« La légende de
l’arc en fer » de Chen Huai’ai, film adapté d’un opéra de
Pékin
par Brigitte Duzan, 30 novembre 2018
C’est en 1979 que Chen Huai’ai
(陈怀皑)
a adapté au cinéma l’opéra de Pékin « La légende de l’arc en
fer » (《铁弓缘》).
Le film, tourné au studio de Pékin, a aussitôt été couronné
du prix du ministère de la Culture, et, en 1980, du prix du
meilleur film d’opéra au 3ème festival des Cent
Fleurs.
Une histoire de vengeance originale
L’histoire est celle d’une vengeance, mais
originale : par une jeune fille formée aux art
martiaux dès l’enfance qui part venger son fiancé
victime d’une machination visant à se débarrasser de
lui.
La jeune fille, Chen Xiuying (陈秀英),
est la fille d’une tenancière de maison de thé, à
Taiyuan. Elle a seize ans. En mourant, son père lui
a laissé un arc qu’il était le seul, avec elle, à
pouvoir tendre, en lui dictant ses dernières
volontés : si elle trouve un homme capable lui aussi
de tendre l’arc, ce sera la preuve d’une affinité
prédestinée entre eux, et elle devra l’épouser dans
les trois jours. C’est ce qui arrive : l’heureux élu
s’appelle Kuang Zhong (匡忠),
il est chef de brigade à Taiyuan.
L’héroïne Chen Xiuying
par le dessinateur Gao
Made (高马得)
Mais Shi Lun (石伦),
le fils du gouverneur de
Taiyuan, Shi Xulong (石须龙),
est aussi tombé amoureux de Xiuying. Pour éliminer le rival
de son fils, et empocher une belle somme au passage, Shi
Xulong envoie Kuan Zhong porter leur solde à des soldats, le
fait dévaliser en route, puis l’accuse de vol et le condamne
à finir ses jours dans un poste de frontière. Après l’avoir
attendu trois jours, ne le voyant pas venir, Xiuying
s’inquiète, et apprend bientôt que Kuang Zhong a été arrêté.
Elle va le voir en prison, et lui promet de l’attendre :
elle comprend que Shi Xulong a monté le piège et jure de
l’éliminer.
Chen Xiuying et Kuan
Zhong (gravure du Nouvel An 年画)
Deuxième partie : Xiuying, déguisée en homme, et sa
mère partent rejoindre Wang Fugang (王富刚),
l’ami auquel Kuang Zhong les a confiées pour les
protéger. En chemin, dans la montagne, elles sont
arrêtées par une jeune brigande, Guan Yueying (关月英),
qui tente de les rançonner, mais tombe sous le
charme de Xiuying. Celle-ci se fait passer pour Wang
Fugang, auquel justement le chef des rebelles, le
père de Yueying, a promis sa fille, qui n’a
cependant encore jamais rencontré son futur époux,
d’où le quiproquo.
Xiuying finit pas tuer Shi Xulong au combat, avec l’aide de
Wang Fugang arrivé providentiellement. Les deux couples sont
réunis, après explications sur l’identité véritable du faux
Wang Fugang.
Adaptation à l’opéra
L’histoire de Chen Xiuying a fait l’objet de
plusieurs adaptations à l’opéra, et la version la
plus célèbre est sans doute celle de l’Institut de
l’opéra de Pékin du Guizhou.
L’une des originalités de la pièce dans cette mise
en scène est de confier le rôle de Xiuying à deux
actrices dans des types de rôles différents, la
première, dans un rôle de huadan (花旦),
pour interpréter la jeune fille de la maison de thé,
vive et mutine, la seconde, dans un rôle de femme
guerrière ou wudan (武旦),
pour jouer Xiuying déguisée en homme, partant vêtue
de blanc comme tout jeune homme héroïque à l’opéra,
puis en tenue complète de général avec ses quatre
drapeaux sur le dos. L’une minaude en servant le
thé, l’autre fait des prouesses acrobatiques et
trucide sans broncher. Le passage de l’une à l’autre
est sans transition.
Les personnages de
l’opéra
La grande
originalité, de manière plus générale, est dans le
traitement de la narration. On a une trame narrative qui
rapproche l’opéra des premières histoires de wuxia
contées dans les chuanqi des Tang, dont l’intrigue a
pour personnage central une héroïne martiale et vengeresse
[1].
Mais l’opéra est en outre satirique et plein d’humour, et se
termine sur un clin d’œil au mélo classique, par un double
mariage.
L’opéra dans la version de la troupe de l’opéra de Pékin du
Guizhou (贵州京剧院)
[2]:
1ère partie
2ème partie
Le film de Chen Huai’ai
Le film commence par une scène où l’on voit Chen
Xiuying s’entraîner devant la maison de thé au
maniement de l’épée, en expliquant que son ambition
est d’unir l’étude des lettres au maniement des
armes (wen et wu) ce qui prépare le
spectateur à sa transformation en héroïne martiale
par la suite – on la retrouve dans l’une des
dernières séquences s’exerçant de la même manière,
mais en grande tenue militaire, avec les quatre
drapeaux sur le dos.
L’affiche du film de
Chen Huai’ai
La grande différence est dans le ton général du film.
L’opéra met d’abord l’accent sur la nature délicate et
féminine du personnage de Xiuying, pour mieux créer le
contraste avec son changement dans la seconde partie ;
l’aspect comique tient, dès le début de la première partie,
au personnage du fils de Shi Xulong, niais et prétentieux,
traité comme un rôle de bouffon ou chou (丑).
Le film est allégé par rapport à l’opéra, sans mettre
l’accent ni sur les niaiseries de Shi Lun ni sur les
prouesses physiques de Xiuying. Chen Huai’ai a, de manière
générale, gommé l’aspect divertissement de l’opéra initial,
pour donner une couleur humaniste à son film, tout en
mettant en valeur le thème de la résistance, incarné en
outre dans un personnage féminin - résistance à un pouvoir
dissolu et corrompu, doublée du courage de faire prévaloir
les valeurs de loyauté et d’abnégation.
L’héroïne fait finalement prévaloir l’amour comme valeur
universelle et humaniste, idéal de lettré qui est celui du
réalisateur et répond à celui de l’époque, dans la période
d’ouverture aussitôt après la Révolution culturelle. Mais ce
thème est traité avec un certain réalisme, et une très belle
mise en scène, qui utilise les ressources du cinéma sans
s’éloigner trop de l’opéra.
[2]
Mise en scène et distribution
identiques à celles de la représentation donnée le
29 novembre 2018 au théâtre de Malakoff dans le
cadre du Festival des opéras traditionnels chinois.