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« Hero » : retour du wuxiapian en Chine continentale,

à la croisée de l’histoire et du discours politique

par Brigitte Duzan, 12 juin 2014

 

Réalisé par Zhang Yimou (张艺谋) et sorti en octobre 2002, « Hero » (《英雄》) a été un succès retentissant : c’était, à l’époque, le film le plus cher de l’histoire du cinéma chinois, mais ce fut aussi celui qui eut le plus grand succès financier : le film a rapporté 177 millions de dollars pour un budget global de 31 millions.

 

Avec les plus grandes stars du cinéma asiatique du moment, la somptueuse photographie de Christopher Doyle, des paysages et des costumes superbes, des jeux de couleurs typiques de Zhang Yimou, la chorégraphie spectaculairede Ching Hsiu-tung (程小东) et la musique de Tan Dun (谭盾), « Hero » est un spectacle fait pour éblouir.

 

Le public chinois a répondu avec un enthousiasme mêlé de ferveur. Il a fait de « Hero » le second grand succès populaire des écrans chinois après le rouleau compresseur du « Titanic » en 1998. Mais le film et son

 

Hero

réalisateur, qui en est également coproducteur, ont aussi été la cible de violentes critiques s’attaquant au message politique explicite que « Hero » véhicule sous couvert de pensée philosophique.

 

Inspiré de la Biographie de Jing Ke (荆轲), dernière des Biographies d’assassins (刺客列傳) des « Mémoires historiques » (史记) de Sima Qian (司马迁), le scénario en détourne en effet le sens profond : au lieu de dénoncer le danger du pouvoir totalitaire, il le justifie au nom de l’unité nationale, prétendument garante de paix. Vu avec le recul, le film annonçait un mouvement qui n’a fait que s’amplifier par la suite.

 

Jing Ke :figure emblématique de la lutte contre l’arbitraire impérial

 

Le scénario est inspiré de la tentative d’assassinat, en 227 avant JC, de Ying Zheng (嬴政), roi de Qin et futur Premier Empereur (Qin Shihuangdi 秦始皇帝), telle qu’elle est contée par Sima Qian au chapitre 86 de ses « Mémoires historiques » (1).

 

Le contexte

 

Les Royaumes combattants, évolution de 400 à 220 avant JC, avec dates de conquête par Qin
(The Cambridge Illustrated History of China,

Cambridge University Press, 1996, p. 40.)

 

L’histoire se passe à la fin de la période des Royaumes combattants, alors que, après une série de guerres et d’annexions qui en ont accru la puissance, le roi de Qin vient d’absorber les royaumes de Han (韩国) et de Zhao (), en 230 et 228 avant JC respectivement. Après l’annexion du royaume de Zhao, l’armée de Qin investit Handan (邯郸), la capitale, aux portes du royaume de Yan qui est donc dès lors directement menacé.

 

Pour tenter de montrer sa loyauté et éviter une confrontation fatidique, le roi Xi de Yan (燕喜王) a envoyé en otage à Qin son fils et héritier, le prince Dan (太子丹). Mais celui-ci, maltraité, réussit à s’enfuir, témoignant à son retour des violences exercées par le roi de Qin, de sa puissance et de sa brutalité ; son constat est clair : Yan est condamné, à moins de parvenir à éliminer Ying Zheng.

 

Préparation de la tentative d’assassinat

 

C’est dans ce contexte qu’est élaboré un plan machiavélique pour assassiner le roi de Qin en parvenant à l’approcher malgré ses précautions : même parvenu en sa présence, personne ne pouvait dépasser une distance de dix pas.

 

Le premier plan consistait à kidnapper le roi pour le forcer à restituer les territoires conquis, et, faute de coopération de sa part, à le tuer. Dans le contexte de l’époque, on pouvait s’attendre à une désorganisation de l’Etat, et un affaiblissement de la puissance militaire, ce qui aurait incité les autres royaumes à s’unir contre celui de Qin. Cette politique d’alliances avait été pratiquée dans le passé avec succès.

 

Mais kidnapper le roi n’aurait pas été facile. Un plan plus complexe fut donc élaboré, en tenant compte de la psychologie de Ying Zheng. Sa prochaine cible était, à Yan, la ville de Dukang (督亢) (dans l’actuel Hebei) car elle contrôlait une zone fertile. Le plan consistait donc à aller offrir au roi une carte de la ville, accompagnée de la tête d’un général qui s’était enfui de Qin et dont la tête était, justement, mise à prix : le général Fan Wuji (樊於期). Il restait à trouver un volontaire pour exécuter le plan, et obtenir la tête du général.

 

Le choix du prince Dan se porta sur Jing Ke (荆轲). Sima Qian le présente au début de sa biographie comme un lettré pratiquant les arts martiaux, c’est-à-dire alliant le wen () et le wu (), la culture des

 

Carte des sept Etats des Royaumes combattants

au milieu du 3ème siècle avant JC

lettres et celle des armes. Originaire du petit royaume de Wei (), il avait fui à Yan quand Wei avait été absorbé par Qin, et avait été introduit auprès du prince Dan par un ami. Jing Ke accepta l’hospitalité du prince et prit part à l’élaboration du plan d’assassinat. C’est lui qui alla voir le général Fan Wuji qui, conscient de la gravité de l’enjeu, accepta de se suicider pour que Jing Ke puisse apporter sa tête au roi.

 

Sur quoi, dit Sima Qian, tout le monde s’habilla de blanc pour aller accompagner Jing Ke jusqu’à la rivière Yi (易水), où il s’embarqua accompagné du jeune garçon qu’on lui avait choisi comme assistant, parce qu’il avait commis un meurtre à treize ans : Qin Wuyang (秦舞陽). Il emportait, caché dans le rouleau de la carte, une petite dague dont la lame était enduite de poison.

 

Jing Ke, ajoute l’historien, partit en chantant:

         风萧萧兮易水寒,壮士一去兮不复还

       Le vent siffle, ah, le fleuve gèle ; le héros part, ah, pour ne plus revenir.

 

Echec et mort de Jing Ke

 

Quand ils furent admis en présence du roi, Qin Wuyang, pris de frayeur, fut comme paralysé. Jing Ke dut expliquer qu’il était un paysan inculte ébloui à la vue du Fils du Ciel.

 

Peinture murale représentant la tentative d’assassinat du roi, avec

Jing Ke à droite, Qin Wuyang au milieu, et la dague fichée dans le pilier

 

Comme prévu, le roi fut favorablement impressionné par la tête de son général félon, et très intéressé par la carte de Dukang. Quand il la déroula, Jing Ke se précipita pour saisir la dague et attaquer le roi, mais celui-ci réussit à parer le premier coup et se dégagea, en déchirant sa manche. Il tenta ensuite de sortir son épée de son fourreau pour se défendre, mais il mit du temps à le faire car c’était une épée de cérémonie, très longue. Des

notables autour de lui, aucun n’était armé, c’était le règlement ; quant aux gardes, ils étaient postés à l’extérieur.

 

Le roi était face à Jing Ke qui le poursuivit autour d’un pilier. C’est alors que le médecin royal eut l’idée de frapper Jing Ke avec son sac médical, ce qui le freina un instant, le temps pour le roi de prendre de la distance. Aidé par les conseils qu’on lui criait, il réussit enfin à dégainer, et blessa Jing Ke à la cuisse. Dans une dernière tentative désespérée, celui-ci jeta sa dague en direction du roi, qui l’esquiva et l’arme alla se planter dans un pilier. Le roi frappa encore Jing Ke huit fois, le blessant mortellement. Les gardes l’achevèrent, ainsi que Qin Wuyang.

 

Le roi, dit Sima Qian, resta un long moment assis sur son trône, comme hébété, avant de parvenir à recouvrer ses esprits.Mais sa vengeance ne se fit pas attendre. En 226, l’armée du prince Dan fut définitivement vaincue et le royaume conquis. Dans une ultime tentative de conciliation, le roi Xi fit mettre son fils à mort. Il aurait été perdu de toute façon.

 

Un héros impuissant face à une volonté de puissance incontrôlable

 

Sima Qian décrit donc la tentative avortée de

 

Jing Ke tentant de poignarder Ying Zheng

mettre fin à l’inexorable progression de la puissance du roi de Qin. Sa tentative d’assassinat est un acte désespéré, une ultime tentative d’enrayer l’engrenage d’une machine de guerre terriblement efficace, mais aussi d’une cruauté effroyable, allant jusqu’à décimer les enfants des villes conquises et les enterrer vivants.

 

Ying Zheng blessant Jing Ke

 

C’est un pouvoir sanguinaire, un pouvoir arbitraire qui, une fois établi, et l’unité réalisée, établira un régime fondé sur le légalisme, tellement impopulaire qu’il s’effondrera au bout d’une douzaine d’années, après avoir brûlé les livres et décimé les lettrés, ainsi qu’une partie de la population, dans une préfiguration de la Révolution culturelle. Les premiers empereurs Han feront ensuite tout leur possible pour nier tout héritage du premier Empire, en appuyant leur pouvoir sur la force montante du confucianisme.

 

Jing Ke est une figure emblématique dans l’œuvre de Sima Qian, derrière laquelle il cache certainement des éléments autobiographiques, en particulier le sentiment d’impuissance face au pouvoir absolu. Si Jing Ke échoue, c’est sans doute parce qu’il était mal préparé à sa mission, sans doute trop wenet pas assez wu, mais les premières lignes de l’historien le décrivant inscrivent déjà sa défaite annoncée, car inévitable.

 

La biographie de Jing Ke est l’œuvre d’un historien qui a vécu lui-même une tragédie due à l’arbitraire impérial et qui donne à réfléchir sur les drames qu’il cause.

 

« Hero » : de Jing Ke à Wuming

 

Zhang Yimou et ses deux coscénaristes, son scénariste attitré Wang Bin (王斌) assisté pour ce film et le suivant de Li Feng (李冯), ont repris comme fil narratif de base la tentative d’assassinat de Ying Zheng, mais en imaginant une histoire totalement différente, avec un message politique à l’exact opposé de celui de Sima Qian.

 

Un héros qui renonce à assassiner le roi

 

Un dénommé Wuming, c’est-à-dire Sans nom (无名), arrive à la capitale du royaume de Qin pour rencontrer le roi. Celui-ci vient de survivre à une tentative d’assassinat, et personne ne peut l’approcher à moins de cent pas. Or Sans nom prétend avoir tué les trois assassins qui ont pris la fuite, et montre leurs armes comme preuve ; pour mieux entendre son histoire, le roi lui permet de prendre place non loin de lui.

 

Wang Bin

 

Li Feng

 

Les trois meurtriers sont deux hommes, Ciel étoilé (长空) et Lame brisée (残剑), et une femme nommée Flocon de neige (飞雪). Sans nom explique avoir tué le premier dans un salon d’échecs, puis avoir rencontré les deux autres dans une école de calligraphie, dans le royaume de Zhao ; il aurait suscité une dispute entre eux, Flocon de neige aurait tué Lame brisée et Sans nom l’aurait ensuite éliminée.

 

Sceptique, le roi raconte en retour sa version de l’histoire, accusant son interlocuteur d’avoir inventé le duel entre les assassins, ceux-ci ayant en fait accepté de se sacrifier pour que Sans nom puisse gagner la confiance du roi, l’approcher et le tuer.

 

Sans nom reconnaît être originaire de Zhao où sa famille a été tuée par des soldats de Qin. C’est lui, en fait, le cerveau qui a monté toute l’opération. Expert en arts martiaux, il possède

une technique qui permet de "tuer à dix pas". Les autres l’ont suivi, jusqu’au sacrifice.

 

Mais Lame brisée a fait défection, car arrivé à la conviction que le seul moyen de réaliser la paix est d’unir les royaumes et d’en finir avec les guerres intestines ; comme seul Qin est capable de le faire, il a renoncé au projet d’assassiner le roi. Sans nom s’est laissé convaincre aussi et s’est rangé à son idéal de non-violence.

 

Lorsque Flocon de neige apprend que Lame brisée a convaincu Sans nom d’abandonner le projet d’assassinat, elle est furieuse car son père a été tué par le

 

L’armée du roi (soldats en noir, banderoles rouges)

roi de Qin au cours d’une bataille et elle veut le venger ; elle provoque Lame brisée en duel, mais le tue sans le vouloir quand il choisit de ne pas se défendre pour lui faire comprendre son aspiration à la paix universelle. Affligée, Flocon de neige se suicide.

 

Quant au roi, poussé par ses conseillers, il donne contre son gré l’ordre de faire exécuter Sans nom, convaincu que, pour pouvoir accomplir son but d’unifier le pays, il doit faire appliquer les lois, et faire exécuter Sans nom pour l’exemple. Mais il lui organise des funérailles nationales. Le film se termine sur une note indiquant que le roi est devenu le Premier Empereur.

 

Apologie de la non-violence et de l’unité nationale

 

Le roi de Qin (Chen Daoming)

 

Le scénario se présente donc comme une narration multiple aux voix divergentes, qui progresse, par dialogues et récits croisés, comme une réflexion sur les dangers de l’action violente, l’idéal de la non-violence et, in fine, la nécessité de subordonner ses désirs personnels au grand dessein de l’unité nationale, garante de la paix (heping 和平), tout en justifiant le recours aux lois et à la répression pour la faire régner (2).

 

On est bien aux antipodes de la pensée de Sima Qian qui a, dans ses Biographies, donné à réfléchir sur les dangers du pouvoir absolu. Il était bien placé pour le savoir : le règne du Premier Empereur était de son temps resté dans la mémoire collective comme une période de violence et d’arbitraire qui avait entraîné la chute précoce de la dynastie des Qin. Le rêve d’unification avait tourné au cauchemar.

 

Zhang Yimou reprend, lui, dans son film, une idée qui est l’un des principaux fondements de la pensée politique chinoise :

plutôt que le danger d’un gouvernement fort qui prive les individus de leurs droits fondamentaux, « Hero » souligne le danger d’un individualisme extrême qui amène à lutter contre le pouvoir pour défendre ses intérêts personnels. Au lieu de se sacrifier pour tuer le roi, « Hero » préconise de se sacrifier pour le bien public.

 

Zhang Yimou reprend des idées qui étaient dans l’air du temps dans les années 1990. En effet, pour contrer le développement du matérialisme engendré par la croissance économique, et la crise identitaire liée à la perte de foi dans les fondements du régime après 1989, le gouvernement chinois a engagé une politique de promotion de la culture nationale. C’est alors qu’est née une idéologie prônant les « valeurs asiatiques », promues et codifiées en 1993 par la Déclaration de Bangkok.

 

Le combat dans les feuilles mortes (Maggie Cheung)

 

Dans ce contexte, opérant un tournant dans sa carrière, Zhang Yimou se fait l’écho de la quête nationale de héros post-maoïstes. Et il met en scène ces idées en les illustrant de façon flamboyante, faisant du film de wuxia un pur spectacle, axé sur le visuel, où tout est fait pour éblouir, et « parler en images » (3). Car il s’agit en outre pour lui de se réinventer, en termes commerciaux autant qu’artistiques, pour devenir le réalisateur chinois moderne réussissant à propulser le cinéma chinois sur le marché international, et pas seulement dans les festivals.

 

Le wuxiapian comme spectacle… et vecteur idéologique

 

Zhang Ziyi

 

Sorti deux ans plus tôt, « Tigre et dragon » (《卧虎藏龙》) devient dans ces conditions le modèle de référence. Zhang Yimou s’est défendu d’avoir voulu l’imiter ou profiter de son succès, affirmant avoir conçu le projet de « Hero » avant celui d’Ang Lee. C’est probable, mais il est non moins probable qu’il avait conçu un film plutôt dans le style « histoire romancée », comme Chen Kaige pour « L’empereur et l’assassin » (《荆柯刺秦王》), sorti en 1999 (4), mais que le succès de « Tigre et dragon » l’a incité à reconfigurer son film en wuxiapian.

 

Il a voulu en faire un nouvel avatar du genre : film global à la Ang Lee, "postmoderne" à la Tsui Hark, et déconstruit à la Wong Kar-wai, mais qui finit par ne plus avoir de wuxia que le nom.

 

Une narration à la Calvino soutenue par la couleur

 

Le scénario est construit selon les lignes d’une triple narration en boucle, chacune reprenant le même récit selon une optique différente. C’est le principe de narration multiple d’Italo Calvino, celui, aussi, adopté par Kurosawa pour conter l’histoire de « Rashōmon ». Dans les deux cas, il est utilisé pour relativiser la perception de la réalité. Zhang Yimou, au contraire, en fait un procédé narratif, fondé sur le dialogue, permettant d’affirmer la vérité, sur laquelle le film ne laisse aucune ombre de doute.

 

Tony Leung dans le rôle de Lame brisée

 

Et pour bien souligner le décalage narratif d’une voix à l’autre, et rester fidèle à son esthétique, Zhang Yimou assigne à chaque récit une couleur emblématique : le noir pour le roi, son palais et son armée, avec une nuance dans le gris pour le salon d’échecs – on remarquera que Sans nom est vêtu de noir, indication visuelle de son adhésion au pouvoir royal ; le rouge pour la première version de l'histoire, initialement contée par Sans Nom ; le bleu pour la deuxième version, donnée par le Roi en contrant la première ; le vert pour l'histoire commune de Flocon de Neige et Lame Brisée, avec de subtils dégradés dans les bleu-vert du lac où se passe leur dramatique rencontre finale ; et enfin le blanc pour la dernière version de l'histoire, menant à la mort de Sans Nom.

 

Jet Li dans le rôle de Sans nom

 

On va donc du noir au blanc, de la même manière que le film va de la violence au (discours sur) la non-violence, de la présence à l’absence et de la parole au silence. Absence de chaos comme précondition à la paix, absence affective comme condition préalable de la sérénité, et silence final, quand tout a été dit. Le tout traversé de fulgurances de couleurs, comme des tentations sur la voie de la paix et de la sérénité.

 

Parler en images…

 

Depuis « Le sorgho rouge » (《红高粱》) (5), Zhang Yimou a bâti sa filmographie sur la force emblématique de l’image et de la couleur, alliée à la musique. Il continue ici, en poursuivant une sorte d’abstraction éthérée.

 

Signée Christopher Doyle, la photographie est somptueuse, filmée dans des décors naturellement photogéniques, ceux du désert en particulier, et retravaillée digitalement. Son travail sur le film a d’ailleurs été primé nombre de fois, à New York, Chicago, Hong Kong, etc. Il venait juste de tourner « In the Mood for Love » avec Wong Kar-wai, qui représente le mode introverti de son travail, à l’opposé de celui de « Hero ». Les deux films sont des grands moments de sa carrière.

 

Maggie Cheung/Flocon de neige et Tony Leung/Lame brisée

 

Quant aux scènes de combat, elles ont été chorégraphiées par Ching Hsiu-tung (程小东), chorégraphe et réalisateur de Hong Kong qui a travaillé avec Tsui Hark dès 1987. « Hero » est son grand succès en tant que chorégraphe. Il en reste des scènes d’anthologie, comme le combat de Maggie Cheung et Zhang Ziyi, au bout de la première demi-heure du film, dans un nuage mouvant de feuilles mortes dans toutes les nuances de jaune orangé et brun-rouge mordoré, les feuilles mortes se disputant désormais dans les souvenirs de wuxia avec les images de désert et de forêt de bambous.

 

mais dans un excès de ralentis et de scènes en apesanteur

 

Le combat sur le lac

 

Passé le premier effet de surprise, le film s’enlise cependant dans un excès d’images superficielles, soulignées par des ralentis répétés qui ne font que freiner le rythme, voire l’empêcher de s’établir, sauf dans une lenteur sensée, peut-être, être propice à la méditation.

 

L’image est surtout dévoyée par un parti-pris de combats en apesanteur artificielle, dopée aux effets spéciaux, dont on perçoit mentalement les fils, en particulier dans la longue, très longue séquence du combat

mi-aquatique mi-aérien de Jet Li contre Tony Leung. Quand on connaît les films de King Hu, et qu’on a vu celui d’Ang Lee, le film de Zhang Yimou semble atteint d’une consomption irrémédiable, et se traîner vers une mort annoncée, dans une flamboyance de couleurs automnales.

 

Une mort artistique

 

Je rejoins ici ce que déclarent Gary D. Rawnsley et Ming-Yeh T. Rawnsley dans l’introduction de l’ouvrage « Global Chinese Cinema » édité par leurs soins et consacré à « Hero » (6) : que ce film marque une mort artistique.

 

Leur argumentation est fondée sur la notion de « prix à payer » pour concilier le double objectifqui est celui de Zhang Yimou avec ce film et ne va cesser d’être le sien par la suite : obtenir un succès en Chine et à l’international. Pour cela, il lui faut faire

 

La mort de Lame Brisée

plaisir à tout le monde, c’est-à-dire se condamner à ne satisfaire pleinement personne. Et la réflexion vaut malgré le succès commercial remporté par « Hero », y compris aux Etats-Unis, grâce au soutien de Quentin Tarantino : ce succès restera sans lendemain.

 

La mort de Sans nom

 

Car le film a beau avoir ébloui, il n’a pas emporté totalement l’adhésion, et pas seulement en raison des critiques sur son contenu. Il marque en fait un tournant, une ligne de partage des eaux : avant « Hero », il y a King Hu et Ang Lee ; après « Hero », une vague de wuxiapian qui débute avec « Le secret des poignards volants » (《十面埋伏》), du même Zhang Yimou en 2004, et « Wu Ji, la légende des cavaliers du vent (The Promise) » (《无极》), de Chen Kaige l’année suivante.

 

La grande différence entre « Tigre et Dragon » et « Hero » est que le premier trouve sa source au plus profond de la culture populaire chinoise, et en transcende les thèmes, les images et les codes pour en faire un chef d’œuvre où tout le monde peut communier dans la même émotion ; le second, au contraire, a effacé les aspects culturels pour ne conserver qu’une idée, qui est une idée politique, remontant aux origines de l’empire chinois et fondant son idéologie. Zhang Yimou a pour cela faussé le message humaniste qui faisait la valeur de l’œuvre littéraire dont il s’est inspiré. Ses images d'un ésotérisme et d’un esthétisme artificiels ne parviennent pas à combler l’insuffisance du contenu.

 

Zhang Yimou a dit que « Hero » était une combinaison de ses sentiments personnels et des impératifs de commercialisation, car les premiers ne suffisaient plus dans le monde actuel. Mais les premiers assuraient la qualité artistique de ses réalisations. Il y a donc un arrière-goût amer dans le triomphe de Zhang Yimou avec « Hero » : de même que la loyauté de Sans nom envers le roi le condamne malgré tout à la mort, de même « Hero » marque le point, dans la carrière de Zhang Yimou, où les compromis concédés pour obtenir des succès commerciaux signent sa mort artistique.

 

Le jet de flèches

 

En ce sens, « Hero » est un film qui marque non seulement le déclin artistique de Zhang Yimou, mais celui du cinéma chinois dans son ensemble, pour les mêmes raisons. « Hero » a lancé la reconquête du box office intérieur par les films chinois, mais avec un prix à payer dramatique en termes artistiques.

 

 

Bande annonce

 

 

 

Notes

(1) Sur Sima Qian, les « Mémoires historiques » et leurs portraits de xia et d’assassins, voir :

www.chinese-shortstories.com/Reperes_historiques_Wuxia_Breve_histoire_du_wuxia_xiaoshuo_II.htm

(2) Thème de la paix qui prendra une signification particulière avec l’attentat du 9/11 intervenu peu après le début du tournage.

(3) Pour paraphraser le livre de Michael Berry « Speaking in Images ».

(4) « L’empereur et l’assassin », sorti en 1999, est également inspiré de la Biographie de Jing Ke, comme le titre chinois l’indique (Jing Ke assassine le roi de Qin), mais sur un scénario romancé qui est loin des événements contés par Sima Qian. Plus intéressant est le film de Zhou Xiaowen (周晓文) sur le même thème, « The Emperor’s Shadow » (秦颂), sorti trois ans plus tôt. Trois films inspirés du même personnage à quelques années de distance, qui tendent à montrer l’incidence de l’idéologie « de Bangkok ».

(5) Et même depuis « La terre jaune » (《黄土地》) si l’on considère ce film comme étant aussi en grande partie son œuvre.

(6) Global Chinese Cinema, introduction des deux co-éditeurs, pp 1-11.

 


 

Note sur les acteurs

 

Les acteurs ont été choisis parmi les plus grandes stars de Hong Kong et de Chine continentale, mais leurs talents sont pour la plupart sous-utilisés au profit de l’image. Tony Leung et Maggie Cheung, en particulier, se sont eux-mêmes déclarés insatisfaits du rôle qu’ils ont eu à interpréter. Celui de Zhang Ziyi est encore plus réduit, à une sorte d’apparition iconique rappelant son rôle dans le film d’Ang Lee. Donnie Yen est tout aussi iconique, symbole d’un genre populaire en Occident.

 

Il est significatif que toute la publicité du film, y compris l’affiche, est axée sur le personnage central de Jet Li : c’est lui, en fait, qui est mis en avant car c’est lui le plus connu et le plus populaire auprès du public américain qu’il s’agissait de conquérir, et qui fut conquis grâce à l’appui de Quentin Tarantino, un ami de Jet Li

 

Principaux rôles

(avec les noms des personnages dans la version en français)

 

Jet Li 李连杰                             Wumíng (sans nom) 无名

Chen Daoming 陈道明                 Qín Wáng, le roi de Qin 秦王

Tony Leung Chiu-wai 梁朝伟        Cánjiàn (lame brisée) 残剑

Maggie Cheung 张曼玉                Fēixuě (flocon de neige) 飞雪

Donnie Yen 甄子丹                     Chángkōng (ciel étoilé) 长空

Zhang Ziyi 章子怡                      Rúyuè (lune) 如月

 


 

Note sur la musique

 

Comme celle de « Tigre et dragon », la musique de « Hero » est signée Tan Dun (谭盾). Structurée comme un opéra en quatre actes, c’est l’une de ses plus belles partitions pour le cinéma. Elle souligne le style ésotérique du film, lui apporte un rythme (aux percussions) et un complément d’émotion, qui en seraient autrement absents.

 

 

Thème d’ouverture

 

 

Scène finale (aspiration à la paix, avec le grand violoniste Itzhak Perlman au violon)

 

Le thème musical du film, intitulé simplement Hero (英雄), a été écrit par Zhang Yadong (张亚东) et Lin Xi (林夕), et, comme souvent avec leurs chansons, il est chanté par Faye Wong (王菲).

 

 

Hero, par Faye Wong

 


 

Bibliographie

 

- Global Chinese Cinema, the Culture and Politics of Hero, edited by Gary D. Rawnsley & Ming-Yeh T. Rawnsley, Routledge, 2010.

- Speaking in Images, Interviews with Contemporary Chinese Filmmakers, Michael Berry, Columbia University Press, 2005, 568 p.  (Zhang Yimou : Flying Colours, pp 108-140)

- China on Screen, Cinema and Nation, Chris Berry and Mary Farquhar, Columbia University Press, 2006, 313 p. (en part. 163-68).

 


 

Analyse réalisée pour la présentation du film à l’Institut Confucius de l’université Paris Diderot, le 12 juin 2014, dans le cadre du cycle Littérature et Cinéma.

 

 

 

 

 

 
 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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