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Le Cinéma d’auteur en Chine 

par Brigitte Duzan, 18 janvier 2018

 

Le cinéma d’auteur est un terme difficile à définir car c’est une notion subjective qui a pris des connotations diverses au fil du temps et selon les pays. On peut cependant dire qu’il est utilisé pour désigner un type de films intimement liés à la personnalité du réalisateur en tant que créateur et artiste ; il implique une cohérence artistique, un style novateur et une singularité d’approche. C’est une réaction à des formes cinématographiques dominantes, plus tournées vers le grand public et le marché.

 

A un moment où, depuis le début des années 2010, un cinéma d’auteur est en train de se développer en Chine, avec des structures de production nouvelles [1] et de nouveaux auteurs, il est intéressant de se demander comment il se définit dans le contexte chinois.

 

Genèse et développement du cinéma d’auteur

 

De la France

 

La notion de film d’auteur est née en France dans les années 1950, et s’est matérialisée dans les films de la Nouvelle Vague, sous l’influence des théories de Louis Delluc, André Bazin et Alexandre Astruc, à qui l’on doit en particulier le concept de "caméra-stylo" dès 1948 [2].

 

C’est dans un article des Cahiers du cinéma de février 1955 en défense du film de Jacques Becker « Ali Baba et les quarante voleurs » que Truffaut a lancé le concept de "politique des auteurs" [3], consistant à envisager un film comme un ensemble de choix esthétiques, et non comme une œuvre en termes d’histoire ou de genre. Le réalisateur comme auteur selon Truffaut revendique un style résolument novateur qui lui appartient en propre [4].

 

Liée à cette idée volontariste du cinéma est celle de cinéastes-auteurs à aimer, comme l’écrit Truffaut dans un article consacré à la défense d’un film de Fritz Lang : « Il faut aimer Fritz Lang. ».

 

A l’Europe et aux Etats-Unis

 

En Grande Bretagne, un mouvement similaire - le Free Cinema - s’est développé dans ces mêmes années 1950, en liaison avec celui, littéraire, des « Angry Young Men » : mouvement en rupture avec les conventions, appelant à une refondation visant à créer des œuvres plus personnelles, plus authentiques aussi, exprimant des préoccupations sociales. L’auteur devient créateur engagé, caractéristique que l’on retrouve dans les différents mouvements de Nouvelle Vague des pays de l’Europe de l’Est dans les années 1960 (Nouvelle Vague tchèque, Nouveau cinéma polonais, etc.)

 

Le concept a été repris en Allemagne, dans les années 1960-1970, dans le mouvement du Nouveau Cinéma allemand, par des réalisateurs comme Fassbinder, Werner Herzog, Wim Wenders, Volker Schlöndorff et autres. Assimilant la création cinématographique à la création littéraire, avec le même accent sur vision et style personnels, ils ont repris la métaphore de la "caméra-stylo". Œuvre d’un auteur, le film s’oppose donc, en particulier dans le monde anglo-saxon, aux produits de divertissement de l’industrie hollywoodienne.

 

A la fin des années 1960, profitant de la crise dans les grands studios, un mouvement reposant sur un concept très proche de celui de Truffaut, mais aussi du Nouveau Cinéma allemand dans sa dimension anti-hollywoodienne, s’est développé aux Etats-Unis : c’est le New Hollywood, ou American New Wave, qui a duré jusqu’au début des années 1980.

 

Et aux limites du concept

 

Enfin, au Danemark, en 1995, Lars von Trier et Thomas Vinterberg ont lancé le Dogme95 prônant une refonte radicale du cinéma d’auteur en réaction aux superproductions anglo-saxonnes et à leurs produits formatés. Dix ans plus tard, ils en ont abandonné l’esthétique radicale qu’eux-mêmes n’ont jamais totalement appliquée.

 

Critique

 

Cette conception qui fait du réalisateur le seul créateur de l’œuvre cinématographique a été contestée depuis les années 1990 comme étant trop limitative, et en particulier trop centrée sur la forme. La contestation est venue en particulier du critique franco-américain Noël Burch.

 

Dans ses différentes manifestations, le concept développé par Burch est une réaction "contre l’auteurisme", assimilé au modernisme dans sa dimension de culte de la forme et du style, tant en littérature qu’au cinéma. Modernisme né sous la plume de Théophile Gautier, dans sa préface de Mademoiselle de Maupin, pour vilipender toute prétention à voir une quelconque utilité dans la littérature, et défendant l’art pour l’art, contre Madame Bovary et la culture de masse.

 

Le modernisme au cinéma, en ce sens, est apparu avec Louis Delluc, fondateur au début du 20e siècle de la critique de cinéma : il ne s’intéressait qu’à la forme, et ses descendants directs sont les critiques des Cahiers du cinéma des années 1950. Or, selon Burch, dans ses extrêmes de purisme et d’abstraction définissant le cinéma d’avant-garde aussi bien que la musique de l’Ircam, le modernisme est essentiellement un culte du plaisir non partagé, assimilable au culte du marquis de Sade et opposant « l’illisibilité » des romans de Sade aux grands succès de librairie de ceux de Masoch.

 

Il y a donc, sous-tendant la notion d’"auteurisme" au cinéma, le goût élitiste de l’hermétisme, contre le plaisir partagé du cinéma "de masse", mais aussi l’idée implicite de cinéma de qualité, définie en opposition au cinéma de divertissement et au cinéma commercial.

 

Le cinéma d’auteur en Chine dans les années 2010

 

Le concept de cinéma d’auteur a émergé en Chine vers le milieu des années 2010 pour remplacer celui de cinéma indépendant né au début des années 1990. Ce cinéma indépendant était défini en opposition au cinéma officiel, celui des grands studios d’Etat, et il a prospéré pendant un certain temps dans une zone floue, tolérée par le pouvoir, avec pour vitrine, en Chine, quelques festivals qui ont peu à peu été interdits.

 

Mais ce cinéma se fondait sur une image d’opposition, redéfinie en termes d’indépendance du pouvoir et de ses normes. Il n’impliquait pas forcément une image de qualité, plutôt celle de regard critique, c’est-à-dire la primauté du fond sur la forme.

 

Le cinéma d’auteur chinois se démarque donc de cette définition en mettant l’accent sur la qualité intrinsèque de l’œuvre, en reprenant différents aspects du concept tel qu’il s’est développé en Occident, sans se limiter à la forme : cinéma d’auteur dans la lignée de Truffaut et de la caméra-stylo en termes de recherche stylistique, mais aussi cinéma d’auteur avec regard critique sur la société, comme dans le Free Cinema anglais, et cinéma d’auteur, enfin, en réaction contre le cinéma commercial hollywoodien.

 

C’est donc une notion plus vaste et plus ouverte que ce que l’on entend généralement en Europe par cinéma d’auteur au sens strict. On peut y inclure aussi bien des films comme « Angels Wear White » de Vivian Qu qui se démarquent par leur regard critique sur la société, dans une optique de cinéaste engagé, mais en restant dans une forme narrative assez traditionnelle, et des films comme ceux de Li Hongqi, Geng Jun ou Yang Zhengfan qui ont aussi un regard critique, mais dont la recherche stylistique est l’élément déterminant de la création.

 

Il est significatif qu’un nouveau festival de cinéma chinois à Paris, lancé en janvier 2017, ait adopté ce label - festival de cinéma d’auteur chinois - et qu’il débute au studio des Ursulines, créé en 1925 pour la projection de films d’avant-garde, faisant ainsi figure de précurseur des salles d’art et d’essai [5].

 

Brigitte Duzan

18 janvier 2018

 


 


[1] Dont Heaven Pictures, Blackfin et Nezha Bros

[2] C’est dans un article paru dans l’Ecran français en date du 30 mars 1948 que le jeune critique Alexandre Astruc définit son idée de "caméra-stylo" en assimilant le cinéma à une écriture et en faisant donc des réalisateurs des auteurs à part entière.

[3] Voir le numéro en ligne (n° 44), et l’article de Truffaut p. 45 :
http://ddata.over-blog.com/0/06/64/85/CAHIERS-DU-CINEMA-01/44.pdf

[4] Comme il le soulignera encore à propos du film de Becker « Touchez pas au Grisbi » : « Je ne dis pas que le Grisbi soit meilleur que Casque d'or, mais encore plus difficile. Il est bien de faire en 1954 des films impensables en 1950. »

[5] Salles indépendantes dont les programmes répondent à des critères spécifiques définis en droit français, et permettant l’obtention d’une subvention d’Etat.

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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