par Brigitte Duzan,
8 avril 2010, révisé 10 novembre 2011
« Nostalgia » (《乡愁》)
est le second documentaire du réalisateur
indépendant de Shanghai,
Shu Haolun (舒浩仑).
Réalisé en
2006, il dépeint la disparition d’un des plus vieux
quartiers du centre de Shanghai, rasé pour faire
place à un projet immobilier d’un groupe de Hong
Kong qui l’avait acquis en 2002 : le shikumen
(石库门)
Dazhongli (大中里).
C’était chez lui, et c’est en rentrant pour les
vacances, cet été 2002, qu’il a appris la nouvelle :
il décida tout de suite d’en préserver le souvenir.
Le
documentaire nous fait découvrir la vieille madame
Shu qui vivait là depuis 1935, date de la naissance
de son fils. Elle avait 29 ans quand elle s’est
installée dans ce pâté de maisons typiques de ces
années-là, mêlant architecture chinoise
traditionnelle et architecture occidentale, le long
d’une allée ornée d’une arche de pierre à l’entrée
(d’où le nom de shikumen). Elle a vécu plus
de 70
Affiche du film
« Nostalgia »
ans dans son
appartement de 36 m2, témoin de la guerre, de la fondation
de la République populaire, de la période héroïque des
années cinquante et soixante, de la Révolution culturelle,
puis de la politique de libéralisation et jusqu’au boom
économique des années 1990. Et maintenant, elle était témoin
de la démolition du vieux Shanghai, et de sa maison.
Shu Haolun en train de
filmer « Nostalgia »
C’était la
grand-mère de Shu Haolun. Elle est morte en 2006, à
l’âge de 91 ans. Le film est son histoire, et celle
de son petit-fils, qui en est le narrateur. C’est
une histoire très personnelle (un « essai
personnel » dit Shu Haolun), avec des séquences en
noir et blanc sur son enfance, quand il courait sur
les toits pour s’amuser, ou faisait la queue pour
obtenir une ration de riz. Les souvenirs du
réalisateur viennent se mêler à ceux des autres
habitants du quartier, aux amis qui venaient jouer
au mahjong avec la vieille grand-mère
(superbe
image de la table
de mahjong devant la fenêtre ouverte, à la Rembrandt), ou
s’installaient dans la ruelle les jours d’été.
Tous ces souvenirs
forment ainsi une mémoire collective que le film tente de
préserver, et où les vieilles maisons continueront à vivre.
Mais le mode de vie, la culture urbaine qui leur était liée
aura disparu. Car ce qui attriste le plus, c’est ce qui
remplace ces vieux quartiers, la ville moderne pour élite
branchée, expatriés et touristes qui leur est substituée,
comme à Xintiandi.
Le film a été
projeté à Paris début avril 2010, dans le cadre du cycle
Shadows, à quelques semaines de l’inauguration de
l’exposition universelle de Shanghai dont le logo était,
justement, « Meilleure ville, Meilleure vie » (“城市,让生活更美好”),
et pour laquelle Lu Chuan (陆川)
avait réalisé un court métrage de commande intitulé « Des
progrès magnifiques » (《美的历程》).
Le rapprochement est tristement ironique, car, finalement,
ceux à qui la ville offre une meilleure vie, ce sont ceux
qui ont les moyens de se l’offrir.
Et pas seulement en
Chine. Le film de Shu Haolun a valeur universelle.