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Vers
une reconnaissance officieuse du festival du cinéma
indépendant de Nankin ?
par Brigitte
Duzan, 08 novembre 2011
La
8ème édition du
festival du cinéma indépendant de Nankin
a fermé ses portes le 1er novembre
dernier avec aussi peu de publicité qu’elle avait
commencé. Elle a pourtant été importante à plus d’un
titre, et d’abord par les films qu’elle a mis en
lumière.
Les prix du
festival
C’est
« N°89 Shimen Road » (《黑白照片》) de
Shu Haolun (舒浩仑)
qui a été couronné du prix du meilleur film de
fiction à la. C’est
un passage réussi du documentaire à la fiction pour
ce jeune réalisateur connu jusqu’ici pour deux
excellents documentaires, le dernier,
« Nostalgia »
(《乡愁》),
en 2006,
étant une sorte de préfiguration du film actuel.
Les deux
films qui se sont ensuite partagé le prix spécial du
festival ne présentent aucune surprise, on aurait
même pu |
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Affiche du film « N°89
Shimen Road » |
les mettre hors
compétition : « Celestial Kingdom » (《天国》)
de Wang Chao (王超)
et « Old Dog » de
Pema Tseden (万玛才旦).
Plus inattendu est le prix du meilleur nouveau réalisateur
qui va à un jeune diplômé de l’Académie du film de Pékin,
Zhang Ciyu (张次禹),
pour son premier film : « Pear » (《梨》).
Affiche du film
« Shattered » |
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Quant au
"True Character award", créé cette année pour
récompenser le personnage le plus ‘vrai’ des films
programmés, il est allé au personnage principal du
film de Xu Tong (徐童)
« Shattered » (《老唐头》) qui était présenté en ouverture du festival. Il s’agit de la troisième
partie d’une « trilogie du vagabondage » (游民三部曲) qui est plutôt une trilogie de la marginalité ; le personnage
principal, Tang Caifeng (唐彩凤),
est une femme qui a trempé dans des
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affaires peu
reluisantes, de l’exploitation de mines illégales à
l’exploitation des femmes ; après avoir purgé une peine de
prison pour proxénétisme, elle rentre chez elle, ou plutôt
chez son père, un vieil homme irascible de 90 ans…
Un festival
implicitement reconnu ?
C’est un beau
tableau de chasse pour un festival en situation
inconfortable, dont les lendemains sont toujours incertains.
Il faut noter cependant que, contrairement au
festival de Pékin,
obligé de déménager in extremis peu de temps auparavant, il
n’a pas été inquiété. Il est vrai que la publicité avait été
limitée au strict minimum, y compris sur le campus de
l’université de Nankin où il avait lieu, ce qui n’a
d’ailleurs pas empêché un public nombreux de se presser aux
portes à chaque séance, y compris des professionnels
étrangers à la recherche de bons films à acheter.
C’est cette
réputation de qualité qui vaut peut-être aujourd’hui
au festival une évolution progressive de l’attitude
des autorités à son égard. Révélateur d’un possible
changement d’état d’esprit est un article
étonnant du Global Times, organe de presse
officiel réputé pour son conservatisme, repris sur
le site non moins officiel |
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La rhapsodie de ma
mère, calligraphie du réalisateur |
chinesefilms.cn,
organe de promotion des grands films commerciaux des studios
officiels.
Eloge du
documentaire comme outil privilégié d’observation de la
société
Daté du 4 novembre,
l’article commente les films présentés au festival, et les
prix décernés (1). Ce sont les documentaires qui sont mis en
avant, mais surtout pour souligner ceux qui vont dans le
sens d’une observation sociale pas trop critique, ou au
moins pleine d’humour :
-
« My Mother’s
Rhapsody » (《萱堂闲话录》)
de Qiu Jiongjiong (丘炯炯)
: tableau d’une grand-mère volontaire qui, ayant épousé un
acteur de théâtre contre la volonté de ses parents, « a
passé le reste de sa vie à le regretter » (selon le
commentaire de Global Times) ; le film montre avec humour
les efforts déployés par sa famille pour lui trouver une
maison après la démolition de la sienne ;
- « God
Bless You » (《上苍保佑》)
de Li Mao (李淼)
: peinture des relations entre cadres et habitants d’un
village, dans le région des montagnes Qinling, alors qu’ils
essaient de reconstruire une église ;
- « Seven
Days in a Year » (《一年中的七天》)
de Wang Hao (汪浩),
dans la catégorie des courts métrages : reportage plein
d’humour dans un bureau municipal d’un district de Chongqing
chargé de la supervision d’internet, mais dont la principale
activité est de former des spécialistes du « wumaodang »
(五毛党),
ou ‘bande aux cinq centimes’ – ces internautes formés pour
noyer les forums internet d’opinions favorables au
gouvernement, et payés cinq centimes par intervention.
Le film de
Shu Haolun est également mentionné, bien qu’avec la
réserve requise s’agissant de l’histoire d’un jeune
garçon et de ses relations avec deux femmes dont
l’une est « secrètement une prostituée ».
Ce qui
frappe le plus, c’est le ton généralement positif de
l’article, mais le plus intéressant tient aux
raisons de l’intérêt manifesté soudain pour un
cinéma habituellement voué aux gémonies.
Eloge du
cinéma indépendant pour son potentiel commercial
L’article
du Global Times commence par souligner le succès de
la manifestation, et le fait que le festival attire
« des acheteurs et des programmateurs de festivals
américains et européens ». |
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Affiche du film « God
Bless You » |
Vient ensuite une
phrase sidérante dans le contexte actuel : « Le potentiel
commercial et culturel des réalisateurs indépendants n’a pas
échappé à l’attention des autorités gouvernementales dont
plusieurs représentants ont assisté au festival pour la
deuxième année consécutive… » bien que, ajoute le
journaliste avec humour, ce ne fût pas à la cérémonie
d’ouverture, celle qui projetait le film de Xu Tong, mais le
lendemain, à une séance « qui présentait des fleurs plutôt
qu’une ex-proxénète ».
Selon le journal, y
assistait le directeur adjoint de la propagande de la
province du Jiangsu (dont Nankin et la capitale). Il a,
conformément à sa fonction, appelé à soutenir des « œuvres
d’un potentiel international apte à promouvoir les "valeurs
traditionnelles chinoises". » Fermez le ban. Il n’en reste
pas moins qu’il était là.
Outre le rappel
obligé de la nécessité d’un respect des « valeurs
chinoises », sa présence manifestait d’une manière ou d’une
autre ce nouvel intérêt des autorités qui apparaît de façon
liminaire dans le commentaire répété sous les deux photos de
films illustrant l’article :
« pushing
boundaries while offering commercial promise ».
Un prochain
slogan pour le cinéma indépendant chinois ?
(1)
http://www.chinesefilms.cn/1/2011/11/04/201s5573.htm
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