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Portraits de
femmes dans le cinéma chinois : 19-30 novembre à la
Cinémathèque à Paris
par Brigitte Duzan, 18 novembre 2014
Un programme de vingt-deux films en une dizaine de
jours pour faire une sorte de catalogue de portraits
de femmes dans le cinéma chinois, des années 1930 à
nos jours, voilà ce que propose la Cinémathèque
française en cette fin de mois de novembre.
Vingt-deux portraits
On commence par les femmes sacrifiées, des années
1930 à l’avènement du régime communiste, et ce sont
surtout des prostituées, des actrices et des
chanteuses : la prostituée, brisée avec son fils par
une société hypocrite où ni l’un ni l’autre n’ont
leur |
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La Divine incarnée par
Ruan Lingyu |
Zhou Xuan dans Song of
a Songstress |
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place (« La Divine »
《神女》
de Wu Yonggang
吴永刚
1934), l’actrice, échappant à un mariage arrangé
pour se retrouver tout aussi marginalisée
socialement, dans une troupe qui semblait pourtant
offrir la liberté (« Sœurs de scène »
《舞台姐妹》de
Xie Jin
谢晋
1965) ; c’est peut-être un léger progrès par rapport
à la condition de la femme dans l’ancienne société (« Epouses
et concubines »
《大红灯笼高高挂》
de
Zhang Yimou
张艺谋
1991), mais les chanteuses continuent à voir leurs
vies ruinées, y compris à Hong Kong (« Song of a
Songstress »
《歌女之歌》
de Fang Peilin
方沛霖,
1948, avec Zhou Xuan
周璇).
Finalement, si les Sœurs de scène de Xie Jin
réussissent à avoir une place dans la société, c’est
grâce à l’avènement du régime communiste auquel
elles participent, et l’on rejoint là les héroïnes
passionnées prônées par le nouveau régime : les
pasionarias du « Détachement féminin rouge »
《红色娘子军》
de
Xie Jin
1960, les « Filles de Chine »
《中华女儿》
de |
Ling Zifeng (凌子风) 1949… Des femmes devenues tellement fortes qu’elles
tiennent tête aux autorités avec l’entêtement du
paysan qui défend ses droits et son honneur (« Qiu
Ju, une femme chinoise »《秋菊打官司》de
Zhang Yimou
1992).
Derrière chacune de ces femmes se cache une nüxia
qui sommeille, autre figure emblématique née de
l’imaginaire et nourrie de littérature : le
programme ne nous en offre pas, mais nous propose à
la place deux images féminines qui y renvoient :
Mulan, valeureuse guerrière dont la légende en est
dérivée (« Mulan s’enrôle dans l’armée »
《木兰从军》,
de
Bu Wanchang
卜万苍,
grand succès de l’année 1939, et pas pour rien) ; et
une adepte moderne des arts martiaux tellement
efficace qu’elle ne fait plus rêver, elle cherche
juste à survivre (« The
Grandmaster »
《一代宗师》,
Wong Kar-wai
王家卫,
2013).
Les femmes sont l’image de la société, mais on les
modèle |
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Chen Yunchang dans le
rôle
de la Mulan de Bu
Wancang |
Li Lili, la Reine du
sport |
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parfois
à l’image de ce que l’on voudrait qu’elle soit :
emblèmes de la vie saine dans la Chine de « la vie
nouvelle » (« La Reine du sport »
《体育皇后》
de
Sun Yu
孙瑜,
1934) ou sportives entraînées à fond pour battre les
records, à l’aube du Grand Bond en avant (« La
Basketteuse n°5 »
《女篮五号》de
Xie Jin,
1957)… Elles sont aussi les piliers de la famille,
comme mères, mais aussi comme servantes au grand
cœur, que l’on perd un temps de vue et vers
lesquelles on revient avec nostalgie en vieillissant
(« Une
vie simple »
《桃姐》,
Ann Hui
许鞍华
2012).
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Images de la société moderne aussi, elles subissent
l’ennui de l’isolement dans une société où
l’individu est terriblement seul (« Train
de nuit »
《夜车》,
de
Diao Yinan
刁亦男,
2007). Pire encore est le sort des enfants qui
grandissent dans des coins perdus, en montagne en
particulier, très souvent en l’absence des parents
partis travailler en ville (« Les trois sœurs » de
Wang Bing
王兵,
2012).
Et quelques figures emblématiques
On pourra regretter que ce programme se concentre
surtout sur des films déjà très connus et ne soit
pas l’occasion de découvertes ; on pourra se
demander aussi pourquoi on a choisi ce « Better
Life » sans intérêt pour rendre hommage à Maggie
Cheung, invitée pour présenter « Center Stage ».
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Deannie Yip dans A
Simple Life |
Xin Fengxia, la Rose
de Wouke |
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Tous ces films, cependant, sont indissociables de
l’actrice qui campe le rôle principal, et qui est
souvent aussi emblématique que le personnage qu’elle
incarne. Le programme a mis un accent particulier
sur
Ruan Lingyu,
mais les autres sont tout aussi importantes, et en
particulier pour les deux derniers films cités dont
le programme, sur le site de la Cinémathèque, ne
mentionne même pas les noms : pour le premier, Xin
Fengxia (新凤霞),
épouse tragique de
Wu Zuguang,
tellement chargée de symbole qu’à la mort de Wu
Zuguang, dans la foule venue à ses funérailles,
nombreux étaient ceux qui tenaient une rose jaune à
la main, la rose de Wouke, et, pour le second film,
Bai Guang (白光),
l’une des reines du mandopop, choisie pour incarner
une Tosca à la chinoise.
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Ces deux films ne prennent toute leur signification
qu’à travers leurs interprètes, mais les autres
aussi. Il y a là une image en miroir qu’il ne faut
pas négliger, l’actrice se nourrissant du personnage
qu’elle incarne, et finissant parfois par s’y fondre
et y perdre sa propre identité, telle
Xie Fang (谢芳)
à jamais assimilée au personnage de Lin Daojing (林道静),
dans
« Le
Chant de la jeunesse » (《青春之歌》)
de Cui Wei (崔嵬)
et Chen Hua’ai (陈怀皑)… |
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Bai Guang dans Yidai
Yaoji |
Xie Fang aujourd’hui,
éternelle Lin Daojing |
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Détails de la programmation et horaires des projections :
www.cinematheque.fr/fr/dans-salles/hommages-retrospectives/fiche-cycle/portraits-femmes-dans-cinema-chinois,597.html
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