par Brigitte Duzan,
14 octobre 2010,
actualisé 28 janvier 2025
Née à Suzhou en juillet 1955,
Li Shaohong (李少红) est une réalisatrice sortie de l’Institut
du cinéma de Pékin en 1982, dans la promotion des cinéastes
dits « de la cinquième génération ».
Li Shaohong en 2016
(photo CCTV)
En 1969, alors qu’elle avait
seulement 14 ans, elle est entrée dans l’armée
[1]
et a travaillé dans un hôpital militaire jusqu’à la fin de
la Révolution culturelle. En 1978, au moment de la
réouverture des universités, elle a été admise en classe de
réalisation à l’Institut du cinéma de Pékin. C’est là
qu’elle a rencontré son mari, le photographe et chef
opérateur Zeng Nianping (曾念平), qui a signé la photo du « Red
Elephant » (《红象》) de
Tian Zhuangzhuang (田壮壮),
premier long métrage de la cinquième génération, tourné dans
le Yunnan pendant l’automne 1981 ; il a fait aussi partie de
l’équipe qui, pendant l’été 1981, a tourné avec le même Tian
Zhuangzhuang un court métrage adapté de la nouvelle de
Wang Anyi (王安忆)
« Notre petite cour » (《我们的小院》).
Li Shaohong a fait l’objet d’un véritable lynchage
médiatique à l’automne 2010, lors de la diffusion de la
série télévisée adaptée du « Rêve dans le pavillon rouge »
qu’elle a achevée alors que sa consœur Hu Mei (胡玫) avait
abandonné faute d’avoir les coudées franches. Comme Hu Mei
et ses autres consœurs, l’histoire de Li Shaohong est celle
d’un talent étouffé dans un univers où les femmes ont
toujours difficilement trouvé leur place, sauf comme
actrices [2].
De l’armée au cinéma
Les examens d’admission à l’Institut du cinéma ont débuté en
mai 1978, avec des centres d’examen à Pékin, Shanghai et
Xi’an. L’examen comportait plusieurs étapes, dont une
analyse de film et un test de récitation/interprétation,
d’un texte choisi par le candidat, ne devant pas excéder
cinq minutes. Celui choisi par Li Shaohong était un long
poème en hommage à Zhou Enlai qu’elle a terminé dans un
profond silence
[3].
Elle était encore infirmière
dans le district militaire de Nankin. Mais, comme elle l’a
expliqué ensuite à ses examinateurs, elle avait été
projectionniste pendant quatre ans, jusqu’à l’âge de 17 ans,
dans la province du Sichuan ; les films projetés, à l’armée
ou dans des usines, étaient les opéras modèles, ou des
adaptations, mais elle avait pu constater la ferveur des
gens qui arrivaient pour voir les films avec leur tabouret.
Elle avait juste terminé l’école primaire, mais elle s’était
instruite toute seule en lisant tout ce qu’elle pouvait
trouver de livres d’histoire et de littérature, chinoise et
étrangère, dans les bibliothèques. Elle montrera quelques
années plus tard son ouverture sur les nouveaux courants
littéraires chinois, et en particulier le courant de
littérature urbaine incarnée par Wang Shuo (王朔), mais aussi
par Wang Meng (王蒙). Avec sa consœur Peng Xiaolian (彭小莲),
elle écrira un scénario adapté de la nouvelle « Les cordes
du cerf-volant » (《风筝飘带》) de Wang Meng. Mais surtout, elle
sera l’une des premières à réaliser des films sur la réalité
urbaine.
1988-1992 : trois
premiers films décisifs
En 1982, Li Shaohong est avec
Peng Xiaolian (彭小莲)
assistante réalisatrice sur le tournage d’un film tourné au
Studio des enfants. Puis, en 1983 et 1984, elle est encore
assistante réalisatrice sur le tournage de trois films, dont
« Bao, père et fils »(《包氏父子》)
et « Un héritage » (《清水湾,淡水湾》)réalisés
par
Xie Tieli (谢铁骊).
Il lui faut attendre 1988 pour réaliser son premier film.
1. Ce premier film est « The
Case of the Silver Snake » (《银蛇谋杀案》) :
l’histoire d’un tueur en série, ancien projectionniste, qui
assassine des femmes avec un serpent et qui, ayant découvert
le secret d’une attaque de banque à main armée, entreprend
de faire chanter la femme qui en est la clef. Le film a fait
s’étrangler les censeurs, et à l’époque a fait faire des
cauchemars à plus d’un spectateur, mais c’est devenu un film
culte, mêlant des clins d’œil à Hitchcock, Polanski et le
cinéma de Hong Kong. Comme les films suivants de Li
Shaohong, la photo est de Zeng Nianping, et Li Shaohong
avait pour assistante…
Ning
Ying (宁瀛) !
The Case of
the Silver Snake
2. Son deuxième film, « Bloody
Morning » (ou « Un matin couleur de sang »
《血色清晨》),
est sorti en novembre 1992 au festival des Trois Continents
de Nantes où il a remporté la Montgolfière d’or. Le film
est un drame villageois où la victime est
l'instituteur d’un village de montagne très pauvre du nord
de la Chine, le seul intellectuel au milieu de paysans dont
l'existence était limitée à la lutte quotidienne pour la
survie.
La toute jeune Hongxing (红杏)
est mariée par ses deux frères à un richard du village
voisin. Mais, lors de la nuit de noce, celui-ci furieux
accuse sa nouvelle épouse de ne pas être vierge. Il la
renvoie chez elle et prend sa sœur en échange. Le frère aîné
soupçonne l’instituteur du village d’être responsable de la
perte de virginité de Hongxing qui refuse de passer aux
aveux. La tragédie est ainsi inévitable.
Le film est dépeint comme
étant adapté du roman de García Márquez « Chronique d’une
mort annoncée », mais il s’agit plus d’une inspiration que
d’une adaptation stricto sensu ; ce que Li Shaohong a adopté
du roman, c’est surtout la construction narrative : le film
part du meurtre, puis la réalisatrice, comme l'écrivain,
cherche à en expliquer les mobiles en reconstituant les
faits à partir des souvenirs et témoignages morcelés des
villageois. Le film devient ainsi une peinture de la société
rurale, avec ses coutumes et ses superstitions. Pour ses
différents points de vue et angles narratifs, on a comparé
le film à « Rashomon », mais il n’est pas structuré de
manière aussi formelle ; ce sont les questions de la foule
qui en forment l’ossature, plutôt comme un puzzle.
Un matin couleur de sang
Cependant, « Un
matin couleur de sang »
n’a pas bénéficié de la mansuétude des censeurs : il a été
interdit en Chine pendant des années, et comme souvent sans
explications. Est-ce pour l’excès de violence ? Pour la
vision de la sexualité féminine offerte par le film ? Ou
pour le spectacle de deux hommes tuant le maître d’école,
sans que personne n’intervienne ?
Le film (non sous-titré)
3. Le troisième film de Li
Shaohong, « Family Portrait » (《四十不惑》),
est sorti en août 1992 au festival de Locarno où il a
remporté le prix FIPRESCI des critiques de cinéma, avant
d’être présenté au festival de Toronto le mois suivant.
Family Portrait
Le scénario est de
Liu Heng (刘恒)
et dresse un tableau intimiste de la vie moderne, et plus
spécifiquement de la classe moyenne émergente dans la Chine
urbaine, aux lendemains de Tian’anmen. Li Shaohong se dégage
de l’esthétique « du village » qui marquait encore son film
précédent et se pose en précurseur d’un courant nouveau pour
la cinquième génération. Au même moment, Zhang Yimou, par
exemple, abandonne les sujets historiques pour aborder les
problèmes de la société moderne avec « « Qiu
Ju, une femme chinoise » (《秋菊打官司》), également
sur un scénario de Liu Heng, mais c’est encore une histoire
de paysanne.
Li Shaohong réalise au
contraire un film sur les mentalités et les modes de vie de
la classe moyenne de la capitale, encore marquée par le
poids des traditions, mais aussi par le désir de s’en
évader. Cao Depei (曹德培)
est un photographe qui s’était marié quand il avait été
envoyé à la campagne pendant la Révolution culturelle, mais
qui, après avoir divorcé, s’est remarié en ville et a un
fils de sa deuxième épouse, Duan Jinghua (段京华).
C’est alors qu’il apprend que sa première épouse est
décédée, mais qu’elle était enceinte quand il l’a quittée,
et qu’elle lui a aussi donné un fils qui a maintenant plus
de dix ans. Obligé de prendre l’enfant avec lui, il le loge
dans son studio de photographie, mais sa vie devient
impossible quand sa deuxième épouse tombe enceinte et doit
se faire avorter en raison de la politique de l’enfant
unique.
Évoquant de manière critique
les situations tragiques nées de la survivance de problèmes
liés à la Révolution culturelle et de la politique de
contrôle des naissances qui l’a suivie, « Family Portrait »
est un ovni dans la production chinoise de l’époque. Il
annonce des films ultérieurs de la sixième génération
traitant de thématiques semblables, comme « Une
famille chinoise » (《左右》)
de
Wang Xiaoshuai (王小帅).
Remarquable pour le scénario
de Liu Heng, le film l’est aussi pour la réalisation, et
l’interprétation : le rôle de Duan Jinghua est interprété
par Song Dandan (宋丹丹),
actrice de théâtre qui avait commencé au cinéma en 1986 dans
« Croissant de lune » (《月牙儿》),
le film de Huo Zhuang (霍庄)
adapté de la nouvelle de
Lao She ; celui de
la première épouse est interprété par
Jiang Wenli (蒋雯丽),
actrice qui avait remporté le prix Feitian en novembre 1989
pour son interprétation dans une série télévisée, alors
qu’elle était encore étudiante, dans la classe
d’interprétation de l’Institut du cinéma dont elle est
sortie en 1992.
Avec ces trois premiers films,
Li Shaohong s’est imposée comme une réalisatrice de premier
plan, même si elle restait moins connue que ses confrères
masculins. Son quatrième film, adapté d’une nouvelle de
Su Tong (苏童)
quatre ans après « Épouses
et concubines » (《大红灯笼高高挂》),
marche carrément sur les plates-bandes de
Zhang Yimou…
Les années 1990 :
« Blush », mais pas seulement
1995 : « Blush »
Adapté de la nouvelle « Hongfen »
(《红粉》)
de
Su Tong (苏童)[4],
« Blush »
(《红粉》)
a été couronné de l’Ours d’argent à la Berlinale en 1995.
Alors que
Zhang Yimou offrait
la vision d’un monde clos, statique, refermé sur ses
traditions patriarcales, « Blush » le montre en train de
s’ouvrir et d’exploser au lendemain de l’arrivée des
communistes au pouvoir, en prenant pour symbole l’univers
jusque-là fermé d’une maison close. Ces maisons étant
désormais interdites et leur « commerce » illicite, les
femmes sont envoyées se faire réformer pour devenir de
dignes travailleuses gagnant leur pain à la sueur de leur
front.
Le film, comme la nouvelle,
s’interroge sur le sort réservé à deux d’entre elles, deux
amies très proches, mais de caractères opposés, que leur
nouvelle vie va séparer. Tout dans le film est le fruit d’un
travail remarquable, sur la mise en scène, la photographie
et l’interprétation, qui en fait un petit chef-d’œuvre que
l’on a malheureusement du mal à trouver et à voir
programmés, comme beaucoup des films de Li Shaohong.
1997 : « The Red Suit »
Sorti en septembre 1997 sans
faire beaucoup de bruit, « The Red Suit » (《红西服》)
est souvent oublié dans la filmographie de Li Shaohong, et à
tort. Ici encore elle fait œuvre de précurseur en traitant
des tragédies causées par les fermetures d’usines et les
licenciements brutaux des années 1990 en se plaçant au
niveau de toute une famille.
The Red Suit
Travailleur consciencieux et
loyal, Liu Shijjie (刘世杰)
se retrouve au chômage quand son usine bat de l’aile, mais
prétend aller travailler comme de coutume. Sa femme, Qi
Hongguang (齐红光),
s’attend pour sa part à se faire licencier, mais remporte au
contraire une victoire au travail ; folle de joie, elle
court à l’usine de son mari pour lui apprendre la nouvelle,
et apprend alors qu’il n’y travaille plus… Entre-temps, Liu
Shijjie a appris que sa mère, veuve, s’est trouvé un nouveau
partenaire, et au lieu de s’en réjouir la désapprouve ; mais
il change d’avis quand on diagnostique à la vieille mère un
cancer aux poumons. La fille du couple passe elle aussi par
des épreuves, dans ses études et sa vie sentimentale.
Le film dresse des portraits
en profondeur des personnages, en particulier celui de Qi
Hongguang, envoyée dans le Heilongjiang en 1968, puis
embauchée dans une usine de traitement de la viande qui, au
début des années 1990, est obsolète. Responsable des
contrôles de qualité, elle s’est montrée d’une telle
inflexibilité qu’elle s’est attirée des haines féroces.
C’est ce qui la rend d’autant plus touchante lorsque, à la
recherche de son mari dont elle a découvert qu’il a été
licencié, elle le trouve sous un pont en train de réparer
une bicyclette. Son visage suffit à exprimer tout ce qu’elle
ressent : un cri silencieux. Le rôle est interprété par Song
Dandan et celui de Liu Shijjie par
Wang Xueqi (王学圻).
Le film s’achève sur cette
scène, sans guère offrir de vision optimiste de l’avenir :
pas de couleurs brillantes, le rouge du titre est presque
ironique, mais d’une ironie amère (c’est la couleur d’une
veste offerte en cadeau d’anniversaire à Liu Shijjie,
symbole d’un passé révolu). Pour un film chinois, il fallait
oser terminer sur une note aussi sombre, à un moment où,
justement, l’avenir était ainsi.
« The Red Suit » a encore une
cote de 7.7 sur douban. Les films chinois suivants qui
traiteront de la période, comme « Une
pluie sans fin » (《暴雪将至》)
de Dong
Yue (董越),
adopteront plutôt une esthétique de film noir, pour revenir
vers une optique de réalisme social mais traité en thriller
- comme dans le dernier film de
Gao Peng (高朋).
Ces cinéastes ont l’avantage d’un regard distancié.
Années 2000 : trois
films, trois genres différents
2004 : Baober in Love
Avec le recul du temps, « Baober
in Love » (《恋爱中的宝贝》)
apparaît comme un tournant dans la carrière et la
filmographie de Li Shaohong.
Avec ce film sorti en février 2004, elle a abandonné son
premier style, d’une esthétique réaliste travaillée en
profondeur, pour aborder un réalisme différent, qui a perdu
ses couleurs sombres : elle semble vouloir tenter de rendre
l’image d’un monde en changement tellement rapide que tout
semble en miettes et qu’il est difficile de s’adapter. Le
film est traité dans un style vaguement surréaliste, avec
des personnages nimbés de mystère.
Baober in Love
Baober est née en 1979, au
début de la politique d’ouverture. Dotée d’une imagination
fertile, elle est d’une vitalité débordante, à l’image de la
Chine des années de la croissance à deux chiffres. Elle voit
sa ville en plein chamboulement, sa maison détruite pour
construire un immeuble. Ayant découvert une vidéo d’un homme
qui confesse que la vie, pour lui, a perdu toute
signification, elle décide de le trouver pour lui faire
aimer la vie et sauver son âme... « Baober in Love » est
l’image d’un monde qui marche un peu sur la tête – étant le
produit d’un esprit malade. Le film a un aspect de réalité
élusive qui rappelle le « Suzhou River » (《苏州河》)
de
Lou Ye (娄烨),
sorti quatre ans auparavant, avec la même
Zhou Xun (周迅)
dans le rôle principal.
Baober, c’est en effet
Zhou Xun
(周迅)
aux côtés de
Chen Kun (陈坤)
et de
Huang Jue (黄觉),
mais aussi d’un
Liao Fan (廖凡)
quasiment débutant. Baober, c’est une Zhou Xun survoltée,
électrisante, qui fait (presque) croire parce qu’elle se
l’est fait croire que les lendemains seront roses sinon
rouges. Ce n’était pas son premier rôle au cinéma : elle
avait été découverte par
Xie Tieli (谢铁骊),
son premier rôle datant du film de 1991 « Dans une ancienne
tombe » (《古墓荒斋》),
adapté des « Chroniques
de l’étrange » de Pu Songling (蒲松龄
《聊斋志异》),
qui sera l’un des derniers films de ce réalisateur dont Li
Shaohong avait été l’assistante à ses débuts.
« Baober in Love », c’est
aussi une photographie superbe, toujours de Zeng Nianping,
et une postproduction détonnante (faite en France), dopée
aux effets spéciaux. C’est un film qui a surpris, voire
enchanté, à l’époque. Mais il est finalement moins
intéressant, avec le recul, que le film suivant, qui
mériterait d’être plus connu.
2005 : Stolen Life
« Baober in Love » a été suivi
l’année suivante de « Stolen Life » (《生死劫》),
de nouveau avec Zhou Xun.
Stolen Life
Le film est encore une sombre
histoire : celle d’une jeune femme dont la mère, envoyée à
la campagne pendant la Révolution culturelle, a épousé un
paysan. Ne voulant pas que sa fille grandisse à la campagne,
elle l’a envoyée toute jeune à Pékin, chez sa mère.
Cependant, la jeune Yanni (嫣妮)
est devenue renfermée et taciturne. Quand elle rencontre un
chauffeur de camion qui se montre attentionné et l’entoure
de l’affection dont elle manque, elle en tombe amoureuse,
pour s’apercevoir ensuite de son erreur : l’homme voulait
juste avoir des enfants qu’il puisse vendre.
Là encore, bien des films
chinois ont traité de sujets analogues depuis lors, mais
celui de Li Shaohong reste injustement méconnu, sans doute
parce qu’il n’a pas suffisamment de stars au générique. Il
est malgré tout noté 7.8 sur douban.
2006 : The Door
.
« The Door » (《门》)
est un film d’horreur inspiré d’un roman publié en
2006, initialement intitulé « À la croisée des chemins » (《三岔口》),
d’un auteur renommé en Chine pour ses sanglants romans
policiers, Zhou Dedong (周德东).
L’intrigue du roman tourne autour de deux amis qui cherchent
à se venger d’un troisième, Jiang Zhongtian (蒋中天),
qui a escroqué le premier et a subtilisé la petite amie du
deuxième ; leur vengeance est de réussir à traquer Jiang
Zhongtian de manière à provoquer chez lui une dépression
nerveuse. Le titre du roman a été changé pour reprendre le
titre du film.
Le roman de Zhou Dedong
Le film, cependant, se
concentre sur le personnage de Jiang Zhongtian, qui est au
bord de la dépression, mais pour des raisons différentes. Il
a en fait une obsession lancinante, concernant sa petite
amie Wen Xin (文馨) :
il est persuadé qu’elle le trompe avec un de ses ennemis de
toujours. Mais cette obsession est doublée d’une autre, qui
le taraude encore plus : l’idée qu’un autre camarade
d’enfance, devenu chauffeur de taxi, a tenté de la violer.
La chute finale arrive comme une surprise, bien qu’ayant été
subtilement distillée dès le début.
Le film de Li
Shaohong
Li Shaohong a dédié son film à
Hitchcock, mais il n’a rien de « hitchcockien ». Il ferait
plutôt penser à « Repulsion » de Polanski, dans un cycle
infernal assez proche de celui qui pousse Deneuve vers la
folie dans son appartement londonien. Mais Li Shaohong,
elle, joue à plaisir des surfaces de verre et d’acier de
Chongqing, et du bruit récurrent du train qui passe devant
la fenêtre, scandant de manière lancinante le quotidien de
Jiang Zhongtian, filmé par Zeng Nianping dans des couleurs
grises qui semblent refléter la solitude et le vide du
personnage. Il faut souligner la musique du film, signée
Liu Sola (刘索拉).
C’est alors que Li Shaohong
accepte de reprendre le tournage du feuilleton télévisé
adapté du « Rêve dans le pavillon rouge ».
2010 : le désastre du
« Hongloumeng »
Il s’agissait d’une
nouvelle
adaptation télévisée, en cinquante épisodes,
du grand classique « Le rêve dans le pavillon rouge » (《新红楼梦》),
produite par Han Sanping (韩三平).
C’est restée l’un des feuilletons les plus chers de la
télévision chinoise : 118 millions de yuans, soit environ
17,5 millions de dollars.
Il devait initialement être
réalisée par
Hu Mei (胡玫).
Or, le principal investisseur,
Central Motion
Pictures, ayant décidé d’organiser un grand show télévisé
pour sélectionner les acteurs et actrices en faisant voter
le public, Hu Mei protesta en disant qu’elle se réservait de
revenir sur le choix qui serait fait, sur quoi le producteur
déclara que, si la réalisatrice n’était pas contente, ils en
changeraient. Ce qui fut fait, en octobre 2007 : Hu Mei fut
remplacée par Li Shaohong.
Le Hongloumeng de Li
Shaohong : A Dream of Red Mansions
Durant trois mois suivant la
diffusion du feuilleton, les critiques les plus virulentes
n’ont pas cessé, en particulier de la part des spécialistes
du roman, outrés du traitement des personnages, de
l’inexpérience des acteurs, et des choix esthétiques en
général, les critiques non littéraires se focalisant surtout
sur les costumes et les maquillages. Ceux-ci ont été accusés
d’uniformiser les personnages au lieu de les individualiser,
mais ce sont les coiffures qui ont suscité les pires
diatribes ; adaptées de l’opéra kunqu, elles
faisaient aux actrices des « têtes qui ressemblent à des
pièces de monnaie en cuivre » (铜钱头).
L’atmosphère, ont dit aussi ces critiques, serait plutôt
celle d’un film d’horreur ou de fantômes, en particulier à
cause de la musique et des éclairages. Le feuilleton a
pourtant de très belles scènes et les costumes sont
superbes.
Lin Daiyu
On a enfin reproché au film le
choix stylistique du ‘voice over’ : une voix d’homme récite
des passages entiers du livre, d’une voix forte qui domine
parfois les dialogues, procédé qui a été jugé grossier
Ployant sous l’avalanche de
critiques, Li Shaohong a ‘craqué’ lors de la présentation de
la série à la presse, le 7 juillet, jour de son
anniversaire : elle s’est effondrée en pleurs. Le problème
est que tout le monde avait en tête les images de la
précédente adaptation télévisée, réalisée en 1987, qui avait
été un succès sans précédent. Mais cette adaptation avait
été elle-même fraîchement accueillie au début, avant de
devenir le succès qu’elle a été. Comme tous les grands
classiques, comme les grands opéras aussi, « Le rêve dans le
pavillon rouge » est une œuvre qui suscite aussitôt la
controverse dès qu’on y touche.
Li Shaohong en pleurs lors de
la présentation
du feuilleton à la presse
Les réalisateurs lui ont
manifesté leur soutien en la nommant présidente de leur
association en 2012. Mais Li Shaohong va traverser une
période de purgatoire et ne plus travailler que pour la
télévision pendant près de dix ans. Et quand elle revient au
cinéma, elle semble avoir été quelque peu usée par ce
passage dans les arcanes de la télévision.
2018 : « A City Called
Macau »
Sorti le 12 décembre 2018, « A
City Called Macau » (《妈阁是座城》) est adapté du roman éponyme de l’écrivaine
Yan Geling (严歌苓),
publié en janvier 2014, ce qui était au départ une idée
intéressante. Le film était en outre programmé pour marquer
le 20e anniversaire du retour de Macao dans le
giron de Pékin, en 1999.
A City Called Macau
Yan Geling a fait de son roman
une sorte de documentaire sur l’économie et le
fonctionnement des casinos de Macao qui constituent la toile
de fond de son récit, et même la matière première, en
quelque sorte, car le personnage principal du roman est une
femme qui est croupière et Yan Geling était elle-même allée
jouer pour se mettre dans la peau de son personnage. Ce rôle
féminin étant confié à l’actrice Bai Baihe (白百何),
on a pu voir dans le film l’œuvre d’un trio féminin
prolongeant l’écriture du roman.
Mais le roman s’est révélé
difficile à adapter pour le rendre vivant, car beaucoup de
scènes se passent autour des tables de jeu, et de roulette
en particulier – et encore la censure en a supprimé pas mal,
pour éviter de voir le film devenir une sorte de mode
d’emploi du jeu de roulette en casino. L’histoire même de la
croupière succombant à ses sentiments, et du coup se
ruinant, traîne un peu en longueur. De l’avis de la majorité
des critiques, le film manque un peu de vie…
C’est malheureusement le rare
film de Li Shaohong que l’on trouve facilement.
En 2020, Li Shaohong a
participé à une anthologie féminine de trois courts métrages
sortis en septembre 2022 sous le titre commun « Her Story »
(《世间有她》)
et réalisés par
Sylvia Chang (张艾嘉),
Joan Chen (陈冲)
et elle-même. Il s’agissait d’offrir une vision féminine de
l’année 2020, marquée par l’épidémie mondiale de covid19.
Elle est ensuite revenue vers
la télévision en 2021 pour réaliser un feuilleton
« historique en costumes » de 61 épisodes se passant sous
les Song : « The Palace of the Song Dynasty » (《大宋宫词》).
Le feuilleton a été diffusé sur iQiyi, Tencent Video et
Youku Video en mars 2021, puis sur Jiangsu Satellite TV.
Elle a réalisé un court
métrage en 2024, mais on attend son retour au cinéma…
[1]
Comme
Yan Geling (严歌苓)
à peu près au même moment, avec laquelle Li Shaohong
travaillera plus tard pour adapter l’un de ses
romans à l’écran.
[2]
Et bien plus encore
Liu Miaomiao (刘苗苗)
qui était pourtant au départ la petite surdouée de
cette promotion, dont elle était la benjamine,
entrée à l’Institut à l’âge de 16 ans.
[3]
Selon Ni Zhen, Memoirs from the Beijing Film Academy
(倪震,《北京电影学院故事——第五代电影前史》),
trad. Chris Berry, Duke Academy Press 2002, p. 27.
[4]
Traduit en français « Visages fardés », trad. Denis
Bénéjam, Philippe Picquier, 1995.