Zhou Hao
est un documentariste indépendant chinois dont le
documentaire sur le maire de Datong,
« The
Chinese Mayor » (《大同》),
a été primé au festival du Golden Horse, à Taipei,
en novembre 2015. C’est une approche subtile d’un
personnage controversé qui va bien au-delà du
discours habituel et des clichés sur la corruption
des autorités locales chinoises.
Son
précédent documentaire, « Cotton » (《棉花》),
avait aussi été primé au même festival, en novembre
2014. Ces deux œuvres parachèvent une série de
documentaires réalisés au cours des quinze dernières
années qui sont autant de réflexions sur la société
et la vie publique en Chine.
De la
photographie et du journalisme au documentaire
Né en 1969
et installé à Canton, Zhou Hao (周浩)
a commencé
Zhou Hao
sa carrière comme
photographe de presse à l’agence Chine nouvelle (新华社),
comme reporter au Southern Weekly (《南方周末》),
mais aussi à la revue taïwanaise Earth (《大地》).
En 1998, il a
obtenu le deuxième prix du Freedom Forum pour son reportage
dans le cadre du concours sur le thème « la pollution
industrielle dans le sud-ouest de la Chine » (“中国西南地区工业污染状况”).
En 2002, il a décroché un prix IPS (Inter
Press
Service) pour son travail sur la vie des riverains du fleuve
Mékong et l’influence du fleuve sur le développement
économique des régions riveraines dans les trois pays
étudiés. Chine, Laos et Cambodge.
En 2002, il a passé
deux mois dans la région du barrage des Trois-Gorges pour
faire un reportage photo sur la vie des populations
déplacées.
Mais, au milieu de
l’année 2001, il s’est lancé dans un travail de
documentariste, les recherches réalisées pour ses reportages
le mettant souvent en contact avec des sujets intéressants.
En 2015, les huit documentaires réalisés dressent un tableau
de la société vue sous deux aspects principaux : les
travailleurs migrants à la base du phénomène de boom
économique de la région du Guangdong, et la gestion du
pouvoir local sous différentes formes.
Un regard critique
sur la société et les élites
1. Il a
commencé par un documentaire sur une petite bourgade
de l’embouchure de la rivière des Perles, à environ
45 km de Canton et 80 de Hong Kong : « Houjie »
(《厚街》).
Depuis le début des années 1980, elle s’est
développée très vite grâce à l’arrivée
d’entrepreneurs de Taiwan, de Hong Kong et de Chine
continentale, attirés par la main-d’œuvre bon
marché. Les ouvriers sont des mingong venus
des régions les plus pauvres de Chine qui passent
sans transition de la campagne à la ville.
Houjie est donc une image de la rapidité de
l’urbanisation en Chine dans les trente dernières
années. Le documentaire a été remarqué en mai 2003
au
Multiculture Visual Festival
du
Yunnan (“云之南人类学影像展”)
où il a obtenu le prix « Poterie noire » (黑陶奖)
décerné au meilleur nouveau réalisateur. En 2004, il
a également été présenté à la Biennale de Shanghai.
Zhou Hao
Houjie,
présentation par Zhou Hao
2. Il a
ensuite réalisé un
documentaire sur la dernière année de lycée dans un
établissement du Fujian : « Senior Year » (《高三》).
Il y donne une vision pleine de sensibilité, un peu
triste et romantique à la fois, de la vie des élèves
replacés dans leur environnement, avec leurs émois
et leurs rêves.
Le film a obtenu le prix du meilleur documentaire au
Hong Kong International Film Festival
en 2006.
3. De là, Zhou Hao
est passé à un sujet beaucoup plus sombre avec « Using »
(《龙哥》) :
la vie d’un couple de jeunes drogués vivant dans un
taudis à Canton, et leur déchéance croissante sous
la dépendance de l’héroïne, entraînant la nécessité
de voler et de s’en faire les dealers pour en
financer l’achat.
Senior Year
Using
Zhou Hao réussit à capter l’esprit d’une véritable
sous-culture, ses deux drogués rappelant par bien
des côtés les paumés magnifiques de
Wu Wenguang (吴文光),
mais en bien plus sordide et cruel, car ceux de Zhou
Hao n’ont même plus le loisir de rêver.
Mais le film pose aussi l’éternelle question du
rapport du cinéaste à son sujet, par la relation
très proche établie entre Zhou Hao avec ses deux
junkies et la frontière très fragile entre les deux
mondes, entre le regard impavide de l’un et la lente
descente aux enfers des autres.
4. C’est peut-être ses deux drogués qui lui ont
inspiré, par contraste, son sujet suivant, sur la
vie dans un petit commissariat de police de
quartier : « Cop Shop » (《差馆》).
C’est aussi un documentaire qui marque un tournant,
vers des sujets touchant la manière d’appréhender la
chose publique, et de gérer le contact avec le
public dans divers espaces urbains.
5. Le sujet est développé au niveau local avec « The
Transition Period » (《书记》),
sorti en 2009. Le titre chinois est plus
significatif, il signifie « Le secrétaire »,
secrétaire du Parti, filmé dans ses fonctions. Le
secrétaire en question est Guo
Yongchang (郭永昌),
tout puissant fonctionnaire de Gushi (固始),
dans le Henan, qui a lui-même appelé Zhou Hao pour
qu’il filme ses derniers mois à son poste.
C’est un magistral document sur
la gestion des autorités locales en Chine, leur rêve
de développement, et leurs
Cop Shop
The Transition Period
manœuvres pour tenter d’y
parvenir : déjeuners somptueux offerts à des
investisseurs potentiels, traitement des menaces
proférées par des ouvriers non payés, offre ouverte
de pots de vin
[1].
Le documentaire présente une vue candide des
structures du pouvoir chinois au niveau local. Mais
c’est aussi un regard sans concession sur la manière
de gérer la terre et les finances locales, un regard
qui en montre le rendement à court terme, en termes
statistiques bruts, mais aussi la terrible
inefficacité en termes de productivité
[2].
En même
temps, le documentaire montre bien le processus de
négociation constante à tous les niveaux de
l’appareil politique, avec une dynamique de
pression-répression très forte du haut en bas de la
pyramide du pouvoir, et comme conséquence la
quasi-impossibilité d’une réforme du système, toute
réforme impliquant une impensable mise en cause du
pouvoir arbitraire exercé par les cadres locaux du
Parti.
« The Transition Period » a obtenu le prix
du meilleur documentaire au China Documentary Film Festival
en 2009.
The Transition
Period (sous-titres chinois et anglais)
6. C’est
en 2013 qu’est sorti le documentaire suivant de Zhou
Hao, sur les urgences dans un hôpital : « Emergency
Room China»
(《急诊室》).
7. Avec « Cotton »
(《棉花》),
en 2014, Zhou Hao est revenu vers un sujet proche de
son premier documentaire, mais de façon plus
approfondie. « Cotton » est une œuvre de maturité,
qui montre la misère nécessairement infligée à tous
les stades du processus
Emergency Room China
de production, de
la cueillette (manuelle) du coton à la présentation finale
des modèles, pour fabriquer
Cotton
un jeans
bon marché. C’est un film qui agit par empathie,
comme il a été réalisé.
Cotton (avec
sous-titres chinois)
8. Enfin,
Zhou Hao a réalisé un documentaire qui peut être
considéré comme une vision complémentaire de celle
de « The Transition Period », mais avec une grande
chaleur humaine :
« The
Chinese Mayor » (《大同》).
Il ne
s’agit plus d’un secrétaire de Parti, mais du maire
d’une grande ville, en l’occurrence Datong, la ville
du charbon, dans le Shanxi. C’est un autre document
magistral sur la gestion du pouvoir local, à travers
un personnage étonnant, se livrant totalement devant
la caméra. Et c’est une autre manière de montrer le
pouvoir absolu que détiennent les élites locales en
Chine, pouvoir limité seulement par l’échelon du
pouvoir au-dessus d’eux, qui peut décider de leur
sort avec le même arbitraire que celui dont ils
usent envers leurs subordonnés et la population.
Sorti en
première mondiale au festival Sundance en janvier
2015,
« The
Chinese Mayor » a
été couronné du prix du meilleur documentaire au
festival du Golden Horse en
Golden Horse Award
pour Cotton,
novembre 2014
novembre, consacrant Zhou Hao comme l’un des meilleurs
documentaristes indépendants en Chine, à
The Chinese Mayor
l’heure actuelle. Un documentariste qui n’accuse ni
ne dénonce, préférant livrer un constat aussi
objectif que possible, en laissant chacun libre de
tirer ses propres conclusions.
[1]
Guo Yongchang se fait filmer ordonnant que l’on
renvoie les pots de vins reçus à leur expéditeur,
mais il a depuis lors été détenu pour corruption.