« On the
Balcony » de Zhang Meng : autre film sacrifié sur l’autel de
la censure
par Brigitte Duzan, 27 août 2020
Sorti en mars 2019 sur les écrans chinois, « On the
Balcony » (《阳台上》)
est le cinquième long métrage du réalisateur
Zhang Meng (张猛).
Il est adapté d’une nouvelle éponyme, publiée en
2010, de l’écrivaine Ren Xiaowen (任晓雯)
[1]
Sur un balcon symbolique
Un scénario calqué sur la nouvelle
L’auteure de la nouvelle a également participé à la
rédaction du scénario, avec la scénariste Liu Ya (刘雅)
[2].
On retrouve les éléments clés de l’histoire, centrée
sur quelques personnages bien campés.
Zhang Yingxiong (张英雄),
le « héros », comme l’indique son prénom, est en
fait un anti-héros, un jeune garçon sous la coupe
d’un père autoritaire et violent ; introverti et
froussard, il est incapable de prendre des
décisions. La famille vit dans une vieille maison,
dans un quartier condamné à être rasé. A la suite
d’une violente altercation avec un responsable de la
On the Balcony,
affiche pour la sortie du film,
avec Zhou Dongyu
démolition, Lu Zhiqiang (陆志强),
le père a une attaque et meurt.
Zhang Yingxiong se promet de le venger et commence à suivre
et épier cet homme, aiguillonné par une sorte de voyou
sympathique, Shen Zhong (沈重),
avec lequel il travaille dans le restaurant où il s’est
embauché comme serveur. Une fenêtre du restaurant donnant
sur le « balcon » de l’appartement de Lu Zhiqiang il suit
ses faits et geste avec des jumelles
[3]
et découvre qu’il vit avec sa fille Lu Shanshan (陆珊珊).
Elle est adorable mais bizarre, et il développe peu à peu
pour elle des sentiments ambigus qui viennent saper son
désir de vengeance…
Une jeunesse désenchantée
Premières photos, juin
2018 : Lu Shanshan au petit
matin dans la
ruelle, suivie de Zhang Yingxiong
Ce que nous dépeint la nouvelle, et le film à sa
suite, c’est une génération de jeunes déracinés,
avec en toile de fond la perte de la figure
paternelle dans un pays livré aux bulldozers pour
faire table rase du passé. Ce ne sont d’ailleurs pas
seulement les pères qui sont absents, les mères le
sont aussi, ou du moins elles manquent dans leur
rôle essentiel à l’équilibre affectif de jeunes
livrés à la solitude urbaine.
Ce sont des jeunes sans racines et sans modèles, les héros
ne sont plus que dans les vieux films et les romans d’arts
martiaux. Alors ils se fabriquent des modèles trouvés au
coin de la rue, des gurus de fortune dont la révolte contre
le système qui les écrase ne trouve guère d’expression que
verbale, et d’exutoire dans la couleur provocante de la
teinture de leurs cheveux. De temps à autre une émotion
éphémère sourd des profondeurs, dans l’évocation du passé
qui n’est plus.
Le scénario, comme la nouvelle, est d’un pessimisme
aussi inéluctable que l’air du temps. C’est un peu
comme les films russes de la perestroika, mais
beaucoup plus léger, plus ambigu aussi, car il y a
l’image pour saper la tristesse ambiante.
Un style original
« On the Balcony » est un film dont les images
frappent par un style résolument original qui tend à
diluer l’atmosphère dans une brume qui nimbe le réel
jusqu’à lui donner une qualité irréelle. Zhang Meng
est parti de l’atmosphère de la nouvelle.
L’irréalité est créée par la distance, l’incapacité
à appréhender le réel.
Un filtre pastel colore la grisaille du quotidien de
couleurs fluo
Dans le quartier en
démolition
et lui donne un aspect irréel. Le monde de l’autre côté de
la rue est vu à travers des jumelles, insaisissable comme
les personnages qui se cachent derrière des apparences
trompeuses.
Le vieil immeuble de
Lu Shanshan, avec les balcons vitrés
La photographie est signée
Luo Dong (罗冬)
(qui a commencé sa carrière en travaillant avec
Stanley Kwan).
Il est shanghaïen et révèle une empathie naturelle
avec la ville en automne ; ses images brumeuses
accompagnent la frêle silhouette de Lu Shanshan qui
semble comme flotter à la surface des choses, toute
à sa folie, douce et tranquille.
La musique qui accompagne ses déambulations de quelques
notes sur cordes pincées est elle-même une création
originale.
Dans le film, enfin, les dialogues sont en shanghaïen, mais
on ne sait pas trop s’ils ont un effet de réalisme, ou au
contraire s’ils contribuent à un sentiment de distanciation.
Des acteurs menés par Zhou Dongyu
Le film repose en grande partie sur le duo des deux
acteurs qui interprètent les personnages de Zhang
Yingxiong et Shen Zhong, vu que le personnage de Lu
Shanshan est essentiellement muet, et que les autres
ne font que des apparitions rapides à l’écran.
L’acteur qui interprète le rôle de Zhang Yingxiong,
Wang Qiang (王锵),
né en 1996, est débutant. Il a l’âge de son rôle.
Comme, dans le film, il est un Shanghaïen pure
souche, et qu’il est en fait originaire
Lu Shanshan derrière
sa fenêtre
du Zhejiang (de Wenzhou), il a passé un mois à peaufiner sa
prononciation du dialecte de Shanghai.
Shen Zhong est interprété par Cao Rui (曹瑞),
dans un rôle de loser qui s’impose comme un guru improbable
au timoré Zhang Yingxiong. Leur duo culmine dans une
séquence surréaliste, où ils chantent leurs rêves envolés à
bord d’un vieux bateau abandonné, tout à fait dans le style
du Zhang Meng de
« A Piano in the Factory » (《钢的琴》),
avec ses personnages à la poursuite de leurs rêves dans un
décor industriel en ruines.
Zhang Yingxiong devant
les ruines de son ancienne maison
Tous deux manquent cependant quelque peu de
consistance, l’un un peu faible et l’autre un peu
outré, surtout comparés aux caractères subtils des
personnages de la nouvelle. C’est à
Zhou Dongyu (周冬雨)
qu’il incombe de mener le film, en interprétant le
personnage de Lu Shanshan, adorable jeune idiote, si
jolie et vulnérable qu’elle en est attirante ;
l’ambiguïté du personnage se
retrouve dans la silhouette fragile et le regard perdu de
l’actrice qui a décidément fait bien du chemin depuis sa
« découverte » par
Zhang Yimou, et son premier rôle dans
« L’amour
sous l’aubépine » (《山楂树之恋》),
en 2010 – auquel celui de Lu Shanshan fait automatiquement
penser.
Elle a en outre joué un rôle déterminant dans le
film car elle a contribué à sa production et son
financement grâce à sa société de production, Zhou
Dongyu Film & TV (周冬雨工作室).
Principaux rôles :
Wang Qiang
王锵 Zhang Yingxiong
Zhou Dongyu 周冬雨 Lu Shanshan
Cao Rui
曹瑞 Shen Zhong
Yao Peide
姚培德
le père
Wang Yaqin
王雅琴
la mère
Xu Jiangning
许江宁
Lu Zhiqiang
Ce qui manque le plus dans ce film, cependant, c’est
l’humour noir caractéristique de Zhang Meng, son
style incisif et décalé qui rend si bien
l’atmosphère des franges urbaines et des ruines
industrielles sans tomber dans la tristesse, et
encore moins les larmes d’un vulgaire mélo, car il y
a toujours chez ses personnages une formidable
capacité de rêve, et d’évasion par le rêve. Le film
n’est en fait que l’ombre de ce qu’il était au
départ.
Première affiche
promotionnelle, 30 novembre 2017, annonçant la
sortie du film en 2018
Un film mutilé par la censure
Le film a été tourné à Shanghai à la fin de l’automne 2017
(octobre-novembre). Il devait à l’origine sortir en juin
2018, mais les exigences commerciales et institutionnelles
ont fait capoter le projet.
On the Balcony,
nouvelle affiche (juin 2018),
sur fond de chantier
de démolition
Le première affiche promotionnelle a été publiée fin
novembre 2017. Le film a été présenté lors d’une
conférence de presse le 14 avril 2018, avec une
première bande annonce. Mais, le 24 mai, Zhou Dongyu
annonçait sur weibo que la sortie du film
était reportée. Fin janvier 2019, nouvelle affiche
et sortie en MV d’un thème musical, suivis d’un
résumé de l’intrigue fin février. Ce n’est que le 13
mars qu’a eu lieu la première du film, à Pékin.
On imagine le travail sur le film en coulisses pour
satisfaire les exigences de la censure. Il en est
sorti dénaturé, pâle reflet de l’intention
originale, qui reste à l’état de bribes dans la
qualité visuelle du film sorti sur les écrans. Aucun
effort n’a été tenté pour le présenter en l’état à
des festivals. On peut rêver d’un director’s cut qui
le rétablisse dans son intégrité première. En
attendant, on peut lire la nouvelle…
La nouvelle est en cours de
traduction en français, à paraître à l’Asiathèque en
mars 2021.
[2]
Liu Ya avait déjà été coscénariste des deux longs
métrages précédents du réalisateur, outre l’épisode
du film « Run for Love » (《奔爱》),
auquel
Zhang Menga
participé en 2016 avec quatre autres excellents
réalisateurs.
[3]Et en
ce sens le film rappelle « Fenêtre sur cour » de
Hitchcock.