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« Long Tou » : hymne à la vie de Gu Changwei

par Brigitte Duzan, 12 juin 2012

 

« Long Tou » (《龙头》) est le court métrage réalisé par Gu Changwei (顾长卫) dans le cadre du projet « Beautiful 2012 » (美好2012”). C’est sans aucun doute le plus complexe des quatre films de la série.

 

En un peu plus de dix-sept minutes, Gu Changwei nous livre en effet une pensée extrêmement subtile sur la vie et la mort, les aléas de l’existence et la difficulté d’être au monde. Procédant

 

Long Tou

par touches elliptiques, images symboliques et bribes de dialogues, le film nécessite plusieurs lectures et un sérieux décryptage.

 

Le titre

 

Le titre, dès l’abord, est mystérieux. Les deux caractères (龙头 lóng tóu) signifient littéralement ‘tête de dragon’.  Le terme est utilisé pour désigner la tête ou l’extrémité de tout objet longiforme comme un dragon (如龙形事物的顶端).

 

Gu Changwei

 

L’explication est donnée dès la première séquence du film : elle nous montre un vieil homme tirant derrière lui, au milieu de la circulation, une longue corde à laquelle sont attachés des jerricanes en plastique vides qu’il doit récupérer pour les vendre dans quelque centre de recyclage. On croirait une scène sortie tout droit de « Disorder » (《现实是过去的未来》) .

 

L’explication textuelle est donnée par les caractères inscrits sur un fourgon postal qui passe devant l’homme à mi-séquence, comme un intertitre dans un film muet : 龍頭, c’est-à-dire 龙头 en caractères non simplifiés.

 

On sent toute une vie de labeur pénible et continu dans le geste du vieil homme, ce lóng tóu traînant sa charge sans un regard pour ce qui l’entoure. Symbole en soi, mais aussi,

indirectement, marqueur temporel : 2012 est en effet l’année du dragon (龙年).

 

Trois personnages

 

Le film est construit autour de trois personnages principaux discutant autour d’une table, devant une fenêtre au niveau de la rue.

 

Ces trois personnages sont trois intellectuels connus, du monde du cinéma et de la littérature : l’écrivain Yan Lianke (阎连科) (1), la romancière Fang Fang (方方) (2) et la jeune scénariste Yang Weiwei (杨薇薇), principale scénariste du précédent film de Gu Changwei, « Love for Life » (《最爱》) (3).

 

Fang Fang (方方) a d’entrée le ton factuel, décapant et glacial, caractéristique de ses nouvelles et romans : elle raconte comment, quand elle était petite, elle et ses camarades trouvaient régulièrement, au bord d’un champ, des fœtus abandonnés résultant d’avortements clandestins et jouaient à les rouer de coups. Elle crève l’écran, formidable dans sa cruauté jubilatoire.

 

Elle s’oppose frontalement à la candeur émotive de Yang Weiwei dont on a entendu la voix, en préambule au film,

 

Fang Fang

évoquant le souvenir de sa grand-mère faisant des réussites sur cette même table, distribuant les cartes une à une,  devant elle… puis s’engouant à la mémoire de son père âgé.

 

Yan Lianke

 

Fang Fang a un regard mi-ironique mi-condescendant sur les larmes de la jeune Weiwei s’apitoyant sur les ombres surgies de son passé, et finalement sur elle-même. Elle dit qu’on n’entend que cela, la vie la vie la vie, la mort la mort la mort ; on dirait, dit-elle, que c’est un problème que l’on est seul à devoir affronter ; mais tout a une fin, une herbe, un chat, un porc, et même cette cigarette qu’elle est en train de fumer, tout finit à un moment ou un autre, il ne faudrait pas en faire un cas particulier.

 

Yan Lianke fait figure de médiateur entre ces deux visions conflictuelles de la vie, qui tiennent en fait à deux personnalités différentes, et peut-être à deux générations différentes. Il annonce d’un ton neutre au téléphone, à un interlocuteur anonyme, que sa maison vient d’être détruite, avec tout le quartier (4). On dirait qu’il a perdu tout le mordant, le caractère caustique de ses romans. Fin d’une

époque et malaise d’une génération, mais la vie continue.

 

La discussion s’engage ainsi sur la vie, ses douleurs, ses espérances aussi. Mais elle n’est pas linéaire, et le huis clos n’est pas total. Et c’est là qu’intervient tout le talent de Gu Changwei.

 

Une fenêtre et un écran de télévision

 

La discussion est entrecoupée d’images qui parviennent du monde extérieur par le biais de la fenêtre et de l’écran de télévision derrière les trois interlocuteurs. La fenêtre introduit des personnages secondaires représentatifs de valeurs existentielles symboliques. Ils semblent ne rien avoir en commun, mais Gu Changwei a su tisser entre eux des liens subtils qui dessinent une trame à peine perceptible.

 

L’un est le collecteur de jerricanes usagés, l’autre une jeune femme – interprétée par Wang Jiajia (王嘉佳) - qui se réfugie dans la drogue pour échapper à ses problèmes, un troisième un voisin qui s’entraîne au haltères, inlassablement, et que l’on voit de deux autres fenêtres, à l’étage : celle de la pièce où la jeune droguée s’est réfugiée pour préparer sa dose journalière, mais celle aussi de la chambre où un enfant s’amuse à faire des bulles ; on les voit s’envoler et passer devant la fenêtre en dessous, meublant les moments de silence, colorés comme les souvenirs évoqués par les trois personnages autour de leur table, fragiles comme leurs pensées, légers, aussi, comme leurs rêves, comme les espoirs qui les font vivre.

 

Mais il y a un autre personnage secondaire, énigmatique : un homme qui passe comme une ombre dans la pièce du bas et va s’asseoir à une table un peu plus loin, pour dessiner sur un bloc de papier des images que l’écran de télévision retransmet : caricatures de meurtre, voire de suicide, qu’il se lève ensuite pour aller perpétrer, en mettant une arme dans sa poche avant de sortir.

 

Quand le coup de feu retentit, dehors, il provoque une déflagration sur l’écran de télévision qui retransmet alors les images d’une explosion atomique, tandis que des gens affolés passent en courant dans la rue…

 

Une symbolique complexe

 

Les trois personnages principaux sont des intellectuels, deux écrivains et une scénariste, c’est-à-dire les symboles du fondement même de la culture chinoise, l’écrit ; ils représentent à la fois le monde de la culture et un ersatz de famille, sur deux générations, le vieil homme aux jerricanes pouvant en figurer l’aïeul.

 

A travers eux, et les images qui leur parviennent et qu’ils réfractent, Gu Changwei traite des questions essentielles de l’existence, et des souvenirs du passé accumulés au cours d’une vie, source de douleur, charge à traîner comme les jerricanes du vieil homme. Seul l’enfant en est libre, encore ; il n’a que des rêves d’avenir qui s’envolent avec ses bulles, et vont rejoindre les rêves de succès du personnage en dessous qui finit par soulever ses haltères, même si ce n’est qu’un bref instant. Car l’obsession de la mort et de la douleur est à relativiser, comme dit Fang Fang : l’essentiel est de continuer…

 

Le danger, c’est la violence ; dans le discours de Gu Changwei, c’est elle qui est  négative et dangereuse : la violence d’un meurtre, qui n’a pas de différence intrinsèque avec celle d’une bombe. On retrouve ici l’un des grands thèmes de la culture chinoise : l’opposition du wén () et du (), la culture civilisatrice et la violence barbare.

 

La beauté de l’existence, finalement, se résume à un mot fragile : la vie, et le miracle de la naissance, et tout ce qu’on peut en attendre. Ce sont les paroles conclusives que le réalisateur laisse à Yan Lianke, s’adressant à Weiwei : et maintenant, le mieux, c’est que tu te maries, que tu aies un enfant, tu seras comblée…

也许过完今年,狗尾巴草都能开初花来,还是牡丹花呢! 

         et peut-être que, l’année prochaine, quand les setarias fleuriront, ce seront des pivoines !

 

Film en trois parties :

 

Partie 1

 

Partie 2

 

Partie 3

 

 

 

Notes

(1) Sur Yan Lianke, voir : http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_YanLianke.htm

(2) Fang Fang a eu une jeunesse très difficile, on comprend qu’elle ait peu de patience envers la sentimentalité des jeunes, surtout aujourd’hui.

Sur Fang Fang, voir : http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_FangFang.htm

(3) Yang Weiwei est diplômée de l’Institut des Télécommunications de Pékin (北京广播学院). « Love for Life » est son premier scénario, et elle a écrit un livre sur son écriture, ainsi que sur la préparation et le tournage du film.

(4) Episode authentique : Yan Lianke a écrit le 30 novembre 2011 une lettre ouverte au président Hu Jintao et au Premier Ministre Wen Jiabao pour protester contre les expropriations des résidents de son quartier et la démolition de leurs maisons :

http://uncut.indexoncensorship.org/2011/12/yan-lianke-appeals-to-hu-jintao-and-wen-jiabao-

over-beijing-evictions/

Puis il a écrit une lettre au New York Times, publiée le 20 avril 2012, pour relater les tristes événements ayant marqué sa vie tout au long de 2011, dont la démolition de sa maison :

http://www.nytimes.com/2012/04/21/opinion/the-year-of-the-stray-dog.html?pagewanted=all

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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