« Don’t Cry Nanjing » de Wu Ziniu
: un mélo précurseur sur le massacre de Nankin
par Brigitte
Duzan, 9 mai 2009, révisé
28 septembre 2011
C’est la
publication du best-seller d’Iris Chang « Le viol de
Nankin », en 1997, qui a suscité une prise de
conscience du drame qui s’est déroulé à Nankin quand
la ville est tombée aux mains des Japonais le 17
décembre 1937 (1). De nombreux projets de films sur
le sujet ont vu le jour par la suite, dont celui de
Lu Chuan (陆川),
« The
City of Life and Death » (《南京!
南京!》),
qui a fait sensation à sa sortie en 2009.
Mais un
film était sorti deux ans avant la publication du
livre d’Iris Chang et peut être considéré comme un
précurseur sur le sujet. Il s’agit d’un mélo de
confection classique, ce qui donne, en arrière plan,
d’autant plus de valeur au travail réalisé par Lu
Chuan.
Un drame
familial
Wu Ziniu
(吴子牛),
né en 1953, est un membre peu connu de la
« cinquième génération », qui a surtout réalisé des
films
Affiche
de guerre, mettant
l’accent sur les conséquences des conflits sur les
populations. Son film « Evening Bell » (《晚钟》),
en 1988, a reçu l’Ours d’argent au festival de Berlin. C’est
en 1995 qu’il a réalisé « Don’t Cry Nanjing » (ou « Nanjing
1937 »
《南京1937》).
Le film suit une
famille sino-japonaise : un médecin chinois, son épouse
japonaise enceinte et leurs deux enfants. Ils ont fui
Shanghai en pleine bataille, et ont cherché refuge à Nankin,
alors capitale de la Chine nationaliste, qui est la ville
natale du médecin. Nankin est envahie par les troupes
japonaises peu après leur arrivée et le couple cherche alors
à rejoindre la zone de sécurité internationale créée, dans
les ambassades de la partie ouest de la ville, par un comité
international présidé par le fameux homme d’affaire allemand
John Rabe.
Le film met ainsi
en lumière ce qui deviendra l’un des points communs de
pratiquement tous les films qui suivront sur le même sujet :
l’action de John Rabe, auquel son statut de membre du parti
nazi conférait une certaine marge de manœuvre en raison de
la signature en 1936, par le Japon et l’Allemagne de Hitler,
du Pacte anti-Comintern.
et une version
romancée de l’histoire
Wu Ziniu
Wu Ziniu a
cependant opté pour une version totalement romancée
de l’histoire, changeant même les noms non seulement
de Rabe mais aussi de Minnie Vautrin, missionnaire
américaine qui sauva la vie d’une dizaine de
milliers de femmes chinoises en les hébergeant dans
les locaux de l’université où elle enseignait,
Jinling Women’s College (金陵女子文理学院).
Leurs noms dans le film sont respectivement John
Robbins et Whitney Craft.
Wu Ziniu a
reconstitué des scènes de carnage spectaculaires,
ainsi que le fameux « concours » qui aurait eu lieu
entre deux officiers japonais, Toshiaki Mukai et
Tsuyoshi Noda, pour déterminer lequel « aurait le
premier tué cent personnes avec son sabre » -
concours dont la véracité est contestée, et qui n’a
de toute façon, semble-t-il, pas eu lieu dans la
ville (2)
La vérité
historique n’est pas le point le plus fort du film, mais il
faut reconnaître à sa décharge que bien des faits n’ont été
divulgués que par la suite, grâce à Iris Chang, mais surtout
grâce au très sérieux travail de l’historien, diplômé de
Harvard, Herbert Bix (« Hirohito and the Making of Modern
Japan », prix Pulitzer en 2001).« Don’t Cry
Nanjing » apparaît rétrospectivement comme tirant un peu
trop l’histoire vers le mélo, mais Wu Ziniu a le mérite
d’avoir abordé un sujet dont personne alors ne parlait et
son film est devenu une référence cinématographique, sinon
historique.
(2) Ledit concours
aurait eu lieu avant l’arrivée à Nankin. Les faits
furent rapportés par le Tokyo Nichi Nichi Shimbun (ou Tokyo
Daily News), qui rajouta que, comme aucun des deux officiers
ne sortait clairement vainqueur, ils avaient décidé de
renouveler leur défi, en portant l’objectif à 150 victimes.
Ils furent condamnés et exécutés après la guerre.
La véracité de
l’histoire a depuis lors fait l’objet de débats houleux :
selon des historiens japonais, elle aurait été inventée par
les journalistes. Elle a été cependant reprise dans une
exposition au mémorial de Nankin en août 2008. C’est le
genre de controverse qui tend à jeter des doutes sur
l’ensemble des atrocités commises dans la ville par les
troupes japonaises.
Pour mémoire :
Un autre film,
« Black Sun: The Nanking Massacre », est sorti cette même
année 1995 sur le même sujet, mais il est à noter juste pour
mémoire. Prenant l’histoire pour prétexte, le réalisateur
atteint des extrêmes dans l’horreur.
Il s’agit d’un
cinéaste de Hong Kong, Mou Tun Fei ou T.F. Mou S (牟敦芾.),
qui, né en 1941 au Shandong, a émigré àTaiwan en 1949 avec
ses parents. Il a commencé à y tourner des films dans le
genre néo-réaliste alors à la mode, avant d’entrer à la Shaw
Brothers en 1977. Trois ans plus tard, il tourne un film que
l’on peut considérer comme caractéristique de la violence
morbide qui devient alors sa marque de fabrique : « Lost
souls » est l’histoire d’immigrants illégaux capturés par un
gang de trafiquants humains qui leur font subir divers
sévices. Après ce film, Mou Tun Fei travaille sur une
trilogie intitulée « Men behind the Sun ».
La première partie, intitulée
« Black Sun 731 » (《黑太阳731》),
a trait aux expérimentations d’armes biologiques réalisées
sur des prisonniers de guerre chinois et russes, à la fin de
la seconde guerre mondiale, dans l’ «unité 731 » de l’armée
japonaise. C’est déjà un film assez insoutenable. La seconde
partie est celle qui traite du massacre de Nankin : « Black
Sun: The Nanking Massacre » (《黑太阳.南京大屠杀》).
Le film commence par des images d’archives, mais, comme dans
le premier film de la trilogie, ce sont surtout les
atrocités infligées aux civils qui intéressent le
réalisateur et sont le véritable sujet du film, avec une
complaisance qui va jusqu’au mauvais goût dans certaines
séquences totalement gratuites.
Mou Tun Fei
n’a jamais trouvé le financement pour la troisième partie de
la trilogie…