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« The Sword
Identity » de Xu Haofeng : le wuxia nouveau est
arrivé
par Brigitte Duzan,
29
août 2011
Comme
annoncé précédemment, « The Sword Identity » (《倭寇的踪迹》)
de
Xu Haofeng (徐皓峰)
fait partie des films en compétition dans la section
Orizzonti de la Biennale de Venise qui va s’ouvrir
le 31 août. C’est le seul film chinois de la section
et le seul film de Chine continentale en compétition
à la Biennale.
On pouvait
être étonné de voir un énième film de wuxia
(ces films d’arts martiaux sur toile de fond
d’histoire ancienne) sélectionné pour cette
compétition. C’est que ce n’est pas un énième film de
wuxia : c’est le premier film d’un réalisateur qui est
d’abord un écrivain original, et il se veut une relecture du
genre.
Un écrivain
original
Xu Haofeng
(徐皓峰)
est d’abord un écrivain reconnu dans le
domaine du roman de
wuxia ou wuxia xiaoshuo (武侠小说), car il y a toute une
littérature de wuxia
qui remonte aux Ming, avec des
antécédents bien plus anciens. Les |
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Affiche du film « The
Sword Identity » |
grands classiques datent de la deuxième moitié du 20ème
siècle, et ce sont eux dont les adaptations ont

Photo du film
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donné les films parmi les plus célèbres du cinéma de
Hong Kong.
Mais, tout
en se replaçant dans cette tradition qu’il a
longuement étudiée, Xu Haofeng est sorti du moule
pour créer un style nouveau aujourd’hui reconnu,
qu’il convient d’apprécier à sa juste valeur pour
mieux
comprendre l’arrière-plan du film - on en trouvera
une analyse, ainsi que des explications
concernant le wuxia, sur chinese shortstories (1). |
Un contexte
historique original
Le film de wuxia
est toujours situé dans une période de l’histoire
ancienne de la Chine. Celui de Xu Haofeng ne déroge pas à la
règle, mais le contexte historique qu’il a choisi est
original.
Le titre
chinois signifie : les traces des pirates japonais.
D’ailleurs le titre anglais initial était : The
Pirates’ Trail. La période de référence est en effet
celle du début du règne de l’empereur Wanli des Ming
(明朝万历)
(1572-1620), l’un des plus longs règnes de la
dynastie, mais qui en amorça le déclin. L’ouvrage
sur lequel s’est plus particulièrement appuyé Xu
Haofeng est un livre de l’historien Huang Renyu (黄仁宇),
paru en 1997,« L’an
15 de l’ère Wanli »
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Peinture représentant
une attaque de pirates |
(《万历十五年》),
dans lequel l’auteur
analyse les
prémisses de la chute de la dynastie.
Le film s’attache à
un phénomène historique particulier : les attaques de
« pirates japonais », les fameux wokou (倭寇),
qui
ont semé la désolation sur les côtes est de la Chine, et de
la Corée, pendant des siècles. S’il faut mettre le terme
entre guillemets, c’est parce que, à la fin, ils n’étaient
plus seulement japonais.
Les raids ont
commencé au 13ème siècle, et furent au début le
fait de ‘rōnin’, ces samourai sans maître comme ceux de
Kurosawa, mais aussi de marchands et contrebandiers. Puis
les Ming pensèrent bien faire en interdisant le commerce
privé entre la Chine et le Japon, pour en faire un monopole
impérial. Le résultat fut au contraire de forcer les
marchands japonais à un trafic illégal, en collusion avec
leurs partenaires chinois. En outre, un système de taxation
injuste et une corruption endémique forcèrent beaucoup de
fermiers chinois des provinces du sud-est à se lancer eux
aussi à l’aventure sur les mers. Comme, au même moment, les
Ming interdirent le trafic maritime, tous ces gens-là
devinrent ipso facto des bandits et des dissidents.

Photo du film |
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Les raids
de wokou se multiplièrent à partir du début
du 16ème siècle et atteignirent un pîc
sous l’ère Wanli, justement : les attaques ne se
limitaient plus aux régions côtières, mais
remontaient les fleuves, le Yantse en particulier,
pour piller les villages de l’intérieur ; de leurs
bases sur diverses îles, les groupes bien équipés et
armés en vinrent à attaquer même la marine chinoise.
S’y ajoutèrent des conflits entre ‘pirates’, souvent
pour des questions de dettes non réglées, entraînant
des raids de rétorsion. |
Un film original
Tel est le
contexte du film. Il y a en outre en arrière-plan le monde
des arts martiaux, avec ses règles et ses codes, mais aussi
dans une atmosphère de fin de règne.
Le scénario
Le film se passe
dans une ville dominée par quatre familles de maîtres d’arts
martiaux, quand arrive un étranger,
Liang Henlu (梁痕录),
porteur d’un sabre à la lame incurvée qui semble être un
sabre japonais. Or, l’une des règles des arts martiaux
chinois est l’interdiction des armes étrangères. Pris pour
un pirate japonais, Liang Henlu est donc pris en chasse.
Mais,
apprenant qu’est arrivé en ville un pirate japonais,
y revient alors celui qui en fut un temps le maître
d’armes inégalé, Qiu Dongyue (裘冬月) ; après avoir été trompé par sa jeune épouse, il s’est retiré dans la
montagne où il vit désormais isolé. Il s’avère
bientôt que l’arme prétendument japonaise est en
fait celle qu’utilisèrent les troupes du général Qi
dans leur lutte contre les pirates.
Liang Henlu
est finalement intégré dans la |
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Photo du film |
ville, enseigne
son art aux habitants, et son arme est finalement considérée
comme arme chinoise (d’où le titre anglais du film). Dans le
même temps, le vieux maître se réconcilie avec son ancienne
épouse et retrouve la paix intérieure.
Références
cinématographiques
Le film n’est
évidemment pas à prendre au premier degré et comporte
diverses clés de lecture. La plus évidente est donnée par
l’acteur qui joue le rôle de Qiu Dongyue : Yu Chenghui (于承惠).
C’est un acteur célèbre du cinéma de Hong Kong.

L’acteur Yu Chenghui |
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Né en 1932
dans le Shandong,
Yu
Chenghui s’est rendu
célèbre en recréant le shuangshou jian (ou
mouvement de l’épée tenue à deux mains) oublié
depuis les Tang, qui est maintenant reconnu dans les
compétitions de wushu.
Il fut
découvert par le réalisateur Chang Hsin Yen (Zhang
Xinyan
张鑫炎),
qui lui confia le rôle de Wang Renze (王仁则),
face à Jet Li (李连杰),
dans son film de 1982 « Le
Temple de Shaolin »
(《少林寺》).
Ce fut le début d’une brillante carrière qui en a
fait un acteur symbolique. |
« Le Temple de
Shaolin » est en soi un symbole : celui de la période d’or
du film de wuxia, dans les années 1980. Il faut dire
que,
pendant plusieurs années, les arts martiaux furent proscrits
par le régime communiste, et ses représentations
cinématographiques venues de Hong Kong interdites sur le sol
chinois. Au début des années 1980, quand la pratique des
arts martiaux fut de nouveau autorisée, et même encouragée,
la Chine décida de produire un film qui mette en valeur les
arts martiaux chinois traditionnels, pour concurrencer les
films de Hong Kong. Pour ce faire, fut alors engagé un jeune
homme de dix huit ans, cinq fois champion national de
wushu, et capable de rivaliser avec les plus grands
artistes martiaux de la colonie britannique. Son nom : Li
Lianjie (李连杰),
qui sera bientôt connu sous le nom de Jet Li.
Chang Hsin
Yen était un réalisateur de Shanghai passé à Hong
Kong, dans le studio Great Wall (ou studios de la
Grande Muraille), celui qui était le plus proche du
gouvernement communiste. C’est là que fut tourné le
film. Inspiré d’une fresque peinte sur l’un des murs
du temple de Shaolin, qui conte comment treize
moines du temple sauvèrent l’empereur Tang, le
scénario rassemble beaucoup d’éléments propres aux
films de kung-fu de Hong Kong, dont quatre
essentiels : une histoire classique de vengeance, un
jeune héros qui veut apprendre de nouvelles
techniques martiales pour pouvoir affronter son pire
ennemi, un maître plein de sagesse et un méchant que
tout le monde déteste.
L’aspect le
plus important du film reste la mise en avant des
arts martiaux chinois. Tourné en décors naturels, il
débute d’ailleurs comme un documentaire sur
l’endroit où est né le
kung-fu
chinois. Mais le film est original à plusieurs
égards : |
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Le temple de Shaolin |
il se permet
quelques écarts humoristiques, avec les moines facétieux qui
tentent de contourner certains principes un peu rigides de
l’enseignement, mais surtout, tout en mettant en valeurs les
arts martiaux de l’école de Shaolin, il s’interroge aussi
sur la place d’une religion en temps de guerre. Le
questionnement est d’autant plus fort, que les moines
enseignent le bouddhisme qui prône la non-violence, mais
forment aussi à un art du combat qui peut se révéler mortel.
Symbolique et
questions sous-jacentes

Yu Chenghui dans le
r?le de Qiu Dongyue |
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Les films
de wuxia, comme d’ailleurs les films d’opéra
chinois, ont souvent des significations latentes qui
sont encodées dans des parallélismes historiques et
qui, sous couvert d’une histoire apparemment sans
rapport avec notre époque, permettent d’exprimer une
critique voilée de la nôtre sans encourir les feux
des autorités de contrôle. C’est le cas de celui-ci.
Le
questionnement est cependant plus
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philosophique
qu’idéologique, et s’inscrit dans la recherche engagée par
l’auteur telle qu’elle apparaît dans son œuvre littéraire et
qu’il transcrit maintenant en termes cinématographiques.
D’abord, Xu
Haofeng se replace donc dans une histoire du film de
wuxia qui n’est pas limitée à Hong Kong, mais inclut des
films de Chine continentale dont il s’affirme ainsi
implicitement aujourd’hui l’héritier. Mais un héritier qui
est aussi un trublion.
Les combats qui
sont l’attrait principal de ces films pour les passionnés du
genre ne sont pas ici le point important. Xu Haofeng semble
continuer la réflexion entamée par « Le temple de Shaolin »
en en actualisant les thèmes, ainsi que ceux, traditionnels,
de la culture du Jianghu dont est né le genre. A travers le
questionnement des valeurs des xia, en déclin à la
période où se passe son film, il questionne celle de notre
époque :
“在电影里我运用了反讽、批判等方法来描述人对于价值观的思考,
让人们对于价值观有新的认识。”
Dans mon film,
j’utilise l’ironie, la satire et autres moyens pour offrir
une réflexion sur les valeurs, pour que le public en ait une
perception nouvelle.
Sa recherche
concerne la « voie des arts martiaux » (武道) comme emblème de ce qui pourrait être une nouvelle « voie » pour
l’homme moderne. Il en a donné une vision complexe dans son
dernier livre, sorti en novembre dernier : « Le mandala de
l’Illumination » (《大日坛城》)
(1).
Son film serait
ainsi le précurseur d’un genre qu’il appelle « les films sur
la voie des arts martiaux »
(“武道电影”).
Il reste maintenant
à découvrir le film, dont les premières images dévoilées
sont superbes (2). Mais il arrive déjà avec un premier côté
subversif : il se revendique comme réalisation de Chine
continentale dans un domaine monopolisé par le cinéma de
Hong Kong. Ironie d’un temps où ce cinéma arrive en force
pour conquérir le « marché » continental….
Après la Biennale
de Venise, le film sera aussi présent au festival de
Toronto, du 8 au 18 septembre. Il semble être parti pour une
carrière fulgurante.
Notes :
(1) Voir :
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_XuHaofeng.htm
(2) Voir la vidéo
d’un très court reportage sur le tournage du film, avec le
réalisateur et l’acteur principal :
http://www.m1905.com/video/play/416722.shtml
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