C’est le
dimanche 17 avril 2011 qu’a été inauguré, à Dali, au
Yunnan, le premier ‘musée d’histoire du film rural’
(中国大理农村电影历史博物馆). Il ne s’agit pas d’un musée sur l’histoire du film rural chinois, en
général, mais d’un musée à la gloire de la riche
tradition cinématographique de la région de Dali et
de ses « minorités nationales ».
Un musée
pour promouvoir la culture cinématographique locale
Le musée du film rural
de Dali, dans un ancien cinéma
Le musée est une
initiative de la municipalité de Dali (大理),
capitale de la préfecture autonome bai (白族自治州),
les bai étant l’ethnie minoritaire la plus importante
de cette mosaïque d’ethnies qu’est le Yunnan (un peu plus de
30 % de la population).
Située à grosso
modo égale distance de Kunming et de Lijiang, Dali a en
effet un passé cinématographique glorieux qui fait partie de
la culture locale et que la ville entend préserver tout en
en faisant une curiosité touristique.
Le cinéma a en fait
été introduit dans la ville par les missionnaires français,
à la fin de la dynastie des Qing et au début de la période
républicaine, soit au tournant du vingtième siècle. Ces
missionnaires (传教士)
projetaient des diapositives dans leur salle de réunion, et
les gens de Dali ont appelé cet ancêtre du cinéma « les
ombres électriques des missionnaires » (“土电影”).
L’exposition d’ancien
matériel
Par la
suite, dès les débuts de la République populaire, le
Yunnan est devenu un endroit privilégié pour tourner
des films reflétant un certain exotisme lié au
Yunnan dans l’imaginaire chinois, comme c’est le cas
de manière générale des provinces limitrophes
habitées par des ethnies minoritaires ; ce genre a
connu une soudaine renaissance aux lendemains de la
Révolution culturelle.
C’est ce
passé qu’entend faire revivre le musée de Dali.
Lancé avec un budget de 8 millions de yuans (environ
860 000 €), il a
réuni une
collection de quelque 6 200 pièces, par achat, don ou prêt.
Présenté dans dix salles d’exposition, elles vont des films
anciens eux-mêmes, aux affiches, photos et documents qui
leur sont liés, en passant par l’ancien matériel, de
tournage et de projection, et jusqu’aux vieux billets
d’entrée. Le musée est lui-même installé sur le site d’un
ancien cinéma du centre de Dali.
Mais ce qui est
particulièrement intéressant, ce sont les films de la
collection du musée, qui peuvent être projetés dans une
salle spéciale.
Un musée dédié à la
mémoire des films tournés dans la région
Les films vont, en
gros, du début des années 1950 aux années 1980, ce qui
couvre plusieurs périodes historiques qui ont exercé une
influence sur l’émergence et le développement du cinéma
chinois dans la Chine de Mao : les débuts de la République
populaire avec la mise en place de la collectivisation, la
brève période libérale et ouverte des Cent Fleurs (1956), la
reprise en main politique ultérieure (1957) puis le
lancement du Grand Bond en avant (1958), période marquée par
un extraordinaire essor du cinéma. Enfin, après la
Révolution culturelle, le cinéma, comme la littérature, a
vécu une renaissance en revenant à ses sources.
En même temps, la
Chine nouvelle s’intéressait aux ethnies minoritaires qu’il
s’agissait d’intégrer dans une nation unifiée, tout en
étudiant et documentant leurs coutumes, et en particulier
leurs contes, chants et danses populaires. Le Yunnan devint
un centre privilégié pour le tournage de films reflétant des
traditions et coutumes relevant des ethnies minoritaires de
la province.
Cependant, si les
récits, chants et danses ont fait l’objet de recherches de
terrain, les dialogues des films sont en putonghua,
et les personnages très souvent interprétés par les stars
nationales du moment. Il n’y a pas de recherche de réalisme,
au contraire : ce sont des films faits pour faire rêver, et
pour édifier.
Une collection de
grands classiques des années 1950 à 1980
Dans la collection
du musée, le film rural recoupe divers autres genres, dont
le film de guerre et la romance villageoise. Certains de ses
films sont des classiques célèbres.
1954 :Caravans with Ring
《山间铃响马帮来》
Film en noir et
blanc de Wang Weiyi (王为一),
produit par les studios de Shanghai.
Le titre
chinois du film signifie : le son des clochettes
dans les montagnes annonce l’arrivée de la caravane.
Il ne s’agit pas de caravanes de chameaux comme au
Xinjiang, mais de caravanes de mulets dans les
montagnes du Yunnan. Le film se passe pendant la
guerre, à la frontière sud de la province, dans un
village fortifié miao, et ces caravanes représentent
un enjeu pour les diverses factions en lutte. La
caravane du film est chargée d’approvisionner les
troupes de Chang Kai-chek, mais elle est interceptée
avec l’aide de la population locale. Il s’agit ici
d’un film patriotique où l’aspect folklorique est
marginal, et où le Yunnan est choisi pour son
importance stratégique pendant la guerre, et pour
ses paysages.
Le
réalisateur, Wang Weiyi (王为一),
est représentatif de l’époque. Né en 1912 dans la
province du Jiangsu, il a fait ses études à
l’institut des Beaux-Arts
à Shanghai ; il s’y est lié
Caravans with Rings
avec l’acteur Zhao
Dan (赵丹) et le réalisateur Xu Tao (徐韬),
avec lequel il a réalisé, en 1948, « Impossible d’enfermer
la lumière du printemps » (《关不住的春光》). Comme les réalisateurs de sa génération, il a appris son métier avec les
troupes de théâtre qui sillonnaient le pays pendant la
guerre. Il a continué à tourner après la Révolution
culturelle, son dernier film datant de 1999.
Caravans with Ring
1959 :
Five Golden Flowers《五朵金花》
Film de Wang
Jiayi (王家乙)
Five Golden Flowers
Cette comédie est une sorte
d’ovni dans la production cinématographique de la
fin des années 1950, alors que le Grand Bond en
avant bat son plein. Comme le dit Régis Bergeron :
« il baigne dans une atmosphère de fraîche et
joyeuse poésie, née de la nature même des aventures
d’un jeune forgeron de village à la recherche de
celle qu’il aime. »
[1]
Le film se
passe au moment d’une fête bai, la fête du « marché
de mars » (“三月街”),
qui comporte en particulier une course de chevaux.
La charrette qui emmenait la directrice adjointe de
la commune locale, Jin Hua, ou Fleur d’Or (金花),
et quelques autres jeunes filles perd une roue dans
une ornière ; elle est réparée par le forgeron A
Peng (阿鹏)
qui passait
par là pour aller participer à la course de chevaux.
Il la remporte et les deux jeunes gens tombent
amoureux ; ils se promettent de se revoir l’année
suivante, près d’une fontaine.
Mais Jin Hua ne
vient pas ; A Peng la cherche vainement partout, tombant sur
diverses autres Jin Hua au cours de ses recherches…
C’est un film très
enlevé, bien que marqué par un côté théâtral qui vient de la
formation du réalisateur. Wang Jiayi (王家乙),
né en 1919, a en effet été formé à l’académie Lu Xun, à
Yan’an, où il est entré en 1940, comme acteur de théâtre. Il
est ensuite entré en 1948 dans les studios du Dongbei,
toujours comme acteur, avant de commencer sa carrière de
réalisateur en 1950.
« Five Golden
Flowers » a été tourné en quatre mois, avec le compositeur
Lei Zhenbang (雷振邦)
pour la musique : les numéros de chants (en putonghua) et de
danse font un peu artificiels aujourd’hui, mais le film se
laisse encore regarder avec plaisir. Il a nourri le
romantisme et les rires de toute une génération de jeunes
Chinois(es) qui en achètent aujourd’hui le DVD pour le faire
regarder avec nostalgie à leurs enfants et petits-enfants.
Five Golden
Flowers
1960 : Moyadai 《摩雅傣》
Un film de Xu
Tao (徐韬)
Le film se
passe à Xishuangbanna (西双版纳),
au sud du Yunnan, avant et après 1949. Il s’agit
d’une superbe histoire d’amour typique des films
« de minorités nationales » du début des années 1960
qui en est l’âge d’or(témoin aussi
« Ashima », ci-dessous). Rien qu’en juin 1960, six
films furent tournés chez les Tibétains, les Dong,
les Dai et les Yi.
Une jeune
fille de l’ethnie dai (傣族), Mi Han (米汗),
ayant résisté aux avances du potentat local, Lao Ba
(老叭),
est jugée esprit pernicieux et condamnée à être
brûlée vive. Dix-huit ans plus tard, sa fille Lai
Han (莱汗)
tombe amoureuse d’un esclave libéré, Yan Wen (岩温).
Mais il est convoité par la fille de Lao Ba qui fait
condamner Lai Han à son tour, comme sa mère. Elle
s’enfuit avec son père, mais celui-ci meurt en
chemin. Elle revient au village mais, voyant la mère
de Yan Wen préparer des vêtements de noce, pense que
celui-ci l’a trahie, et va se jeter dans la rivière.
L’armée de Libération la sauve ; deux ans plus tard,
elle devient le premier « moyadai » des
dai,
Moyadai
c’est-à-dire
un médecin. Elle revient au village pour soigner les gens et
les guérir, en particulier, de leurs superstitions… et
retrouve finalement Yan Wen qui dissipe le malentendu
initial.
Le réalisateur
Xu Tao (徐韬)
est un des grands réalisateurs de la période. Né en 1910 à
Xuzhou, dans le Jiangsu, il entre en 1930 à l’académie des
Beaux-Arts de Shanghai et devient l’ami de Zhao Dan (赵丹) et Wang Weiyi (王为一)
avec lesquels il participe à partir de 1932 à des troupes
théâtrales dans la mouvance du théâtre de gauche, ou théâtre
« progressiste » (进步戏剧).
Après la défaite
japonaise, il participe à la création de la société
cinématographique Kunlun (昆仑影业公司) et y devient scénariste et réalisateur. Il prend part, en particulier
(avec Zhao Dan), à la rédaction du scénario de « Corbeaux et
moineaux » (《乌鸦与麻雀》)
de Zheng Junli (1949). Après la libération de Shanghai, il
entre aux studios de Shanghai. En 1966, au début de la
Révolution culturelle, il se suicide en se jetant dans le
Qiantang.
Moyadai
1964: Ashima 《阿诗玛》
Un film de Liu Qiong (刘琼) : premier film en couleur pour écran large.
Ashima
« Ashima »
est un long poème narratif sani
(撒尼),
branche de l’ethnie minoritaire yi
(彝族), qui a été écrit dans les
années 1940, et publié à de nombreuses reprises. Dans la langue yi, Ashima signifie « aussi précieux et
aussi brillant que
l'or ». Elle est interprétée par
l’actrice très populaire à l’époque du tournage,
Yang Likun (杨丽坤), qui jouait déjà dans « Five golden flowers » de
Wang Jiayi, cinq ans plus tôt
[2].
Selon la
légende, la belle Ashima a été enlevée par le fils
d'un méchant propriétaire et contrainte
de l'épouser. Le
garçon qui l’aimait, Ahei (阿黑),
décide d'aller la sauver avec son arc et ses flèches
magiques. Il affronte le fils du propriétaire en chantant
trois jours et trois nuits et remporte la victoire. Mais sur
le chemin du retour, Ashima meurt noyée dans une inondation,
devenant ainsi ce que l'on connaît aujourd'hui comme le
rocher d'Ashima : un rocher de la ‘forêt de pierres’
[3]
qui ressemble à une jeune sani avec un foulard sur la
tête et un panier en bambou sur le dos.
Le conte a été
l’objet d’études particulières en 1953. Puis, en 1959, Li
Guangtian (李广田)
[4]
a fait des recherches complémentaires à son sujet ; son
texte avec une préface a été publié en 1960. C’est alors
qu’il a été adapté par Liu Qiong.
Liu Qiong
(刘琼),
né en 1925,
débute au cinéma en 1934 avec un rôle dans un film de
Sun Yu
(孙瑜). En 1947, il part continuer sa carrière d’acteur à Hong Kong ; il joue
en particulier en 1951 dans « Phénix de feu » (《火凤凰》)de
Wang Weiyi (voir plus haut). Mais, en janvier 1952, il est
expulsé par les autorités britanniques, et rentre en Chine.
Il est passé à la mise en scène peu après, réalisant une
dizaine de films. Il est mort en 2002.
Ashima
1979 :
From Slave to General 《从奴隶到将军》
Un (très long) film de Wang Yan (王炎).
C’est une histoire qui commence en 1915 et se
poursuit dix ans plus tard : un ancien esclave de
l’ethnie yi
devient sous-lieutenant, se marie et se trouve
bientôt enrôlé dans les rangs du Guomingdang pour
lutter contre les communistes. On le retrouve
cependant dans l’Armée rouge. En 1940, il est réuni
avec sa femme et ses enfants, mais c’est pour voir
son fils aîné tué…
C’est un film des lendemains de la Révolution
culturelle qui revisite les thèmes familiers de la
guerre de libération et de la lutte contre le
Guomingdang.
Wang Yan
(王炎)
est né à Yantai, dans le Shandong. En 1943 il
termine ses études de théâtre à l’académie Lu Xun à
Yan’an, devient acteur dans une troupe de la 8ème
armée de route, et entre aux studios du Dongbei,
puis devient scénariste et réalisateur aux studios
de Changchun et enfin de Pékin.
From Slave to General
From Slave to General
1982 : Peacock Princess 《孔雀公主》
Co-réalisé par
Zhu Jinming (朱今明),
Su Fei (苏菲)
et Xing Rong (邢榕)
Peacock Princess
Ce film est
adapté d’un poème narratif, comme « Ashima », mais
de l’ethnie dai : « Zhao Shutun » (《召树屯》).
Zhao Shutun est un prince dai tombé amoureux
de la plus jeune des sept princesses Paon, Nanwu
nuona (喃穆诺娜),
à laquelle il a dérobé sa robe de paon pour qu’elle
ne puisse plus s’envoler. Le royaume est alors
attaqué par un voisin ; Zhao Shutun ayant subi des
défaites, le magicien du roi son père convainc
celui-ci que tout est de la faute de la jeune
princesse, et elle est condamnée à mort. Mais elle
retrouve son habit de paon et parvient à s’envoler.
Quand Zhao Shutun revient triomphant de la guerre,
ne la trouvant pas, il part à sa recherche… Grâce à
trois flèches magiques, il parvient à vaincre les
obstacles et à la rejoindre, tout en se débarrassant
du magicien.
Le récit
est traité comme un conte des mille et une nuits,
avec une superbe bande son, les plus beaux morceaux
(y compris celui accompagnant le générique au début)
étant interprétés à la flûte hulusi.
Peacock Princess
Zhu Jinming, né en 1915 dans le Jiangsu, était un
ami de Zhao Dan. En 1947, il a débuté une carrière de
directeur de la photo, pour « Spring River flows East » (1ère
partie) (《一江春水向东流上集》), de Cai Chusheng/Zheng Junli (蔡楚生/郑君里).
Il fut affecté aux studios de Shanghai en 1949, envoyé
étudier à l’institut du cinéma de Moscou en 1954 pour deux
ans, affecté ensuite aux studios de Pékin, où il est mort en
1989.
« Peacock Princess »
est son 2ème film, après Cai Wenji (蔡文姬),
en 1978, coréalisé avec Cheng Fangqian (陈方千), sur un scénario de Guo Moruo.
1982 : Yehena
《叶赫娜》
De Chen
Zhenghong (陈正鸿)
On retrouve
avec ce film une histoire d’amour contrarié dans un
contexte de conte de fées. Si le début des années
1960 fut bien un premier âge d’or de ce type de film
sur des contes et légendes de minorités ethniques,
le début des années 1980 en est un second…
Chen
Zhenghong,né à
Shanghai en 1927, termine ses études à l’université
de Datong en 1948, puis travaille aux studios d’art
de Shanghai pendant trente-huit ans. Parmi ses films
de fiction, le plus célèbre est sans doute « Liu
Sanjie », en 1978.
Yehena
[1]« Le cinéma
chinois, 1949-1983 », L’Harmattan 1983, t. 1 p. 266.
[2]
Superbe actrice, elle a subi de tels sévices pendant
la Révolution culturelle qu’elle est devenue folle.
[3]Curiosité
touristique : un dédale de pierres qui ressemble à
une forêt, près de Kunming.
[4]Ecrivain,
poète et essayiste, qui a fait des recherches sur la
littérature des minorités yi et dai.