration avec Zhang Ailing. Cela donna l’année
suivante une comédie encore plus populaire : « Vive
ma femme ! » (《太太万岁》),
un film à mi chemin entre rires et larmes, qui
préfigure les films qui font encore aujourd’hui les
beaux jours du box office chinois.
Sang Hu
demanda ensuite à Zhang Ailing de lui écrire un
troisième scénario, sur la base cette fois de son
bestseller, « La cangue d’or » (《金锁记》),
grande saga familiale froide et grinçante. Le
tournage fut repoussé à cause de la maladie de
l’actrice principale,
Zhang Ruifang (张瑞芳),
et le
film, finalement, ne fut jamais réalisé. Ce fut la
fin de la collaboration entre Sang Hu et la
romancière ; on a beaucoup glosé sur les rapports
exacts qu’ils ont bien pu avoir et les raisons de
leur séparation. De toute façon,
Vive ma femme
Tristesse et joies de
l’âge mur
Zhang Ailing
partit ensuite à Hong Kong, puis aux Etats-Unis. Restent
deux films superbes, c’est déjà beaucoup (3).
En 1949,
Sang Hu tourne un film considéré comme l’un des
chefs d’œuvre de ce second âge d’or du cinéma
chinois (1946-1949) et qui est en même temps une
transition dans son œuvre : « Tristesse et joie de
l’âge mûr » (《哀乐中年》).
Un instituteur refuse de se remarier après la mort
de sa femme pour s’occuper de ses enfants, mais,
une fois à la retraite, il sombre dans la dépression
et ne trouve de consolation qu’auprès d’une jeune
institutrice de l’âge de ses enfants qu’il finit par
épouser en dépit des pressions sociales ; ils créent
une école, et ont un bébé…. Le rôle principal est
tenu par le grand acteur
Shi Hui (石挥).
Après 1949
C’est le
dernier filmtourné par Sang Hu à la Wenhua.
Après 1949, il entre aux Studios de Shanghai. Ses thèmes de prédilection, centrés sur les drames
familiaux et les problèmes
sentimentaux d’individus anonymes, ne sont plus à la mode.
L’heure est à la construction du socialisme et les artistes
doivent y apporter leur contribution.
Les temps changent. La
Wenhua passe sous contrôle étatique en 1952, bientôt est
lancée une campagne de « refonte des intellectuels », Shi
Hui est critiqué comme beaucoup d’autres…
Sang Hu,
réalisateur tout
en finesse, proche du monde littéraire, est un peu
décalé par rapport à la ligne directrice. Il
est pourtant à l’avant-garde des progrès techniques
et stylistiques, et réalise, à quelques années de
distance, trois films que l’on a appelés « les trois
premiers » (三个“第一”) :
premier film d’opéra en couleur de la Chine nouvelle
(新中国第一部彩色电影——戏曲片),
en 1954, premier film de fiction en couleur (第一部彩色故事片),
en 1956, et premier film de fiction sur grand écran
avec son stéréo
(第一部宽银幕立体声故事片),
en 1962.
le très original
film de 1962 « Les Aventures d’un magicien »
(《魔术师的奇遇》).
Quant au premier, il s’agit de « Liang
Shanbo et Zhu Yingtai » (《梁山伯与祝英台》),
opéra yue (越剧)
reprenant l’histoire millénaire des « amants papillons » qui
s’intègre bien et dans son œuvre et dans l’époque, et qu’il
s’agit d’étudier maintenant pour voir pourquoi.
Les aventures d’un
magicien
Sang Hu réalisa encore une dizaine de films, même
trois pendant la Révolution culturelle, dont « La
fille aux cheveux blancs » (《白毛女》), en 1972; pour ce ballet, qui faisait partie des « opéras modèles »,
Sang Hu était a priori un choix peu orthodoxe,
n’ayant pas les critères usuels pour ces œuvres ; ce
qui joua, ce fut, justement, son travail sur « La
romance de Liang Shanbo et Zhu Yingtai » et le
succès rencontré par le film, ainsi que divers
scénarios écrits pour des opéras Huangmei et de
Pékin.
Son dernier film date de 1990 : « Cao Cao et Yang Xiu » (《曹操与杨修》),
réflexion sur l’histoire des Trois Royaumes. Il est
aujourd’hui introuvable.
Sang Hu est
mort
en septembre 2004, à Shanghai.
Notes
(1) Le titre vient
d’un vers de Ouyang Xiu (欧阳修),
homme d’Etat, poète et historien du onzième siècle :
“月上柳梢头,人约黄昏后”
(rendez-vous au crépuscule, sous les saules baignés par la
lune)
Chanson
immortalisée par Teresa Teng (邓丽君) :
Chanson
immortalisée par Teresa Teng (邓丽君)
(2) Sur Zhang
Ailing, ou Eileen Chang (张爱玲), voir
: