« Winter Vacation » : quand Li Hongqi fait sourdre ironie
et absurde des failles du récit
par Brigitte
Duzan, 27 décembre 2012
Troisième long métrage de
Li Hongqi (李红旗),
« Winter Vacation » (《寒假》)
est un sommet de sa filmographie.
Porté par
la notoriété de son auteur, cinéaste d’avant-garde,
maître de l’absurde et de l’humour décalé, le projet
a
obtenu en mars
2009
une première aide de cinq mille euros dans le
cadre du Hong Kong-Asia Film Financing Forum (HAF),
auquel participait pour la première fois le festival
de Locarno, puis a également bénéficié d’une aide du
Fonds Hubert Bals du festival de Rotterdam.
Le film a finalement été couronné du Léopard
d’Or
au
63ème festival de Locarno, en 2010. Il
reprend le style et le ton de « Routine Holiday » en
l’affinant et lui donnant plus de contenu.
Un film
comme un puzzle
Winter Vacation
Li Hongqi a décrit
son film dans les termes suivants, fidèles au style
elliptique qu’il affectionne :
Quelque part dans le nord de la Chine, l’hiver, dans un petit village de
Mongolie intérieure,
neuf
jeunes gens, deux enfants, une foule de gens d’un certain
âge.
Des gens
totalement désœuvrés, menant une vie déprimante,
dans cet endroit où, semble-t-il, rien ne peut arriver,
et où, effectivement, à la fin, il ne se sera rien passé.
Une histoire de
petits cochons noirs et blancs
S’il
s’agissait d’un film lambda, on le résumerait
ainsi : l’histoire se passe le dernier jour des
vacances du Nouvel An chinois ; quelques adolescents
se retrouvent chez l’un d’entre eux, pour jouir,
sans rien faire, de leurs derniers moments de
liberté, en discutant tranquillement, des valeurs de
l’éducation, de son importance dans la vie réelle,
des dangers pour les études des amours de jeunesse,
etc…
Mais on ne
peut pas résumer un film de Li Hongqi de manière
aussi banale. Le début à lui seul est du plus pur Li
Hongqi, embrayant autour d’une rencontre impromptue
dans la rue du village : s’étant rendu compte qu’il
n’arrivait pas à retrouver le devoirs de vacances
qu’il doit rendre le lendemain, l’un des élèves
part illico chez son copain pour lui emprunter le
sien et le recopier ; il rencontre alors un inconnu
qui promène une truie noire en cherchant un cochon
blanc pour pouvoir réaliser son rêve : avoir des
petits cochons noirs et blancs comme une vache
hollandaise.
Li Hongqi recevant le
Léopard d’or à Locarno
Cette séquence a été coupée au
montage dans la version définitive, pour donner plus
d’homogénéité au scénario, mais elle résume pourtant
superbement bien l’humour caustique du film et de ses
dialogues.
Un enfant qui veut
être orphelin
On pourrait aussi
bien résumer le film en disant : c’est l’histoire d’un petit
garçon gardé par un oncle qui n’arrête pas de lui répéter :
« Si tu n’es pas sage, je vais te botter le derrière. »
Alors l’enfant, qui s’ennuie mortellement et en a assez,
rêve d’être orphelin, et part chercher un endroit où il
pourra l’être.
Extrait 1
Les dialogues
rares, surgissant brusquement du silence, sont savoureux,
toujours d’un humour glacial, et font touche à tous les
coups, surtout quand se profilent derrière la langue
de bois affichée la critique
Quelques bâtiments
alignés sous la neige
de l’enseignement, ou les peines de
cœur adolescentes.
Mais le scénario
est fait de morceaux rapportés comme les pièces d’un puzzle
qui ne colleraient pas parfaitement dans leurs cases. Le fil
narratif se rompt régulièrement, mais ce n’est pas l’important. De toute façon, on l’a dit : il ne se passe
rien. Et c’est dans ce rien que tout se joue, entre ennui
silencieux et platitudes verbales.
Un film superbement
conçu
Il faut admirer la
maîtrise avec laquelle, dans « Winter Vacation », l’image
sous-tend l’idée et la structure, et non l’inverse, ce qui
est étonnant pour un cinéaste qui a d’abord été poète et
écrivain.
Li Hongqi a composé
son film en séquences filmées frontalement, de loin, avec un
gros plan de temps. Les maisons du village apparaissent dans
une uniformité monotone, côte à côte, dans des scènes sans
profondeur où le ciel même a disparu. On dirait un tableau
cubiste.
Le son est là pour
apporter comme un déhanchement à ce paysage qui semble
baigner dans l’ennui, en suscitant un sentiment d’étrangeté.
La signification du son hors champ, en particulier, est
souvent peu claire ; il est parfois partiellement inaudible
ou au contraire
Quelques personnages
en quête d’auteur
audible alors qu’on ne s’y attendrait pas.
Les personnages semblent procéder d’un ballet réglé par ce
son bizarre.
Un enfant qui veut
être orphelin
La bande son est
ici aussi signée Zuoxiao Zhuzhou (左小祖咒),
comme les films précédents de Li Hongqi. Les dissonances de
la séquence finale sont particulièrement symboliques de la
teneur d’une conclusion qui n’en est pas une.
Rien n’est
linéaire, rien n’est attendu, chez Li Hongqi, la réalité a
brusquement des failles où se glisse l’absurde, qui n’est
finalement pas vraiment absurde, simplement l’inconnu qui
intrigue et dérange. Il y a du Delvaux là dedans, on ne
sait
parfois trop si l’on est éveillé ou si l’on rêve cette
histoire qui ne tient pas debout. Mais qui laisse une
impression durable, comme les rêves au réveil.