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« Le fossé » : quand Wang Bing met en scène le souvenir d’une histoire occultée

par Brigitte Duzan, 11 mars 2012

 

Premier long métrage de fiction de Wang Bing (王兵), « Le fossé » (《加边沟》) a été le film "surprise" de la dernière Mostra de Venise, en septembre 2010.

 

Le contexte historique

 

« Le fossé » évoque le sort de quelque trois mille intellectuels envoyés dans le camp de Jiabiangou (边沟), dans le Gansu, au moment de la répression anti-droitiers, à la fin des années 1950. Le camp était au cœur du désert de Gobi, les détenus y furent soumis à des conditions de détention insoutenables : la politique désastreuse du Grand Bond en avant ayant provoqué, au début des années 1960, une famine qui fit quelque trente millions de morts dans la Chine entière, beaucoup périrent dans les fossés, creusés dans la terre, qui leur servaient de dortoirs… d’où le titre du film (1)

 

Lorsque Mao décida de purger les rangs du Parti et de resserrer les rênes après les

 

Le fossé, l’affiche

critiques du Parti jugées excessives lors de la campagne des Cent fleurs, des quotas furent institués dans chaque région, assignant des minima d’arrestations aux autorités locales. Les déportations massives furent donc souvent arbitraires, résultat de dénonciations et règlements de comptes. On estime que quelque 400 000 personnes disparurent alors dans les camps, tandis que sévissait la famine.

 

Le camp de Jiabiangou fut l’un des plus atroces de la période : sur les 3 000 détenus, 2 500 y moururent. Il fut fermé en 1961 – comme le montre la séquence conclusive du film - et le silence se fit sur cet épisode des aberrations maoïstes

 

Genèse du film

 

Wang Bing a mis six ans à préparer et réaliser son film dans le plus grand secret, à partir d’un projet initial à la résidence du festival de Cannes en 2005. Il est adapté d’un livre de Yang Xianhui (杨显惠) paru en 2003, intitulé « Adieu à Jiabiangou » (《告别加边沟》) (1) qu’il avait eu l’occasion de lire quand il était en résidence avec la Cinéfondation. C’est un livre faussement fictionnel, écrit à partir de témoignages d’anciens déportés survivants. Wang Bing est allé lui-même en interviewer certains ; ces rencontres lui

 

Wang Bing à la Mostra de Venise

ont fourni le ressort affectif direct qu’il lui fallait pour tourner.

 

Le déclic est venu de sa rencontre avec He Fengming (和凤鸣), d’où est né le documentaire du même nom. « Le fossé » (《加边沟》) est un hommage à son mari, mort dans le camp ; c’est aussi un hommage à tous les intellectuels victimes de la grande purge de 1958 dont les survivants furent encore poursuivis pendant toute la Révolution culturelle.

 

Les prisonniers à leur arrivée

 

C’est un drame humain d’une ampleur sans précédent que l’histoire officielle a soigneusement occulté car il dépasserait largement les trente pour cent d’erreur admis pour la politique maoïste. C’est un sujet peut-être encore plus tabou que la Révolution culturelle ; si nombre de récits ont maintenant été publiés sur cette période, ceux sur la campagne anti-droitiers et ses conséquences sont encore rares. D’où l’intérêt du livre de Yang Xianhui et du film de Wang Bing.

 

Mais, au-delà de l’intention, le film pose la question de la forme adoptée.

 

Une fiction contestable

 

Wang Bing en revient à la forme adoptée pour son court métrage « Brutality Factory », en 2007, c’est-à-dire à la fiction : il met en scène le souvenir. La fiction n’est pas dans l’histoire racontée, mais dans la manière de la représenter.

 

Il a beaucoup travaillé et a conceptualisé son sujet  de façon quasiment abstraite, en s’appuyant sur les images de son film précédent, « L’homme sans nom » ; il les a montrées à ses acteurs afin qu'ils imitent sa façon de bouger, à l'extérieur ou dans les espaces étroits des dortoirs, caves creusées dans la terre semblables celle de l’homme sans nom. Couverts de la poussière ambiante, les détenus qu’il filme ont exactement l’apparence de cet homme, comme autant de pions anonymes dans un immense engrenage. Il y a bien

 

Les prisonniers au travail

mise en scène, et l’idée même en est effrayante.

 

Wang Bing, cependant, n’est pas à l’aise dans la fiction. Il maîtrise mal la mise en scène, celle, en particulier, de la seconde moitié du film.  Il refuse d’ailleurs de se plier aux règles de la fiction, continuant à filmer indéfectiblement avec des techniques documentaires, si bien que sa fiction a la crudité sans concession de la réalité prise sur le vif. Comme il filme l’horreur d’un camp où les détenus meurent d’inanition à petit feu, ceci se traduit par des scènes insoutenables qui sont fondées sur la vérité historique telle qu’elle a été transmise par les survivants ; mais là où la littérature évoque, l’image montre ; or, comme l’a bien dit Doisneau, « suggérer, c'est créer, décrire, c'est détruire".

 

Dans le dortoir

 

Le problème est là. Pour traiter un tel sujet, le documentaire est impossible si l’on considère qu’il est fondé sur la relation directe avec le survivant qui témoigne. Mais la fiction s’avère difficile à maîtriser. Wang Bing est revenu plusieurs fois sur son film au montage ; fort heureusement, on lui a conseillé de couper la version initiale qui était beaucoup plus longue. Le récit, cependant, s’épuise dans la seconde partie, et Wang Bing a dû faire intervenir

un élément dramatique supplémentaire, en la personne de cette femme venue visiter son mari détenu, qui est fondée à la fois sur l’une des nouvelles de Yang Xianhui et sur le personnage réel de He Fengming. Malheureusement, Wang Bing continue de filmer la douleur brute, dans ses manifestations extérieures : on sent la mise en scène sans accéder à l’émotion de la fiction.

 

En réalité, un tel film ne peut être apprécié selon les critères habituels, il est au-delà du bon et du mauvais. Il est l’expression d’une libération, libération d’une obsession cauchemardesque qui empêchait de respirer, de vivre. Il faut peut-être le voir comme la traduction en images de ce cauchemar, transmis par des survivants, à valeur cathartique. 

 

Un film qui a le mérite d’exister 

 

Comme toujours dans de tels cas, on peut cependant se demander l’impact qu’aura finalement ce film. Il a été tourné avec l’aide et le soutien d’un nombre impressionnant d’institutions françaises et européennes, mais in fine pour le public chinois, et en particulier les jeunes Chinois qui ne connaissent rien de ce passé pourtant très proche, et semblent en outre s’en désintéresser. Or il n’a aucune chance d’être diffusé sur le continent, sauf en de rares occasions, très limitées.

 

Le fossé, la beauté des photos

 

Pour l’instant, il a été réservé à un public de festivals qui a porté Wang Bing aux nues, ou s’est tu respectueusement devant une œuvre courageuse.

 

L’espoir vient d’une nouvelle qui parvient ces temps-ci de Pékin : on en trouve des DVD pirates dans les rues…  Au-delà de toute polémique, il a le mérite d’exister, et finira peut-être par déclencher l’émergence d’un pan d’histoire occulté.

 

 

Reportage d’Arte

 

 

extrait 1

 

 

extrait 2

 

 

extrait 3

 

 

extrait 4

 

 

Notes

(1) Le titre 边沟 Jiabiangou  est le nom de l’endroit où était situé le camp ; il signifie littéralement " fosse/fossé ajouté(e) sur le côté/en bordure".

(2) Le recueil a été traduit en français, mais de l’anglais : « Le Chant des martyrs, dans les camps de la mort de la Chine de Mao », traduit de l’anglais par Patricia Barbe-Girault, Balland, juin 2010.

Yang Xianhui a passé cinq ans à interviewer des survivants du camp. Ces récits ont ensuite été  publiés sous forme de nouvelles, la première, parue en 2000, étant « La femme de Shanghai » : l’histoire d’une femme venue de Shanghai pour rendre visite à son mari détenu dans le camp, qui apprend en arrivant qu’il y est mort de faim. En 2003, ces nouvelles ont été publiées en Chine en un recueil dont treize ont ensuite été traduites en anglais en 2009.

Sur Yang Xianhui voir : http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_YangXianhui.htm

 

Note complémentaire

 

La qualité esthétique du film est indiscutable. Il bénéficie en particulier de photos somptueuses. Elles sont l’œuvre d’un jeune directeur de la photo qui vient de passer à la réalisation : Lu Sheng (卢晟). Son premier film, « Here, There » (《这里 那里》) , sorti en 2011, porte la marque de la même sensibilité artistique.

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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