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Yin Mingzhu
殷明珠
Présentation
par Brigitte Duzan, 16 décembre 2018
Yin Mingzhu a été la première actrice à
interpréter le rôle principal dans un film
chinois, à une époque où les rôles féminins étaient
encore en majorité tenus par des acteurs.
Mais elle a aussi joué un rôle important dans la
production des films, aux côtés de son mari dans la
compagnie de production qu’il avait créée, et
qu’elle a contribué à renflouer de ses propres
deniers quand elle était au bord de la faillite.
C’est sans doute cet engagement total qui explique
sa longévité d’artiste, dans un monde où, le renom
des actrices tenant surtout à leur beauté, elles
étaient donc plutôt éphémères.
Jeunesse dorée et branchée
De son vrai nom Yin Shangxian (殷尚贤),
elle est née en 1904 dans une famille aisée à
Wujiang (吴江),
un district au sud de la ville de Suzhou dans le
Jiangsu. Son père |
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Yin Mingzhu |
Yin Xinghuan (殷星环)
était peintre et calligraphe, sa mère également lettrée.
Elle commença à apprendre à peindre avec son père dès l’âge
de cinq ans, puis fut confiée à une école locale originale,
Pearl White |
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fondée par le maître Ni Shouzhi (倪寿芝)
qui enseignait selon des méthodes modernes et
occidentales.
Son père mourut quand elle avait treize ans, mais en
laissant à sa veuve un billet gagnant de loterie qui
lui permit de déménager avec sa fille à Shanghai.
Shangxian put ainsi entrer à l’école de filles
prestigieuse, sélect et chère, ouverte dans la ville
par des missionnaires américains : the McTyeire
School for Girls (中西女中)
.
Elle reçoit là une éducation à l’américaine,
incluant danse, chant et sports, dont l’équitation.
En même temps, elle est influencée par une actrice
de feuilletons américains des années 1910, populaire
en Chine aussi pour ses films d’aventure dans un
genre de wuxia moderne américanisé : Pearl
White
.
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Yin
Mingzhu
se fait confectionner toute une collection de
vêtements et de chaussures et, à l’âge de 17 ans, au
début des années 1920, devient une figure en vue de
l’élite branchée de Shanghai, et une militante
féministe luttant, entre autres, contre la pratique
des pieds bandés, poursuivie malgré son
interdiction. Formant un trio de sœurs jurées avec
deux autres de ses camarades, elle est invitée avec
elles aux soirées mondaines. A l’une de ces soirées,
elle rencontre un jeune artiste qui s’était fait un
nom en peignant des femmes à la mode sur de jolis
calendriers :
Dan Duyu (但杜宇).
Il préparait son premier film et partageait le même
amour pour Pearl White. Elle accepta de jouer dans
son film.
De la jeune mondaine à l’actrice
Ce film, c’est « Sea Oath » ou « Le Serment de la
mer » |
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Dan Duyu |
(《海誓》),
produit par la Shanghai Shadowplay Company (cofondée par Dan
Duyu en 1920) et sorti en 1922. Yin Mingzhu y interprète le
rôle d’une jeune paysanne nommée Fuzhu (福珠),
c’est-à-dire la perle du bonheur. Elle tombe
amoureuse d’un artiste sans le sou auquel elle jure
fidélité, mais, peu de temps plus tard, est attirée par un
riche cousin qu’elle accepte d’épouser. Le jour des noces,
elle s’enfuit, revient vers son premier amour pour se faire
pardonner, mais, rejetée, tente de se suicider en se jetant
à la mer. Elle est sauvée in extremis par l’artiste.
Tourné à Zhabei, en lumière naturelle, le film accuse
beaucoup de faiblesses dans son imitation trop évidente de
mélodrames occidentaux, y compris dans sa scène conclusive.
Mais la critique fut unanime à louer l’interprétation de Yin
Mingzhu, désormais assimilée à la Perle du film… associée à
son nom de scène, Mingzhu, brillante perle. C’était
le premier rôle principal féminin interprété par une actrice
dans l’histoire du cinéma chinois, et dans un film qui
tranchait sur les comédies à la mode. Mais sa mère,
furieuse, lui interdit de recommencer.
L’année suivante, en 1923, elle aida donc son amie Fu Wenhao
(傅文豪)
à obtenir le rôle principal dans le film suivant de Dan
Duyu, « Les vagues du vieux puits » (《古井重波记》) :
l’histoire d’une jeune veuve qui aspire à se remarier. Autre
« femme moderne », Fu Wenhao tourna sans l’autorisation de
ses parents ; elle fut aussi la première femme à obtenir un
permis de conduire à Shanghai, dans la concession étrangère.
Mais se retira de la scène après un autre rôle, s’établit
comme médecin, puis se maria avec un marchand de thé.
Quant à Yin Mingzhu, elle disparut des écrans pendant trois
ans. Pendant cette courte période, la compagnie Mingxing (明星影片公司),
cofondée en 1922 par Zhang
Shichuan (张石川),
devint l’un des plus importants studios de Shanghai, grâce à
la popularité de ses quatre actrices principales,
Wang
Hanlun (王汉伦),
Yang Naimei (楊耐梅),
Zhang Zhiyun (张织云)
et Xuan Jinglin (宣景琳)
– baptisées « les quatre grandes dan » (“四大名旦”)
du cinéma de Shanghai
.
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Actrice représentative
des années 1920 |
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Donc, quand en 1925 Dan Duyu invita de nouveau Yin Mingzhu à
tourner avec lui, les actrices de cinéma jouissant d’un bien
meilleur statut que les actrices d’opéra auparavant, sa mère
ne s’y opposa pas. Le film dans lequel elle joua est le
fameux « Retour au pays » ou « Some Girl » (《重返故乡》),
une sorte de conte philosophique dans lequel elle interprète
le rôle de Pureté, aux côtés, entre autres, de
Xie Caizhen (谢采真) ;
après avoir été confrontée à l’attrait illusoire de
personnages aux noms symboliques, tels que Désir (色欲),
Argent (金钱),
Puissance (强权)
et autres, elle finit par rentrer chez elle (d’où le titre)
en trouvant refuge auprès de Vertu (贞洁)
et Honnêteté (诚恳).
Ce genre de narration symbolique semble avoir été à la mode
à l’époque, puisqu’on retrouve la même idée au théâtre, par
exemple, dans la pièce en un acte de
Pu Shunqing (濮舜卿)
intitulée « Aurore » (《黎明》),
et même dans sa première pièce, « Le Paradis sur terre » (《人间的乐园》),
où elle a introduit un personnage féminin nommé Sagesse….
Mais ce n’était pas dans le goût du public qui bouda le
film.
Actrice engagée dans la production
Dans The Spiders’ Cave |
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En 1926, le mari de Yin Mingzhu, qui était français,
repartit en France ; elle refusa de le suivre,
divorça et épousa Dan Duyu. Ils poursuivirent une
collaboration qui avait apporté la célébrité aux
deux, réalisant ensemble plus de trente films au
cours de la décennie suivante. Le plus célèbre et
leur plus grand succès commercial est, en 1927,
« The Spiders’ Cave » (Pan si dong《盘丝洞》),
adapté de deux épisodes du grand classique « Le
voyage en Occident » (Xiyouji
《西遊記》),
où Yin Mingzhu interprète le premier des « esprits
araignées ».
Le film fut suivi d’une séquelle en 1930, également
avec Yin Mingzhu, mais il ne nous reste pas de
traces de ce second film. On croyait le premier
perdu aussi, or une copie d’origine a été retrouvée
en 2013 dans les archives de la Bibliothèque
nationale de Mo i Rana en Norvège. Environ les ¾ du
film ont |
été préservés, avec les intertitres chinois d’origine.
Le film raconte comment, en cherchant de la nourriture, le
moine Xuanzang est capturé par sept araignées monstrueuses
qui ont pris l’aspect de sept très belles jeunes femmes. Le
Singe et les autres disciples le sauvent avec l’aide de
Guanyin. L’histoire est surtout traitée comme un
divertissement permettant de montrer sept actrices à moitié
dénudées pour attirer le public et améliorer les finances de
la compagnie.
Celle-ci a presque fait faillite après l’échec du film
tourné la même années, « La concubine impériale Yang » (《楊貴妃》),
dans laquelle Yin Mingzhu n’a pas pu jouer le rôle principal
car elle était enceinte. Elle apporta ses propres économies
pour renflouer la société, qui fut absorbée dans la Lianhua
en 1931. Dan Duyu tourna trois films l’année suivante,
toujours avec Yin Mingzhu dans le rôle principal, dont « La
beauté des mers du Sud » (《南海美人》)
où elle interprète le rôle de Linglong (玲珑).
Eclipse et mort à Hong Kong
Le film est sorti en 1934, mais le cinéma était en pleine
évolution avec l’avènement du parlant. Dan Duyu tourne deux
films : Yin Minzhu n’est plus au générique. Comme la plupart
des autres actrices du muet, elle ne peut pas se reconvertir
dans des films où il faut parler mandarin.
Quand Shanghai tombe aux mains des Japonais en août
1937, la famille part à Hong Kong dans le grand
exode des gens du cinéma de Shanghai. Comme elle
parlait bien l’anglais, elle réussit à se faire
embaucher par une banque, tandis que Dan Duyu
utilise ses dons de dessinateur pour devenir
caricaturiste. Yin Minzhu disparaît du cinéma. Elle
est décédée à Hong Kong en 1989.
Première actrice à tenir un rôle principal dans le
premier film chinois ayant une intrigue romantique
et tragique, elle est l’une des rares actrices de
l’époque à avoir continué aussi longtemps à jouer :
sa beauté en est sans doute une raison, ses dons
d’actrice aussi. Elle en inspirera d’autres - c’est
en la voyant à l’écran que
Yang Naimei (楊耐梅),
entre autres, décidera de se lancer dans la même
carrière. Mais c’est aussi parce qu’elle n’a pas été
seulement actrice : elle a épaulé |
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Yin Mingzhu, la
maturité |
Dan Duyu en participant à la production, comme coordinatrice
sur le plateau, et en renflouant même « leur » compagnie
quand elle s’est retrouvée au bord de la faillite.
Ce qui reste de sa maturité, ce sont les images d’une beauté
sereine et réfléchie.
Source documentaire
S. Louisa Wei, "Pearl
Ing"
,
in Jane Gaines, Radha Vatsal, and Monica Dall’Asta,
eds. Women Film Pioneers Project.Center for Digital Research
and Scholarship. New York, Columbia University Libraries,
2013.
En ligne :
https://wfpp.cdrs.columbia.edu/pioneer/pearl-ing/
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