Gros succès de
« Monster Hunt » et « Monkey King » en Chine en juillet,
mais dans un marché protégé
par Brigitte Duzan, 8 août 2015
Le mois de juillet 2015 aura été un mois de nouveaux records
au box office chinois. En ce début de période estivale, avec
885 millions de dollars, les recettes ont largement dépassé
le record atteint le mois précédent, qui était de 660
millions. Qui plus est, les statistiques précisent que ce
chiffre a été atteint avec 95 % de films chinois. Il serait
quand même un peu rapide d’en conclure illico que le cinéma
chinois est en train de gagner la bataille engagée contre
Hollywood.
Deux films largement en tête
Le record statistique de juillet est essentiellement
dû à deux nouveaux films, animés ou partiellement
animés : « Monster
Hunt » (《捉妖记》)
et un nouveau film de la série
Monkey King, « Hero Is Back » (《西游记之大圣归来》).
Ils étaient particulièrement adaptés au public
chinois de juillet, laissant leurs concurrents loin
derrière eux.
Une histoire de monstres modernisée
Sorti sur
les écrans chinois le 16 juillet 2015,
« Monster
Hunt » a
engrangé à lui seul plus de 310 millions de dollars
de recettes au 7 août, se plaçant ainsi au troisième
rang en termes de box office derrière les deux
séquelles hollywoodiennes, « Fast
and Furious 7 » en
2015 and « Transformers
4 » en
2014.
C’est le premier film de
Raman Hui (许诚毅),
cinéaste né à
Monster Hunt
Hong Kong mais formé aux Etats-Unis ; encore peu connu, il a
cependant déjà de bons états de service, ayant, entre
autres, travaillé sur « Antz », supervisé l’animation des
deux premiers « Shrek » et coréalisé le troisième.
Le petit monstre Wuba
胡巴
Avec son coscénariste Alan Yuen (袁锦麟),
il a conçuune histoire qui replonge aux sources de
la tradition du shenguai chinois, en partant
d’un mythique royaume de monstres agité par une
guerre civile, pour en arriver à la perpétuation de
l’espèce dans un village où un bébé monstre né
miraculeusement d’un père porteur (!) se donne des
ambitions messianiques. Le scénario est d’un
loufoque achevé, cela part un peu dans tous les
sens, mais c’est drôle, entre wuxia,
fanteastique shenguai et comédie à la Shrek.
Ce qui fait le succès du film, ce sont surtout ses
interprètes, avec en tête d’affiche des stars de
Hong Kong aussi bien que du Continent - citons, pour
donner une idée et dans le désordre : Sandra Ng (吴君如),
Eric Tsang (曾志伟),
Tang Wei (湯唯),
Bai Baihe (白百何),
Jing Boran (井柏然),
Jiang Wu (姜武),
etc…
Bande annonce
Un nouveau Roi singe
Le nouveau
film d’animation mettant en scène le Roi singe,
« Hero Is Back » (《大圣归来》),
a fait, lui, 131 millions de dollars de recettes
pendant la même période, de la mi-juillet au 7 août.
Il a établi un record inégalé à ce jourpour un film
d’animation au box office chinois, détrônant le « Kung
Fu Panda 2 » hollywoodien qui avait établi le
précédent record, en 2011.
Le Singe est de retour
!
Avec une nouvelle
équipe
Le plus étonnant est que les cinémas l’avaient
boudé, en pensant que le public était saturé de
films sur le Singe. Les réactions sur les forums
internet leur ont fait changer leur fusil d’épaule :
ils ont quadruplé le nombre d’écrans projetant le
film, avec le résultat affiché.
Qui plus est, le nouveau Monkey King est en passe
d’établir une franchise à l’américaine, avec
retombées commerciales en produits dérivés,
dont, déjà, un contrat avec la firme pékinoise Chukong
Technologies (北京触控科技)
dans le but de créer un jeu pour mobiles.
Bande annonce
On peut quand même s’étonner du succès de ces deux films :
il est indéniable, mais il est quand même à pondérer.
Réactions enthousiastes, mais marché protégé
Si les réactions sont enthousiastes, les films ont bénéficié
de la protection implicitement accordée au marché national
en juillet.
Réactions enthousiastes
Les spectateurs affichent leur enthousiasme sur les forums
internet et les pages genre weibo. C’est un enthousiasme
très souvent empreint d’émotion, comme ce témoignage sur
Weibo d’un jeune sortant du cinéma après avoir vu « Herois
Back » :
Le petit monstre a un
succès fou, même Jia Zhangke l'a adopté
« Herois
Back » a balayé d’un coup le voile de faiblesse qui
enveloppait les films d’animation chinois, et a établi un
nouveau standard pour l’industrie nationale de l’animation.
Quand je suis sorti du cinéma, je me suis mis à
pleurer, sans trop savoir pourquoi, si c’était parce que le
héros n’était pas mort, ou parce qu’il était très seul. … »
Mais, comme les statistiques affichent en outre un taux de
95% pour la part du box office détenue par les films
nationaux en juillet, les critiques comme le public vont
jusqu’à célébrer la renaissance des films nationaux, et leur
nouvelle compétitivité vis-à-vis de Hollywood, telce
spectateur qui a posté un commentaire plein d’humour sur un
miniblog
[1] :
"Quand j'étais petit, la bouffe à la maison était bien,
celle des voisins aussi. Je mangeais deux jours chez moi,
deux jours chez les voisins, c'était génial.
Mais, quandj'ai
grandi, la bouffe familiale a été de pire en pire. J'ai été
obligé d'aller m'inviter chez les voisins. Cela a duré
pendant près de 20 ans. Mes frères et sœurs ont mangé de la
merde, tout ce temps-là, et au bout du compte ont fini par
ne plus savoir distinguer le bon du mauvais.... Et puis un
jour, dans la cuisine de la maison, j'ai senti une odeur,
oui, une odeur de nourriture, pas de merde. Cela avait
quelque chose d'ancien, mais en même temps cela rappelait la
bouffe des voisins. Ohé les
enfants, revenez, on va manger à la maison !"
Il ne faut cependant pas s’emballer trop vite, et céder sans
réfléchir à l’éblouissement des chiffres. Le succès est
quand même dû en grande partie aux conditions du marché.
Marché protégé en juillet
Affiches devant un
cinéma à Pékin :
la concurrence entre
le Singe et le petit monstre
L’ex-SARFT, l’organisme de réglementation et régulation du
cinéma, de la radio et de la télévision (auxquels ont
récemment été adjoints la presse et l’édition), a accru en
2012 de 20 à 34 le quota annuel officiel de films étrangers
qui peuvent être diffusés dans les cinémas chinois ; malgré
le quota, en 2014, leur part de marché s’est établie à 61%,
pour seulement 11% des titres.
Mais il y a en outre une disposition non officielle, un
simple « encouragement », visant à privilégier les films
nationaux pour les sorties de juillet. Il a été surnommé
« le mois de protection de la production cinématographique
nationale » (“国产电影保护月”).
Il convient donc de relativiser les 95 % de parts de marché
que cette « production nationale » s’est arrogée en
juillet…. Ce qui n’enlève rien à l’enthousiasme suscité par
un film comme
« Monster
Hunt ».
Il marque effectivement un progrès dans ce genre de film
grand public directement concurrent des grosses productions
hollywoodiennes, « Kungfu Panda » en tête. Ce n’est pas pour
rien qu’a été laissé loin, en troisième position, un film
comme
« Lady of the Destiny » (《王朝的女人.楊貴妃》),
énième adaptation de l’histoire de Yang Guifei (杨贵妃)
réalisée par un certain Shi Qing
[2]
pour China Film, avec Fan Bingbing (范冰冰)
dans le rôle-titre et Leon Lai (黎明)
dans celui de l’empereur Xuanzong. Si le Singe continue à
faire recette, il faudrait un réalisateur inspiré pour
s’attaquer à Yang Guifei.
De manière générale, ces succès de juillet ne font que
confirmer les caractéristiques de base très limitatives, en
termes d’âge et de goûts, du public chinois actuel qui va au
cinéma. Et il faut attendre les prochaines sorties pour
réexaminer la situation des films nationaux vis-à-vis de
leurs concurrents étrangers.
[2]
Sous le nom de Cheng Shiqing (程十庆),
il est l’auteur du scénario du « Codename Cougar » (《代号美洲豹》),
l’une des premières tentatives commerciales de
Zhang Yimou,
en 1989, dont l’intérêt principal est qu’il est
interprété par
Ge You (葛优)
et Gong Li
(巩俐).