« Océan
Paradis », un film sur l’autisme de Xue Xiaolu interprété et
promu par Jet Li
par Brigitte
Duzan, 15 juin 2010,
révisé 17 octobre 2013
Premier
film de
Xue Xiaolu (薛晓路),
« Océan Paradis » (《海洋天堂》)
a étéle film
choisi pour la soirée inauguraledu Festival
de Shanghai, le 12 juin 2010. Mais c’est aussi un
film qui a été activement soutenu et promu par
Jet
Li (李连杰)
qui en interprète le rôle principal.
Emotion
retenue, technique impeccable
On pouvait
craindre qu’un scénario sur pareil sujet tourne au
mélo larmoyant, étant l’œuvre de
Xue Xiaolu (薛晓路)
qui a également signé, entre autres, le scénario de
« L’enfant au violon » (《和你在一起》)
de
Chen Kaige (陈凯歌).
Il réussit pourtant à ne pas tomber dans ce
travers : évitant d’accentuer le pathos de certaines
scènes, Xue Xiaolu a joué sur l’authenticité des
sentiments et sur l’extrême beauté des images.
L’émotion reste contenue.
Un scénario
qui évite le mélo
Le film se
passe dans la cité portuaire de
Ocean Heaven
Xue Xiaolu
Qingdao,
et dépeint les relations entre un père, Wang
Xincheng (王心诚),et
Dafu (大福),
son fils autiste. Comme dit la publicité du film,
environ un enfant sur mille naît autiste, ce qui
fait plus d’un million d’autistes chinois, et le
fils en question, qui a vingt-deux ans, est
justement l’un d’entre eux.
Son père
travaille dans l’aquarium de Qingdao, et Dafu, qui
nage comme un poisson, semble plus à l’aise dans cet
univers aquatique que dans le monde de tous les
jours. Son attitude erratique angoisse son père,
atteint d’un cancer du foie en phase terminale.
Comme il a perdu sa femme quatorze ans auparavant,
il a élevé Dafu tout seul, et celui-ci dépend
totalement de lui. Après diverses tentatives ratées
pour régler le problème (suicide en commun,
placement dans une institution), il ne reste plus à
Xincheng, pendant les mois qu’il a encore à vivre,
qu’à apprendre à Dafu à vivre de manière autonome.
Il est aidé
par Ling Ling (玲玲),
une jeune
femme, clown dans un cirque de passage, qui
sympathise avec Dafu et réussit à établir un contact
avec lui. Peu à peu, Dafu apprend les gestes de la
vie courante, et répond au téléphone quand Ling Ling
l’appelle…
D’excellents interprètes
Le premier
atout du film est son interprétation, celle de
Jet
Li bien sûr, méconnaissable dans un rôle aux
antipodes
Jet Li/Le père
de ceux qu’on lui
connaît. C’est certainement lui qui, par son jeu très sobre,
a en grande partie évité au film l’écueil du mélo.
Père et fils, à
l’aquarium
Son
partenaire, le jeune Wen Zhang (文章),
vaut bien Dustin Hoffman dans « Rain Man ». Il a
appris à nager pour l’occasion, et a visité des
centres pour autistes afin de se familiariser avec
son rôle ; il est d’un naturel étonnant.
Quant aux
personnages féminins, ils sont dans l’ombre, juste
esquissés, sans doute pour éviter le débordement
sentiemental, mais la jeune actrice taïwanaise
Gwei Lun-mei (桂纶镁)
dans le rôle de Ling Ling a la douceur discrète qui
convient à son rôle, et l’idée d’en faire une
artiste de cirque ajoute à son personnage une touche
fellinienne qui lui donne de la profondeur.
Somptueuse photo de
Christopher Doyle
Si le film
est réussi, cependant, c’est en grande partie grâce
à la photographie, signée du grand chef opérateur
qu’est Christopher Doyle. Il n’y a que lui
pour filmer l’eau de la sorte, comme un monde en
soi, avec les poissons dans des effets de
contre-jour (1), en baignant tout le film dans des
couleurs d’aquarium.
Il faut
aussi préciser que le directeur artistique est
Hai Chung-man (奚仲文), l’un des grands directeurs artistiques de Hong Kong.
Et musique
de Joe Hisaishi
La musique
d’« Océan Paradis », enfin, est signée Joe
Hisaishi, le compositeur des films de Takeshi
Kitano et Hayao Miyazaki. On en retiendra le thème
général, "Ocean Heaven" (海洋天堂)
interprété par Gwei Lun-mei, et la chanson "Say
Goodbye" (说了再见),
interprétée par le Taïwanais
Père et fils en balade
Jay Chou (周杰伦).
Ce n’est pas le
meilleur du film, mais certainement un atout auprès du
public chinois.
Gwei Lun-mei/Ling Ling
Say Goodbye,
par Jay Chou
Ocean heaven,
par Gwei
Lun-mei
Bande annonce
Les raisons
profondes derrière le film
« Océan Paradis » ne se comprend bien, cependant,
que si l’on connaît la petite histoire qui a présidé
à sa genèse.
Il a bénéficié du soutien actif de Jet Li et a ainsi
été l’occasion pour beaucoup de découvrir
l’engagement de l’acteur et cinéaste en faveur de
l’autisme, et son action à travers sa fondation
caritative One Fondation, enregistrée à Shenzhen
en
décembre 2010 sous le titre complet de Shenzhen One
Foundation Charity Fund
(深圳壹基金公益基金会).
Mais la
création de cette fondation a elle-même toute une
histoire, qui remonte à 2004. En décembre de cette
année-là, au moment de Noël,
Jet Li était en
vacances aux Maldives avec sa famille, quand a eu
lieu le terrible tremblement de terre qui a provoqué
un tsunami dévastateur dans toute la région. Il a eu
le temps de retenir sa fille aînée, mais la plus
petite a été emportée par une vague. Il a cependant
pu la retrouver, saine et sauve, grâce à l’aide de
la population locale.
Ling Ling au cirque,
un clin d’œil à Fellini ?
Le travail de
Christopher Doyle sur les couleurs et la texture de
la photo
C’est cet
accident, qui aurait pu être dramatique pour lui,
qui lui a fait prendre conscience de l’importance de
la solidarité et de l’aide mutuelle, et l’a incité
en retour à créer cette Fondation.
Le projet a vu le jour en avril 2007 et
Jet Li a
cessé toute activité cinématographique pendant
l’année 2008 pour s’y consacrer entièrement.
Quant à Xue Xiaolu,
avant d’écrire son scénario, elle avait travaillé
pendant quatorze ans comme volontaire dans une ONG
pour enfants autistes, l’Institut de recherche
Beijing Stars and Rain (北京星星雨教育研究所).
Il est rare de voir un film réalisé dans ces
conditions être aussi réussi : l’émotion qu’il
dégage est authentique, même si le scénario a
forcément quelques lourdeurs.