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Le
cinéma chinois : repères historiques
par Brigitte
Duzan, 01 octobre 2014
I.
1905-1949
I.4 1945-1949 Effervescence du cinéma sur fond de crise
nationale
Contexte politique
1. Grands événements
1945
Avril : VIIème Congrès du Parti ; Mao président du Comité
central
14 août : Capitulation du Japon. Nationalistes et
communistes rivalisent pour désarmer les troupes japonaises
et occuper les territoires sous leur contrôle.
Fin 1945 : les Nationalistes ont un puissant armement
moderne, pris à l’ennemi ou fourni par les Américains, mais
les communistes ont élargi leur base territoriale.
1946
Janvier : signature d’un accord de cessez-le-feu sous les
auspices du général Marshall et ouverture à Chongqing d’une
conférence consultative.
Juillet : les forces communistes prennent le nom d’Armée
populaire de libération. Offensive des Nationalistes.
1947
Janvier : départ du général Marshall, les Américains
renoncent à servir de médiateurs.
5 mars : la délégation communiste quitte Nankin, les
contacts sont rompus entre les deux parties.
19 mars : Yan’an tombe aux mains des Nationalistes sans
combat. L’APL refuse l’affrontement mais se déploie en Chine
centrale et passe à l’offensive en Mandchourie, évacuée par
les Russes.
1948
Juin : bataille de Kaifeng, en Chine du Nord ; les forces
communistes s’attaquent aux grandes villes contrôlées par
les Nationalistes.
Septembre : chute de Jin’an, le Shandong passe sous contrôle
communiste.
Novembre : prise de Changchun, la Mandchourie est conquise.
L’avantage en hommes et en équipement passe à l’ALP.
Novembre-Décembre : bataille de la Huai, la route de
Shanghai et Nankin est ouverte.
1949
Janvier : chute de Pékin.
Mai : chute de Shanghai
1er octobre : proclamation de la République
populaire
2. L’atmosphère de l’époque
Amertume et désillusions de l’après-guerre
Selon Paul G. Pickowicz (1), les meilleurs films de
l’immédiat après-guerre montraient sans compromis
que les désastres sociaux causés par la guerre
étaient tels que « la victoire était ressentie comme
une défaite ».
Selon lui, les films sortis dans le courant de
l’année 1947 ont pour caractéristique de traiter de
la guerre sans en montrer la violence : ils sont
principalement axés sur la peinture des
bouleversements sociaux provoqués par la guerre, et
en particulier la désunion dramatique des familles.
Or ces
films n’ont pas été interdits. Selon Paul
G. Pickowicz, c’est parce que ce constat amer
touchait une corde sensible chez les membres du
Guomingdang et nombre de sympathisants du
gouvernement nationaliste qui ressentaient la même |
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Becoming Chinese |
désillusion que le peuple aux lendemains de la
guerre. L’argument fondamental de ces films réside
dans l’idée que c’est l’érosion
des valeurs traditionnelles de cohésion familiale
pendant la guerre qui a entraîné un phénomène
destructif menant à l’affaiblissement des structures
sociales.
Le propos n’était pas révolutionnaire, mais critique
et se voulant positif, dénonçant les injustices et
les causes de souffrance populaire pour stimuler les
réformes.
Raidissement en 1948
L’atmosphère change au fil des défaites des forces
nationalistes face aux troupes communistes et à la
montée de l’agitation sociale au cours de l’année
1948 ; le changement se traduit par une répression
croissante des milieux du cinéma.
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Amour lointain |
Renaissance du cinéma
Août 1945 : capitulation du Japon. Trêve entre
Guomingdang et communistes. Réalisateurs et
techniciens dispersés dans tout le pays reviennent
dans les centres urbains qu’ils avaient dû quitter
pour échapper à l’envahisseur.
Reconstitution des studios dans le nord
1946 : Certains des cinéastes qui étaient à Yan’an
regagnent Changchun ; mais ils doivent évacuer à
nouveau la ville au
printemps 1947 lorsque le Guomingdang rompt la trêve
avec les communistes et remet la main sur le studio
de Changchun. Ils se replient dans le district de
Xingshan (兴山区),
dans le Heilongjiang, où les rejoignent ceux du
Groupe cinématographique du nord-ouest quand Yan’an
est évacuée,
en mars. |
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Ce n’était qu’un rêve |
1947 : « Amour lointain » (《遥远的爱》)
de Chen Liting (陈鲤庭)
et « Ce n’était qu’un rêve » (《天堂春梦》)
de Tang Xiaodan » (汤晓丹)
au
Studio central n°2.
« Sur la Soungari » (《松花江上》)
de Jin Shan (金山),
au studio de Changchun.
Janvier 1949 : libération de Pékin. Le groupe de la
Chine du nord rejoint la capitale et, avec des
éléments du Studio du nord-est, remettent sur pied
le Studio central n°3 qui devient le Studio de Pékin
enreprenant,comme à Changchun, des installations et
équipements des Japonais qui y avaient créé un
studio en 1939.
Mars 1949 : libération de Changchun. Création du
Studio du nord-est.
Second âge d’or du cinéma de Shanghai sur fond de
répression
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Huit mille lis de lune
et de nuages |
1946 : Nombre de cinéastes qui s’étaient repliés à
Chongqing ou à Hong Kong reviennent à Shanghai. Un
groupe d’anciens de la Lianhua reprend possession de
leur ancien studio qui devient le studio Kunlun.
1947 : création de la Wenhua (文华影片公司)
par Wu Xinzai (吴性栽).
Riche production cinématographique :
- Studio Kunlun : « Huit mille lis de lune
et de nuages» (《八千里路雲和月》) de Shi
Dongshan (史东山), « Les
larmes du Yangzi» (《一江春水向东流》)
de Cai
Chusheng (蔡楚生)
et Zheng
Junli (郑君里).
-
Studio Wenhua : « Vive ma femme » (《太太万岁》)
de
Sang Hu (桑弧),
« La dot en carton »
(《假凤虚凰》)
et « L’auberge de la nuit » (《夜店》)
de
Huang Zuolin (黄佐临),
d’après « Les
Bas-Fonds » de Gorki. |
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Les larmes du Yangzi |
Protestations et manifestations, contre l’arbitraire
policier ou les impôts, se multiplient. Le cinéma
est suspect.
L’immense succès populaire du film « Les larmes du
Yangzi » contribue à changer l’attitude des
autorités nationalistes. Une vague de répression
déferle sur Shanghai, comme sur les zones encore
contrôlées par le Guomingdang.
1948 : Multiplication des studios. Production d’une
dizaine de films, dont :
« Dix mille foyers de lumière » (《万家灯火》)
de Shen Fu (沈浮),
« L’âme de la Chine » (《国魂》)
réalisé par
Bu Wancang (卜万苍)
sur un scénario de
Wu Zuguang (吴祖光),
« Fragilité, ton nom est femme » (《姊妹劫》),
par
Hong Shen (洪深)
sur un scénario de Ouyang Yuqian (欧阳予倩),
et deux films de
Fei Mu (费穆),
« Regrets éternels » sur l’art de Mei Lanfang
(《生死恨》)
et le chef d’œuvre « Printemps dans une petite
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Dix mille foyers de
lumière |
ville » (《小城之春》).
Eté 1948 : multiplication des listes noires établies
par le Guomingdang. Premiers visés : les
intellectuels de gauche : les cinéastes soupçonnés
de collusion avec les communistes sont pourchassés
par la Société pour l’extermination des communistes
dans l’industrie cinématographique. |
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Regrets éternels |
1949 : « Tristesse et joie de l’âge mûr » (《哀乐中年》)
de
Sang Hu (桑弧),
et « Trois destinées » de Chen Liting (陈鲤庭).
Avril 1949 : liste noire de trente cinéastes. Nombre
d’entre eux fuient à Hong Kong.
2 mai 1949 : libération de Shanghai. L’activité
cinématographique est paralysée. L’arrivée des
troupes communistes fait fuir les cinéastes et
acteurs qui avaient collaboré avec les Japonais
tandis que reviennent un certain nombre de ceux qui
avaient fui à Hong Kong.
Reprise du tournage de films interrompus l’année
précédente : en mai
« San
Mao le petit vagabond » (《三毛流浪记》),
terminé en août, et, en septembre, « Corbeaux et
moineaux » (《乌鸦与麻雀》)
de Zheng Junli (郑君里),
tous deux tournés au |
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Tristesse et joies de
l’âge mûr |
studio Kunlun.
Le cinéma reprend, mais c’est un cinéma sous
contrôle, dirigé de Pékin.
Note
(1) Dans : Becoming Chinese :
Passages to Modernity and Beyond, ed. by Wen-hsinYeh,
University of California Press 2000, Chapitre11.
Victory as Defeat, Postwar Visualizations of China's
War of Resistance, Paul G. Pickowicz pp 365-96.
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Corbeaux et moineaux |
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