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« The Road Home » : un tournant dans la filmographie de Zhang Yimou

par Brigitte Duzan, 31 mai 2013

 

Dixième film de Zhang Yimou (张艺谋), sorti en Chine en 1999 et couronné de l’Ours d’argent au festival de Berlin en 2000, « The Road Home » (《我的父亲母亲》)  est un film empreint de nostalgie, en hommage au père du réalisateur. C’est sans doute son film le plus personnel. Cependant, il marque en même temps le début d’un long et lent déclin du réalisateur dans sa création cinématographique, compensé par des réalisations de prestige sur d’autres scènes.

 

Genèse du film

 

Comme la plupart des films de Zhang Yimou, « The Road Home » est une adaptation d’une œuvre littéraire : une nouvelle d’un auteur peu connu, mais qui s’est trouvée avoir une signification particulière pour le réalisateur.

 

Une nouvelle de Bao Shi

 

 

The Road Home

En 1997, alors que Zhang Yimou était à Florence en train de travailler sur la mise en scène de l’opéra de Puccini « Turandot », programmé cette année-là dans le cadre du Mai musical, il reçut un coup de téléphone de chez lui : son père était décédé. Il conçut aussitôt le désir de réaliser un film qui soit un hommage à sa mémoire et chargea son chef de projet, l’écrivain et critique littéraire Wang Bin (王斌), de lui trouver une œuvre à adapter.

 

Bao Shi

 

Wang Bin revint au début de 1998 avec une nouvelle « moyenne » (中篇小说) qui venait de paraître dans le premier numéro de l’année de la revue littéraire « Ecrivains de Chine » (《中国作家》) : « Souvenirs » (《纪念》) de Bao Shi (鲍十). C’était une histoire d’amour entre un jeune instituteur et une petite paysanne du village où il avait été envoyé enseigner, dans les années 1950. Le récit avait beaucoup d’analogies avec l’histoire des propres parents de Zhang Yimou qui vit tout de suite l’utilisation qu’il pouvait faire du fil narratif.

 

Il demanda donc à l’auteur de venir le rencontrer à Pékin. Bao Shi habitait dans une petite ville à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Harbin, dans le Heilongjiang (1). Il n’était pas chez lui à ce moment-là, et ne rentra que la veille de la Fête du Printemps. C’est alors que Wang Bin réussit à le joindre et lui apprit que Zhang Yimou souhaitait qu’il rédige un scénario sur la base de sa nouvelle. Il partit

aussitôt, sans savoir qu’il s’engageait dans une longue histoire, typique de la méthode de travail de Zhang Yimou et du soin méticuleux apporté à la rédaction de ses scénarios (2).

 

Un scénario révisé six fois

 

Bao Shi rencontra Zhang Yimou dans une auberge et l’écouta lui raconter pendant plusieurs heures sa conception du film et les principes sur la base desquels il envisageait de procéder. Après quoi Bao Shi rentra chez lui, rédigea une première ébauche de scénario, la posta à l’équipe qui lui renvoya quelques suggestions de modifications – il révisa alors sa version initiale et l’expédia, croyant avoir rempli son contrat.

 

Or, en avril, alors que Zhang Yimou était en train de tourner « Pas un de moins » (《一个都不能少》) dans le Hebei,  Bao Shi reçut une invitation à se rendre sur les lieux pour discuter du scénario. Et là, il se retrouva avec Zhang Yimou et Wang Bin, à travailler de neuf heures du matin à neuf heures du soir pendant plusieurs jours.

 

C’est à ce moment-là que Zhang Yimou choisit le titre chinois du film, qui signifie « Mon père ma mère » (《我的父亲母亲》) et correspondait à l’idée qu’il avait en tête, et que Bao Shi était prié de transcrire dans le scénario : une histoire d’amour, certes, entre « le père et la mère », raconté par un narrateur à la première personne, mais surtout une histoire simple reflétant une sorte de pureté originelle, reflétant symboliquement les grandes valeurs de la vie rurale. Ces principes de base étant posés, le reste du scénario fut discuté plan par plan, pour aboutir in fine à une troisième

 

Wang Bin

version dont Zhang Yimou se déclara très satisfait.

 

Mais, conformément à sa méthode de travail, il fit ensuite circuler une copie du manuscrit au sein de son équipe, pour que chacun donne son avis et ses suggestions. Bao Shi fut alors appelé à Zhangjiakou où avait lieu la fin du tournage de « Pas un de moins », pour noter les modifications à apporter au scénario sur cette base. Il rédigea donc une quatrième version.

 

En août, alors que Zhang Yimou était pris par les répétitions de la mise en scène de « Turandot » à la Cité interdite, d’autant plus difficiles qu’elles étaient perturbées par la pluie, il eut quand même une nouvelle réunion de travail avec Bao Shi, dans une maison de thé, jusqu’à trois heures du matin. Finalement, au bout de cette cinquième révision, le scénario ainsi élaboré conservait la trame narrative de la nouvelle, mais la construction et l’atmosphère étaient celles voulues et imaginées par Zhang Yimou qui procéda encore à quelques modifications pendant le tournage.

 

Celui-ci commença le 12 septembre, dans le district autonome de Fengning, dans le nord du Hebei (河北省丰宁县), non loin de Chengde, non loin aussi du lieu de tournage de « Pas un de moins ».

 

Construction en trois parties

 

Zhang Ziyi dans le rôle de Zhao Di jeune

 

Le film suit la trame narrative de la nouvelle, en conservant la simplicité du style, mais en ajoutant une atmosphère d’intense émotion, née de l’évocation du passé. C’est une émotion à fleur de peau, qui tient autant à l’amour très pur qui en est le fil narratif principal, qu’à tout ce qui le sous-tend, et en particulier l’importance donnée à l’école, comme lieu du souvenir et élément clef de l’amour dépeint. C’est aussi l’émotion du réalisateur évoquant indirectement la mémoire de son père.

 

Les quarante et un chapitres de la nouvelle en sont devenus dix-huit dans le scénario (3), mais qui ont eux-mêmes été regroupés en trois grandes parties qui structurent le film : deux parties, introduction et conclusion, au présent et un flash back central introduisant les souvenirs du passé.

 

Retour au village

 

Le film se passe dans le petit village de Sanhetun (三合屯), au nord-est de la Chine, à la fin des années 1950. L’histoire est contée à la première personne par un narrateur, Luo Yusheng (), qui revient de la ville pour aider sa mère à organiser les funérailles de son père qui vient de mourir.

 

Alors qu’il voudrait faire ramener le cercueil de l’hôpital sur un tracteur, sa mère insiste pour qu’il soit, comme le veut la tradition, porté par des porteurs, à pied et en chantant tout le long du chemin. Elle insiste aussi pour tisser elle-même le tissu funéraire.

 

Alors qu’il range les affaires de son père, pendant que sa mère se met à tisses sur le vieux métier qu’elle a précieusement conservé et qui est le dernier du village, Yusheng tombe sur une vieille photo qui lui remémore le passé.

 

Flash back

 

Son père, Luo Changyu (骆长余), était un jeune instituteur envoyé dans le village en 1957 pour y enseigner dans une école toute neuve construite par les villageois. Centre d’attention et idole du village, il était passionné par sa mission, et enseignait avec un manuel qu’il avait lui-même rédigé.

 

Zhao Di (招娣) n’avait alors que seize ou dix-sept ans, elle était vive et jolie, et tomba follement amoureuse du bel instituteur venu de la ville. C’était un

 

Zhao Di et Luo Yusheng (Sun Honglei)

amour pur et ingénu, se traduisant par des petits gestes quotidiens pour se faire remarquer, ou des attentions délicates pour soigner l’instituteur: tissage d’un pan de tissu rouge pour décorer la poutre centrale de la classe et porter bonheur, détour pour croiser les enfants de l’école menés en promenade par leur maître ou pour aller chercher l’eau au puits le plus éloigné mais surplombant l’école, confection de petits plats mitonnés avec un soin jaloux. Et, à chaque rencontre furtive, des regards échangés….

 

Cette relation encore à peine esquissée est brutalement interrompue lorsque Changyu est rappelé à la ville : nous sommes au moment du mouvement anti-droitiers et l’instituteur est parmi les accusés, sans doute pour ses méthodes d’enseignement non orthodoxes dans la Chine maoïste.  

 

L’école comme idéal

 

Zhao Di le suit, désespérée, en courant sur le chemin qui l’éloigne d’elle pour lui apporter les raviolis qu’il devait venir manger ; elle tombe et casse le précieux bol qui lui était destiné… Le jour où il avait dit qu’il devait revenir, elle va l’attendre depuis l’aube dans une terrible tempête de neige, obstinément, au même endroit surplombant la route d’où elle l’avait vu partir. Elle en tombe malade… Tout le village est ému de cet amour contraire aux règles, dans un village où les mariages étaient encore arrangés. 

 

Il reviendra deux ans plus tard. Et ils ne se quitteront plus, jusqu’à ce que la mort les sépare.

 

Retour au présent

 

Le fils finit par comprendre ainsi l’importance des rituels funéraires auxquels tient tant sa mère. Il ne s’agit pas d’une tradition surannée, mais d’un dernier hommage rendu au défunt, une ultime célébration pour lui permettre de quitter ce monde comme il y avait vécu, entouré de l’amour de ses proches et du respect de ceux qu’il avait connus.

 

Symboles, valeurs et traditions

 

Le film est – comme toujours chez Zhang Yimou – construit sur une symbolique de couleurs très marquée, mais aussi sur un réseau de symboles sous-tendant un discours défendant les traditions ancestrales chinoises en en soulignant la signification profonde.

 

Alternance noir et blanc / couleur

 

Le film est d’abord construit sur le symbolisme du noir et blanc opposé à la couleur : les séquences introductive et conclusive sont en noir et blanc, le flash back central étant en couleurs.

 

Le présent est en effet grisâtre, bien que situé dans les années 1990, en plein boom économique. Boom économique, certes, mais accompagné de la fuite des jeunes à la ville, de la paupérisation des campagnes et de la perte des valeurs traditionnelles qui faisaient la richesse de la vie, autrefois.

 

Le passé est au contraire en couleurs : c’est la couleur du souvenir, souvenir brillant d’une période qui est celle de la jeunesse, où l’avenir semblait radieux, où tout semblait possible malgré les difficultés matérielles. Le retour au noir et blanc final signale la perte des illusions, les déceptions de la croissance et du progrès, accompagné de la perte des valeurs

 

Zhao Di et son bol

ancestrales. C’est le noir et blanc du cortège funéraire qui ramène le défunt chez lui, dans un village qui se meurt aussi.

 

Symboles du quotidien

 

« The Road Home » ne serait pas de Zhang Yimou s’il n’était par ailleurs construit sur des symboles liés aux thèmes développés dans le film. Ils sont triples.

 

Zhao Di en train de préparer les décorations pour la vieille école

 

Il y a ceux, d’abord, de l’amour humble et pur de Zhao Di, symbole de la fraîcheur de l’innocence juvénile, et au-delà, de la pureté des origines, origines rurales d’une culture traditionnelle fondée sur la campagne, sa vie communautaire et sa poésie. Dans ce registre, le symbole du bol cassé, et réparé, est le plus touchant.

 

La seconde symbolique a trait à l’amour du père, et au respect dû aux valeurs des générations passées. Ces symboles sont développés autour du rituel funéraire,

expliquant une signification qui va bien au-delà des seules superstitions auxquelles les a réduites le régime maoïste. Le défunt doit être accompagné et guidé vers sa dernière demeure par ceux qui l’ont aimé dans sa vie, et la route que prend le cortège est celle par laquelle il est parti un jour, et au bord de laquelle celle qui n’était pas encore son épouse a attendu longuement son retour, en scrutant obstinément le lointain…

 

Le troisième symbole est lié à l’éducation, autre valeur primordiale de la Chine traditionnelle. Ce symbole est celui du « chant » de la lecture à l’école, chant rythmé qui se répercutait hors de la classe et représentait pour l’illettrée qu’était Zhaodi un monde merveilleux personnifié par le jeune instituteur. En ce sens, « The Road Home » forme un diptyque avec le film précédent, “Pas un de moins”, tourné quelques mois plus tôt.

 

Symbolique toujours, donc, mais il s’agit ici

 

L’attente dans la neige

d’une symbolique limitée aux valeurs du quotidien, dégagée des grandes fresques historiques qui ont été la marque de la filmographie de Zhang Yimou jusqu’au milieu des années 1990, et qui étaient porteurs d’un discours et d’une critique sociopolitique.

 

Superbe photographie et excellente interprétation

 

L’une des plus éléments les plus réussis de « The Road Home » est la photographie, signée Hou Yong (侯咏). C’est un chef opérateur trop méconnu qui a fait ses classes à l’Institut du cinéma de Pékin avec Zhang Yimou et la promotion de 1982, et a ensuite été, à partir de 1984, le chef opérateur de Tian Zhuangzhuang dont il a toujours été très proche, donc un peu en dehors du courant principal autour de Chen Kaige et Zhang Yimou. Il va rester chef opérateur de ce dernier de « Pas un de moins » (《一个都不能少》) jusqu’à « Hero » (《英雄》), mais là en collaboration avec Christopher Doyle.

 

La procession des funérailles

 

Dans « The Road Home », il signe, comme à son habitude, une photographie pure et lumineuse, avec un sens inné de la nature et des paysages, développé au cours de ses études de peinture et beaux-arts. Il joue sur les rayons de soleil aussi bien que de la fumée dans la cuisine, et, dans la séquence finale, propose des images superposées de Zhao Di jeune et âgée qui illustrent parfaitement le message que transmet le film au même moment.

 

Quant aux acteurs, ils sont bien sûr dominés par le tandem Sun Honglei-Zhang Ziyi, celle-ci ayant été découverte par Zhang Yimou pour le film : elle n’avait que dix-huit ans, et respirait la fraîcheur du rôle. Mais c’est Ang Lee, en fait, qui propulsa ensuite sa carrière, avec son rôle dans « Tigre et Dragon » (卧虎藏龙) l’année suivante. 

 

Principaux personnages et leurs interprètes :

 

Zhang Ziyi 章子怡         la jeune Zhao Di 招娣

Zhao Yulian 赵玉莲       Zhao Di âgée (séquences initiale et finale)

Zheng Hao 郑昊           Luo Changyu 骆长余, le père de Luo Yusheng

Sun Honglei 孙红雷      Luo Yusheng (骆老师), le fils de Zhao Di et Luo Changyu

 

Conclusion

 

« The Road Home » frappe cependant par une banalisation du discours chez Zhang Yimou, liée à la dégénérescence de la force symbolique et au repli sur le présent et le quotidien – banalisation doublée d’une édulcoration de la réalité commencée avec le film précédent.

 

Après « Vivre ! », et la transition de « Shanghai Triad », peut-être sous l’emprise croissante de son ami et producteur Zhang Weiping,  Zhang Yimou délaisse le style des dix années précédentes, et se tourne en même temps vers le public chinois, et le box office qui lui est lié.

 

Cette banalisation se traduit nettement dans la musique, en rupture totale avec celle des débuts du réalisateur : celle du « Sorho rouge » ou de « Judou », et jusqu’à « Vivre ! », signée Zhao Jiping (赵季平). La musique de « The Road Home » est du même San Bao (三宝) qui a également composé celle de « Pas un de moins ». Avec son thème mélancolique à la flûte qui enfle dans les moments dramatiques, c’est une musique d’atmosphère qui dénature l’émotion.

 

« The Road Home » marque, dans la filmographie de Zhang Yimou, le début d’une nouvelle phase qui n’est qu’un long déclin. Il semble que, à partir de 1997, toute sa force créatrice soit orientée vers une autre expertise : les grandes mises en scène qui débutent avec celles de « Turandot » et vont trouver leur apogée dans la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques en 2008.

 

 

Notes

(1) Sur Bao Shi, voir http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Bao_Shi.htm

(2) Le détail de l’élaboration du scénario a été raconté par Bao Shi dans un long article intitulé « Zhang Yimou et moi – de ma nouvelle au film » (《张艺谋和我 - 从小说到电影》) que l’on peut lire en ligne :

http://www.tianyabook.com/xiandai/fuqinmuqin.htm

On peut aussi lire en ligne le texte de la nouvelle elle-même : http://csc.ziyi.org/filmography/theroadhome/wdfqmq.html

(3) Les 18 parties du scénario :

1 La charrette 马车

2 Première apparition 初见

3 Livraison du repas 送饭

4 Sur le chemin du puits 挑水

5 Premier émoi 心动

6 Rencontre 相遇

7 Repas 1 派饭1

8 Repas 2 派饭2

9 Départ 发卡

10 Le bol brisé 摔碗

11 Le temps passe 时光流逝

12 Hallucination 幻觉

13 Décoration 窗花

14 L’attente dans la neige 雪中等待

15 Larmes 流泪

16 Les funérailles 抬棺

17 Souvenir

18 Mon père et ma mère 我的父亲母亲

 

 

Le film

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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