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Fei Mu 费穆

1906-1951

Présentation

par Brigitte Duzan, 22 octobre 2012

 

Fei Mu (费穆) est l’auteur du film qui figure en tête de toutes les listes des meilleurs films chinois : « Printemps dans une petite ville » (《小城之春》). Malheureusement, il est mort trois ans plus tard, à l’âge de 45 ans…

 

Venu au cinéma dans la Shanghai des années 1930, il a, comme ses confrères, traduit dans ses œuvres ses préoccupations concernant les problèmes socio-politiques de son époque, mais il se distingue par un sens aigu de la psychologie et le soin porté à la peinture des caractères de ses personnages. Il a su à merveille dépasser les poncifs de l’époque pour porter un regard neuf sur l’art cinématographique ; ses films sont le reflet de sa sensibilité poétique et de son immense culture.

 

Un petit comptable qui veut faire du cinéma

 

 

Fei Mu jeune

Fei Mu (费穆) est né en 1906 à Shanghai, dans un famille conservatrice, originaire de Suzhou, qui lui inculque dès l’enfance le sens des valeurs morales confucéennes. Amateurs, par ailleurs, d’arts chinois traditionnels, ils transmettent à leur fils, aîné de quatre enfants, leur amour de l’opéra, opéra Kun bien sûr, mais aussi opéra de Pékin. 

 

En 1916, la famille déménage à Pékin. Fei Mu y fréquente un lycée français ; il apprendra ensuite par ses propres moyens l’anglais, l’allemand et l’italien, mais le français restera sa langue étrangère privilégiée. Enfant studieux, passionné de lecture, il lit tellement, le soir, dans l’obscurité, qu’il s’abîme les yeux et perd presque l’usage de son œil gauche.

 

Diplômé en 1924, malgré son désir de poursuivre une carrière cinématographique, il doit cependant se plier aux directives familiales : il entre comme comptable dans une mine de sel du Hebei, puis, quatre ans plus tard, est embauché à Tianjin dans une société financière à capitaux mixtes sino-français.

 

Pendant toutes ces années, ses parents continuent de s’opposer à son souhait de devenir réalisateur, mais il n’abandonne pas pour autant l’espoir de pouvoir un jour faire du cinéma. En attendant, il passe tout son temps libre à étudier la théorie et à lire des revues cinématographiques, avec tant d’obstination et de passion que ses parents finissent par céder.

 

1930 : Le pied à l’étrier

 

Luo Mingyou

 

En 1930, il réussit à entrer comme rédacteur à la société cinématographique Huabei (华北电影有限公司).

 

La Huabei, créée en 1927 par Luo Mingyou (罗明佑), était en fait, au départ, une société de distribution de films ; en 1930, elle était à la tête d’une vingtaine de cinémas dans le nord de la Chine. Or, à la fin des années 1920, les films distribués étaient en majorité américains, mais les films américains étaient de plus en plus parlants ; or les cinémas chinois n’étaient pas équipés pour les projeter.

 

Prévoyant une situation de crise, et plutôt que d’investir des sommes importantes dans l’équipement nécessaire, Luo Mingyou décide de se tourner vers la production de films chinois muets. Sa société devient la première société cinématographique chinoise à intégrer tous les aspects

de la production, de la distribution et de la projection, mais contribue à retarder en même temps le développement du parlant en Chine.

 

Fei Mu devient donc rédacteur dans cette société, et, en même temps, publie des articles et des critiques dans divers journaux, tout en co-éditant la revue cinématographique Hollywood (好莱坞电影杂志) avec un autre grand pionnier du cinéma chinois, Zhu Shilin (朱石麟).

 

Or, en août 1930, Luo Mingyou s’associe à son ami Li Minwei (黎民伟), qui a de son côté des problèmes avec sa société, la compagnie Minxin (民新电影公司), pour créer la compagnie Lianhua (联华影业公司), avec deux autres studios de

 

Zhu Shilin

Shanghai. C’est la Lianhua qui va offrir à Fei Mu la possibilité de réaliser son rêve : passer derrière la caméra.

 

Ruan Lingyu dans

Une mer de neige parfumée

 

Son premier film est, en 1933, « Une nuit en ville » (城市之夜), qui dépeint la lutte des classes entre ouvriers et capitalistes, suivi l’année suivante de « La vie » (人生) et « Une mer de neige parfumée » (香雪海), trois films dont la vedette est la grande star de la Lianhua, Ruan Lingyu (阮玲玉).

 

 

1935-37 : Caméra au poing

 

1. En 1935, il réalise ensuite, en collaboration avec Luo Mingyou, un film qui fait date : « Song of China » ou « Piété filiale » (天伦). C’est l’histoire d’un père qui, déçu par un fils qui tourne mal, fonde un orphelinat et reporte toute son attention sur les enfants qui y sont recueillis ; son petit-fils prendra sa relève à sa mort.

 

C’est encore un film en noir et blanc, mais, pour la première fois chez Fei Mu, il est sonorisé et précurseur dans l’utilisation de la musique chinoise. Surtout, il représente un

 

Song of China

genre totalement différent des films progressistes de l’époque : il prend la défense des valeurs traditionnelles et prône la morale confucéenne, dont l’amour universel.

 

On a dit que c’était un reflet de l’éducation que Fei Mu avait reçue. C’est surtout celui du « Mouvement pour une vie nouvelle » (新生活运动) lancé l’année précédente, en février 1934, par le général Chiang Kai-shek (蒋介石) et son épouse Soong May-ling (宋美龄) pour tenter de contrer l'idéologie communiste (et la corruption) avec un mélange de morale confucéenne, de nationalisme et d'autoritarisme.

 

« Pitié filiale » fut aussi l’un des rares films chinois à être diffusé aux Etats-Unis, mais on en monta pour l’occasion une version courte, avec intertitres anglais, d’un peu plus de 45 minutes.

 

2. Pendant ce temps, la Chine est aux prises avec l’envahisseur japonais qui progresse sur son territoire. En 1936, Fei Mu réalise « Du sang sur la montagne aux loups »  (《狼山喋血记》), histoire d’un village menacé par une horde de loups que les villageois combattent unis. Evidemment l’allégorie est transparente, mais surtout le film tranche résolument sur ce qui se faisait à l’époque : une histoire toute simple, « qui tient en deux lignes », a dit Fei Mu, mais filmée en rupture résolue avec le style théâtral usuel.

 

Du sang sur la montagne aux loups

 

Du sang sur la montagne aux loups, une photo

 

Pour la petite histoire, outre les loups, Fei Mu dut affronter la jeune actrice Lan Ping (蓝苹), qui lui demanda de remanier le scénario pour qu’elle ait un rôle plus important. Elle allait épouser Mao deux ans plus tard, elle s’appelait en réalité Jiang Qing (江青) ; quand Fei Mu la retrouvera plus tard sur son chemin, elle ne lui fera pas de cadeau…

 

 

3. L’année suivante, en 1937, Fei Mu tourne l’un des huit sketches du film « La symphonie de Lianhua » (《联华交响曲》), intitulé « Rêve tragique d’un jeune fille » (《春闺断梦》). Censure oblige, quand le film sort, il est muet.

 

4. Cette même année 1937, Fei Mu filme ensuite un opéra, « Meurtre dans l’oratoire » (《斩经堂》), interprété par le célèbre Zhou Xinfeng (周信芳) (1). Digne d’une tragédie de Shakespeare, ou d’une tragédie grecque, l’histoire est celle d’un homme poussé par sa mère à tuer sa propre épouse, car elle est la fille de l’assassin de son père, qui est en plus usurpateur du trône...  Fei Mu revient ici, sous couvert de mise en scène d’opéra, à une réflexion sur les liens et les conflits entre valeurs morales et existence humaine, avec un sentiment de douleur face aux pertes inévitables dues à la guerre.

 

Fei Mu a expérimenté un mélange de naturalisme et de formalisme très nouveau, en jouant sur la stylisation des rôles dans l’opéra chinois. Il fut en fait poussé par Zhou Xinfang, qui insista pour avoir des décors réalistes, tout en conservant les codes et conventions de l’opéra (2).

 

En même temps qu’il tourne le film, Fei Mu écrit le scénario d’une petite comédie qui raconte les péripéties du tournage : la diva de la troupe fiche le camp parce qu’elle n’a pas été payée illico, un chanteur de rue la remplace… toute la fine connaissance de l’opéra qu’avait Fei Mu apparaît dans ce petit film d’à peine trente minutes : « On Stage and Backstage » / « Sur scène et en coulisse » …

 

5. Toujours en 1937, il tourne encore deux films, « Une ville plaquée or » (镀金的城), sur un scénario de Hong Shen (洪深) (la ville est évidemment Shanghai), et « Martyrs sur le front du Nord » (《北战场精忠录》) qui est un mélange d’actualités et de fiction, mais que l’on trouve souvent classé parmi les documentaires.

 

Cette année 1937 est la fin d’un âge d’or pour le cinéma de Shanghai. Le 7 juillet 1937, la guerre est déclarée. Pendant les quatre années qui s’écoulent ensuite jusqu’à l'entrée des Américains dans la guerre du Pacifique, en décembre 1941, les concessions étrangères de Shanghai forment un îlot fragile, cerné par l’occupant, où les cinéastes continuent à travailler : l’ « île orpheline » (孤岛).

 

1940-1941 : Dans « l’île orpheline »

 

Pour Fei Mu, comme pour beaucoup de ses confrères, la période de « l’île orpheline » est une période difficile mais prolifique, pendant laquelle, en deux ans, il tourne trois films et participe à un quatrième.

 

1. Le premier est « Confucius » (《孔夫子》), sorti fin 1940 après une longue gestation. C’est un chef d’œuvre, longtemps considéré comme perdu.

 

Fei Mu dépeint le penseur à la fin de sa vie, comme un prophète malheureux, méconnu de ses contemporains, et victime d’une politique de conquête et de compétition délétère entre Etats luttant pour l’hégémonie. Le Confucius de Fei Mu est un homme qui, finalement, est resté fidèle à ses idéaux, mais des idéaux inadaptés à son époque, d’où son échec. « Confucius, a dit Fei Mu, était voué à être une victime de la politique de son temps. »

 

Confucius, le film restauré

 

Confucius, une scène du film

 

Le film a miraculeusement refait surface il y a une quinzaine d’années, offert par un donateur anonyme aux Archives du cinéma de Hong Kong qui l’ont depuis lors restauré en collaboration avec le laboratoire spécialisé de Bologne. Au bout de ce long et patient travail, fin 2008, les spécialistes de Hong Kong ont alors découvert un film superbe, hiératique et introspectif, reposant essentiellement sur des dialogues, et filmé en tableaux en grande partie sur fond de décors peints.  

 

Avec « Confucius », Fei Mu revisite les rapports entre théâtre et cinéma, adoptant un style un rien cérémonieux qui souligne la dignité qu’il a voulu donner au penseur. C’est un film moderne à bien des égards (3).

 

2. L’année suivante, en 1941, il apporte sa contribution à un travail réalisé par un couple d’Autrichiens bloqués à Shanghai par le déclenchement de la seconde guerre mondiale, Louise et Julius Jacob Fleck. Leur film est intitulé « Les Enfants du monde » (《世界儿女》). Il est probable cependant que la contribution de Fei Mu se soit limitée au scénario.

 

3. En 1941 toujours, il revient à ses amours premières,  et réalise un autre film d’opéra, ou plutôt d’extraits d’opéra : « Chants de la Chine ancienne » (《古中国之歌》). C’est une sorte de réconfort dans un monde en guerre, un repli sur une tradition culturelle qui prend d’autant plus de prix qu’elle est menacée.

 

Puis il termine l’année avec un dernier film avant longtemps : « Hong Xuanjiao » (洪宣娇). Il s’agit d’un film célébrant les valeurs nationales de résistance face à l’ennemi : l’histoire se passe pendant la révolte des Taiping ; pour venger son époux, un général des Taiping tué au combat, Hong Xuanjiao part à la tête d’un régiment de femmes se battre contre les Mandchous…

 

Dernier film avant longtemps car, fin 1941, les Japonais envahissent la totalité de Shanghai, mettent fin à « l’île orpheline », et, en 1942, prennent le contrôle des studios de cinéma. Fei Mu refuse de collaborer avec eux et se consacre dès lors uniquement à la mise en scène d’opéras, tout en continuant ses recherches sur les possibilités de fusion des arts traditionnels chinois (peinture et théâtre) et de l’art cinématographique.

 

1948 : Bref retour derrière la caméra

 

Il revient derrière la caméra à la fin des hostilités, dans une Shanghai en ruine, mais où le cinéma connaît son « second âge d’or ». En 1947, il tourne « Le petit pâtre » (小放牛), puis, en 1948, enchaîne avec un autre film d’opéra qui est

 

Regrets éternels

aussi le premier film en couleur chinois : « Regrets éternels » (《生死恨》), avec le grand Mei Lanfang (梅兰芳).

 

Le printemps d’une petite ville

 

Puis, en 1948, Fei Mu réalise ce qui reste un chef d’œuvre absolu du cinéma chinois : « Le printemps d’une petite ville » (《小城之春). Histoire qui aurait pu être banale d’un triangle amoureux classique, mais filmée dans un monde clos, au bord d’une muraille en ruine, et comme en marge du temps, c’est un drame à peine évoqué, d’espoirs déçus et de projets inaboutis, qui prend un sens emblématique. 

 

La première du film, cependant, coïncide avec la libération de Shanghai ; l’atmosphère sombre du film ne correspond en rien à la liesse que suscite l’événement. Le film est mis à l’écart ; il sera ensuite critiqué pour sa « décadence petite-bourgeoise », son caractère passéiste et son « effet narcotique » sur le public. Il faudra attendre les années 1980 pour qu’il soit redécouvert et que de nouvelles copies soient tirées du négatif d’origine.

 

1949 Départ pour Hong Kong

 

En 1949, comme beaucoup d’autres cinéastes et intellectuels chinois, Fei Mu s’enfuit à Hong Kong après l’avènement du régime communiste. Avec Zhu Shilin (朱石麟) et Fei Luyi, il y fonde une compagnie cinématographique : la compagnie Longma (龙马影片公司).

 

En 1950, cependant, il rentre à Pékin pour se mettre au service du nouveau régime. Mal lui en prit : il est accueilli avec la froideur qu’on imagine par nulle autre que… Jiang Qing qui était alors responsable du cinéma au département de la Propagande, et membre du comité du cinéma au sein du ministère de la Culture.

 

Certainement déçu, Fei Mu repart à Hong Kong où il entreprend un nouveau film : « Les enfants du voyage » (江湖儿女). Mais il n’aura pas le temps de le terminer, ce sera Zhu Shilin qui l’achèvera : il meurt d’une crise cardiaque le 30 janvier 1951…

 

Les enfants du voyage

 

 

Notes

(1) Moins connu internationalement que Mei Lanfang, mais interprète renommé de l’opéra de Pékin auquel il apporta nombre d’innovations, Zhou Xinfang se tourna vers le cinéma dès les années 1920 pour en explorer les possibilités. Il était également un grand ami de Sang Hu (桑弧).

Voir le site qui lui est dédié : www.zhouxinfang.com/eshengpin.htm

(2) Voir Le cinéma chinois, sous la direction de Marie-Claire Quiquemelle et Jean-Loup Passek, p. 175.

(3) Voir l’essai de Wong Ain-ling (A lire en complément, ci-dessous)

 


 

Filmographie

 

1933 Night in the City/Nuit dans la cité (城市之夜)

1934 The Life/La vie (人生)

1934 A Sea of Fragrant Snow/Une mer de neige parfumée (香雪海)

1935 Song of China / Piété filiale (天伦)

1936 Blood on Wolf Mountain/ Du sang sur la montagne aux loups (《狼山喋血记》)

1937 Nightmares in Spring Chamber/ Rêve tragique d’une jeune fille (《春闺断梦》)  

         [sketch du film La symphonie de Lianhua 《联华交响曲》­]

1937 Murder in the Oratory/ Meurtre dans l’oratoire (《斩经堂》)  [opéra]

         On Stage and Backstage / Sur scène et en coulisse 

1937 Gold-Plated City/ Une ville plaquée or (镀金的城)

1937 Martyrs of the Northern Front / Martyrs sur le front du Nord (《北战场精忠录》)

1940 Confucius (《孔夫子》)

1941 Children of the World / Les Enfants du monde (《世界儿女》)  [scénario]

1941 Songs of Ancient China / Chants de la Chine ancienne (《古中国之歌》)   [extraits d’opéra]

1941 The Beauty / La beauté (国色天香》)

1941 Hong Xuanjiao (洪宣娇)

1946 The Magnificent Country / Le pays magnifique (锦绣山河》

1947 The Little Cowherd / Le petit pâtre (小放牛)

1948 Regrets of Life and Death / Regrets éternels (《生死恨》)  [opéra]

1948 Spring in a Small Town  / Printemps d’une petite ville (《小城之春》)

 


 

A lire en complément

 

L’essai du critique et chercheur Wong Ain-ling (黄爱玲) sur « Confucius », dans le contexte de l’œuvre de Fei Mu : « The Vicissitudes of History » (préface à son ouvrage « Un réalisateur poète : Fei Mu » (诗人导演——费穆)

www.lcsd.gov.hk/ce/CulturalService/HKFA/graphics/publications/4-1-45_intro_e.pdf

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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