Le festival Shadows est depuis 2006 une vitrine bienvenue et attendue du cinéma indépendant chinois. Bisannuel, il en est cette année à sa

cinquième édition.

C’est une édition qui reflète les difficultés rencontrées par les cinéastes qui se veulent encore indépendants aujourd’hui, dans une Chine qui ne considère plus guère le cinéma que comme une industrie. La notion même d’indépendance y prend une signification en pleine évolution : ce n’est plus tant une indépendance vis-à-vis du pouvoir ; il n’est plus tellement question d’engagement politique, tout au plus d’un œil différent sur le monde, et d’une recherche artistique visant à en témoigner en termes esthétiques traduisant une expression personnelle. 

Il faut un certain courage à un réalisateur chinois pour se tenir en marge, aujourd’hui, car cette marge n’est plus celle du pouvoir, c’est celle des financements et de la distribution :

Affiche du Festival Shadows 2014

Memories Look at Me

difficile à assurer, les salles étant en priorité réservées aux grands films commerciaux qui peuvent promettre la rentabilité recherchée ; quant aux festivals, en Chine même, qui assuraient il y a peu encore une certaine visibilité aux cinéastes en l’absence des possibilités de distribution normales, ils ont presque tous été interdits les uns après les autres.

Victime maintenant surtout des contraintes économiques, le cinéma indépendant se réduit donc peu à peu comme une peau de chagrin.  Et pourtant, c’est dans ce cinéma des marges que se situe le plus intéressant, au niveau artistique. Il y a encore là une vitalité, une réserve d’énergie et d’originalité qui préservent du déclin absolu un cinéma confiné aux résultats financiers.

Le festival présente une douzaine de films, moitié fiction, moitié documentaires, plus quatre courts métrages d’animation. C’est déjà remarquable, car la qualité des œuvres retenues est indiscutable.

Fiction

Parmi les films de fiction, nous en retiendrons quatre :

- le film de Song Fang (宋方), « Memories Look at Me » (《记忆望着我》), qui était attendu depuis qu’il a été présenté au 65^ème festival de Locarno, en 2012. C’est le premier film d’une jeune réalisatrice pleine de promesses, produit par la société de production Yihui Media (意汇传媒) lancée en juin 2012 par Jia Zhangke.

- le troisième film, tout aussi attendu, de Li Luo (李珞), dont

Emperor visits the Hell

on a vu le second film dans le cadre du cycle Shadows début 2013 : « Rivers and my Father » (《河流和我的父亲》). Son troisième film, « Emperor visits the Hell » (《唐皇游地府》), qui est aujourd’hui programmé, a obtenu le Dragons and Tigers Award for Young Cinema au festival de Vancouver en 2012. C’est à la fois un pastiche de trois chapitres du Xiyouji, Le Voyage à l’Ouest, mais aussi un clin d’œil à un autre film chinois de 1927.

- « The Cremator » (《焚尸人》), le troisième long métrage de Peng Tao (彭韬), sorti en 2012, dont le sujet au moins est original. On se souvient avec émotion du premier long métrage de Peng Tao : « La môme Xiao » (《血蝉》), en 2008.

- et "Four Ways to Die in My Hometown" (《我故乡的四种死亡方式》), le premier film de Chai Chunya (柴春芽), réalisateur du Gansu à découvrir.

Cremator

Documentaires

Parmi les documentaires sont à voir :

- la trilogie de Gu Tao (顾桃), et peut-être d’abord le second volet, sorti en 2011, « Yuguo et sa mère » (《雨果的假期》)  pour compléter le troisième volet qui vient d’être primé au festival Jean Rouch ; 

- « Stratum 1 : The Visitors » (《底层一：来客》) de Cong Feng (丛峰),  un documentaire de 2013 donné en première internationale, d’un cinéaste, poète et photographe, d’une grande sensibilité.

-  « Yumen » (《玉门》) de J.P. Sniadecki, Huang Xiang (黄香)et Xu Ruotao (徐若涛) : un film original sur l’ancien centre

Yuguo et sa mère

pétrolier de Yumen, aujourd’hui ville fantôme, doublé d’une histoire de fantôme filmé en 16mm… Le film est donc un travail de mémoire, sur une ville et un format tous deux parallèlement en voie de disparition.

- et « The Gleaners » (《拾穗》) de Ye Zuyi (叶祖艺), pour ceux qui aiment les rencontres avec les réalisateurs car Ye Zuyi sera présent lors des deux projections de son film et répondra aux questions du public.

Les courts métrages d’animation mériteront un développement à part entière.

Yumen