succès commercial en Chine, mais esthétique encore décevante
par
Brigitte Duzan, 18 avril 2022
« Monkey King, Hero is Back » (《西游记之大圣归来》)
[1]
est un film d’animation par ordinateur réalisé par
Tian Xiaopeng (田晓鹏)
et coproduit par sa
société de production
October Media.
Sorti sur les écrans chinois le 10 juillet 2015, le
film a été le plus gros succès au box-office
chinois, avant d’être dépassé l’année suivante par
les deux blockbusters américains de 2016,
« Zootopia » de Disney et « Kungfu Panda 3 » de
Dreamworks. Il a marqué un tournant dans la
renaissance du cinéma d’animation en Chine au milieu
des années 2010.
Un scénario original
Le film est très librement inspiré du grand
classique du 16e siècle « Le
Voyage en Occident » (《西游记》),
ou « Pérégrination vers l’Ouest », de Wu Cheng’en (吴承恩).
Conçu à partir du personnage du Roi Singe, Sun
Wukong (孙悟空),
héros du roman original, le scénario est inventif.
Monkey King Hero is
Back, affiche promotionnelle
Affiche pour la sortie
du film en Chine
Écrit par Tian Xiaopeng et quatre autres
coscénaristes, il part de la malédiction prononcée
dans le roman par le Bouddha contre Sun Wukong pour
le punir de ses méfaits et de sa rébellion contre le
ciel. Dans le film, il est emprisonné dans une cage
de glace, dans une grotte au plus profond de la
montagne. Cinq cents ans plus tard, des êtres
démoniaques (yao
妖)
attaquent des voyageurs ; le
seul survivant est un bébé nommé Liu’er (流儿)
qui est adopté par un moine. Des années plus tard,
les mêmes monstres diaboliques attaquent un village
de montagne et enlèvent quarante-neuf enfants.
Liu’er sauve une petite fille et, alors qu’il est
poursuivi, entre pour se protéger dans la grotte où
le Singe est emprisonné et le libère. Sun Wukong se
bat contre les monstres, mais, n’ayant pas retrouvé
tous ses pouvoirs, ne peut les empêcher d’enlever la
petite fille.
Il s’ensuit une course-poursuite effrénée aux
multiples péripéties comme dans un film de wuxia,
où l’on retrouve au passage un autre
des
personnages du roman de Wu
Cheng’en : le cochon Zhu Bajie (猪八戒),
autre disciple et compagnon de route du moine Xuanzang.
Et
comme dans un film de wuxia, alors que Liu’er, Sun
Wukong et la petite fille s’arrêtent un soir dans une
auberge pour y passer la nuit, ils y rencontrent le chef des
« méchants » qui s’appelle Hun Dun (混沌),
comme le terme désignant dans la mythologie chinoise le
chaos primordial. On apprend alors que Hun Dun envoie
régulièrement ses sbires rafler des enfants pour fabriquer
un élixir dont il attend des pouvoirs magiques.
Au plus fort de la
bataille, alors que Sun Wukong a vaincu les
monstres, se produit soudain une éclipse solaire :
Hun Dun devient une bête monstrueuse et Liu’er est
tué sous une chute de pierres qu’il a provoquée. Fou
de rage, Sun Wukong réussit à briser les restes du
maléfice du Bouddha qui bridait ses pouvoirs
[2]
et parvient ainsi à vaincre Hun Dun. Finalement, il
s’avère que le jeune moine n’était pas mort, mais
seulement gravement blessé. Les enfants sont rendus
à leurs familles, sur des nuages envoyés par le
Singe, dont on ne sait trop cependant, comme dans
une bonne histoire de wuxia, ce qu’il est
devient…
Un succès commercial
Le film a bénéficié d’un budget conséquent pour
permettre de bonnes qualités techniques, et en
particulier des effets spéciaux bien meilleurs que
la moyenne des films d’animation chinois concurrents
à l’époque. Le financement lui-même est original :
un peu moins de la moitié du budget de 16 millions
de dollars a été couvert par financement
participatif (crowdfunding) dont les participants
incluent
Affiche avec Liu’er et
la petite fille sauvée des monstres
109 enfants dont les noms figurent au
générique : les parents ont versé plus d’un million de
dollars, investissement éminemment rentable puisque, grâce
au succès du film au box-office, ils ont touché en retour
près de trente fois leur mise. Mais ces investisseurs
populaires ont également beaucoup fait pour la promotion du
film, allant parfois jusqu’à louer des cinémas entiers à sa
sortie. C’est un mode de financement et de promotion ciblée
qui avait assuré le succès des « Tiny Times » (《小时代》)
de Guo
Jingming (郭敬明).
Le
film a ainsi été salué par le public : il a obtenu
un très bon « score » sur douban (où il reste
à 8,3 sur 10)
[3].
Son succès commercial a en outre été renforcé par
les produits dérivés qui l’ont accompagné, et en
particulier un jeu vidéo pour PlaySation 4 sorti en
octobre 2019.
Mais …
Si la qualité technique de ce « Monkey King » a pu
être saluée, pour ses belles inventions, surtout au
niveau de l’action et de son
Liu’er
rythme, et pour le
personnage très drôle du gamin Liu’er, l’esthétique générale
reste celle d’un film d’animation par ordinateur ; les
images ne peuvent en rien rivaliser avec la beauté des
anciens films d’animation des
Studios d’art de Shanghai (上海美术电影制片厂).
Mei Jianchi et son ami l’oiseau
Ainsi, sans parler de Sun Wukong lui-même, assez mal
dégrossi, la tête du personnage de l’enfant Liu’er
rappelle les poupées animées des films des années
1990. Mais la grosse tête ronde de Liu’er est loin
d’avoir la finesse d’expression de celle de
Mei Jianchi (《眉间尺》),
par exemple.
On pourrait en dire autant des paysages, qui ne
peuvent rivaliser avec les lavis animés du passé.
Le personnage le plus réussi est peut-être Hun Dun,
avec sa tête de personnage maléfique inspirée d’un
masque d’opéra.
Dans l’ensemble, cependant, la qualité des images ne
vaut pas celle des affiches promotionnelles ; on
pourrait presque dire que celles-ci sont trompeuses.
On cherche en vain des critiques positives du film à
l’étranger, sous la plume des spécialistes du cinéma
chinois en particulier. Il reste peu connu. Il est
d’ailleurs ironique que le jeu vidéo qui en est
dérivé le soit bien plus.
Le moine Fa Ming dans la montagne
Hun Dun
On comprend que le film ait marqué le paysage du
cinéma d’animation chinois au point d’en devenir une
référence. Mais ce cinéma a encore des progrès à
faire s’il veut acquérir ses lettres de noblesse,
au-delà de l’adulation de ses fans chinois qui peut
provoquer un effet d’aveuglement. Le problème est de
parvenir à concilier impératifs économiques et
exigences artistiques.
Monkey King, Hero is Back, le film entier, sous-titres
chinois et anglaise
[1]
Littéralement : Le Voyage en
Occident, retour du grand Sage.
[2]
Ce détail de l’intrigue qui présente
le Bouddha comme un autre méchant de l’histoire, en
quelque sorte, puisqu’il empêche Sun Wukong de
vaincre les forces du mal, est d’ailleurs
intéressant.