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Metteurs en scène

 
 
 
     
 

Zeng Jinyan 曾金燕

Présentation

par Brigitte Duzan, 1er octobre 2024

 

 

Zeng Jinyuan

 

 

Militante des droits de l’homme, et des droits de la femme en Chine, essayiste et documentariste indépendante, Zeng Jiyan est aujourd’hui « substitute lecturer » au Centre d'études de l'Asie de l'Est et du Sud-Est à l'université de Lund, en Suède, après une thèse à Hong Kong et un post-doc à Haifa, en Israël.

 

Une vie sous surveillance

 

Elle est née début octobre 1983 à Longyan (龙岩) dans la province méridionale du Fujian, dans une famille hakka : « Hakka, c’est-à-dire invité, hôte accueilli là. Nous étions considérés à l’origine comme des étrangers dans la ville, et c’est une métaphore de ma vie – j’ai toujours été étrangère, marginale dans la société et en retrait par rapport au pouvoir. J’ai vécu sous surveillance 24 heures sur 24, en résidence surveillée à plusieurs reprises, et j’ai dû « disparaître » de 2004 à 2012, tout cela en raison de mon activisme personnel mais aussi de mon mariage avec un militant politique notoire. Ma fille est née alors que j’étais en résidence surveillée. » [1]  

 

C’est effectivement l’histoire de sa vie, dans un contexte où la plupart des gens autour d’elle ont fini par avoir peur de prendre le risque de travailler avec elle ou de se voir associés à elle d’une manière ou une autre, selon un mécanisme de répression typique d’un régime autoritaire, mais aggravé par le fait que de nombreux intellectuels n’adhèrent pas à ses positions féministes. Ses films documentaires et ses publications reflètent sa volonté de trouver une certaine visibilité, en tentant de vivre avec les traumas subis.

 

Comme elle l’explique au début du documentaire « Prisoners in Freedom City » (《自由城的囚徒》), elle a rencontré Hu Jia (胡佳) à l’automne 2001, alors qu’ils faisaient du volontariat pour le sida. Hu Jia est l’un des militants chinois très actifs en matière d’écologie et de lutte contre le sida. Ils se sont mariés le 2 janvier 2006 et, une semaine après leur mariage, Hu Jia a été placé en résidence surveillée. Un mois plus tard, il a disparu, et ce pendant 41 jours. Il est réapparu dans un état d’extrême maigreur, et a dû être hospitalisé pour un début de cirrhose. Zeng Jinyan l’a alors aidé dans ses diverses activités. À partir du 17 juillet 2006, il a été placé en résidence surveillée chez elle, elle-même étant constamment surveillée dans ses déplacements par deux voitures de police.

 

 

Zeng Jinyuan et Hu Jia en résidence surveillée (photo Time)

 

 

En 2007, elle a été parmi les quatre demi-finalistes du prix Sakharov décerné par le Parlement européen et a figuré dans la sélection 2007 des « 100 Pioneers & Heroes » de Time Magazine , comme « one of the hundred men and women whose power, talent or moral example is transforming the world ». En même temps, son passeport lui a été confisqué de manière à ce qu’elle ne puisse sortir de Chine et la surveillance policière n’a jamais cessé, tournant au harassement de sa famille entière pour la faire plier.

 

 

Zeng Jinyan et son bébé (photo der Spiegel)

 

 

Ainsi, en janvier 2012, alors qu’elle devait voyager pour un projet, elle a laissé sa fille de quatre ans avec son mari pour quelques jours. Huit policiers sont entrés dans l’appartement, ont confisqué les ordinateurs et enfermé la petite fille dans une chambre pendant une heure, tandis qu’il interrogeaient son père. À la suite de cet incident, elle a annoncé qu’elle se séparait de lui. Peu de temps plus tard, elle a obtenu la permission de partir à Hong Kong avec sa fille pour y poursuivre ses études [2].

 

Après avoir obtenu en 2017 un doctorat de l’université de Hong Kong, elle est partie en 2020 en post-doc à l’université de Haifa en Israël, puis à Lund en Suède. En dépit de tout, elle n’a cessé de publier et de réaliser des films.

 

Filmographie

 

1. En 2007, elle a coréalisé avec Hu Jia et produit le documentaire « Prisoners in Freedom City » (《自由城的囚徒》). Le film a été tourné pendant qu’ils étaient en résidence surveillée, selon les perspectives très limitées du prisonnier filmant ce qu’il voit dans la rue, tandis que sa surveillance lui est rappelée concrètement à chaque instant par la présence physique des hommes postés à sa porte. C’est un isolement éprouvant auquel il s’agit de résister, et ce documentaire métaphorique, inspiré par « En attendant Godot », est une première étape dans la résistance. Ironiquement, le titre du film reprend le nom du quartier résidentiel où se trouvait l’appartement, dans le district de Tongzhou (通州区), au sud-est de Pékin : BOBO ziyou cheng xiaoqu (自由城小区). En même temps, Zeng Jinyan a tenu un blog, comme une sorte de journal intime à la manière de Fang Fang écrivant pendant son confinement à Wuhan au moment de l’épidémie de covid, et avec autant de succès.

 

 

L’entrée du quartier résidentiel BoBo à Pékin

 

 

 

Prisoners in Freedom City (extrait) 

 

2. En 2012, elle est l’une des trois protagonistes du documentaire de Barbara Miller « Forbidden Voices » qui dépeint la censure dont sont victimes trois femmes, en Chine, en Iran et à Cuba, dans leur lutte contre la répression politique.

 

 

Forbidden Voices

 

 

 

Forbidden Voices, trailer

 

2. En 2015, Zeng Jinyan écrit et filme le court métrage d’animation réalisé par la cinéaste irlandaise Trish McAdam « Poème pour Liu Xia » (《致刘霞》), Liu Xia qui était en résidence surveillée depuis 2010 pour être l’épouse du Nobel de la paix Liu Xiaobo (刘晓波). Le film pose implicitement la question : comment peut-on réussir à se retrouver, à retrouver son identité propre quand on a vécu des années dans l’ombre d’un partenaire dont le nom finit par dominer dans un contexte social et médiatique où l’existence de la femme est oblitérée. Toutes les photographies du film sont de Liu Xia elle-même, ce qui est une manière de lui donner la parole.

 

 

Poème pour Liu Xia

 

3. Zeng Jinyan a ensuite produit le documentaire « We, the Workers » (《凶年之畔》) de Huang Wenhai (黄文海), ou plutôt Wen Hai (文海), le nom dont il a signé ses films à partir de 2010. Le film est sorti en première mondiale en janvier 2017 au festival de Rotterdam et a été en compétition au festival Cinéma du réel à Paris fin mars.

 

 

We The Workers

 

 

Le film s’attache à montrer le coût du miracle économique en termes humains, et la résistance des travailleurs : manifestations, pétitions, grèves, procès. Résistance qui entraîne parfois la perte de leur travail pour les ouvriers et des bastonnades pour les activistes.

 

 

We the Workers, trailer

 

4. En 2017, Zeng Jinyan collabore avec Ai Xiaoming (艾晓明) pour la production et la distribution de son documentaire sur le camp de Jiabiangou, « Jiabiangou Elegy » (《夹边沟祭事》). Elle partage avec Ai Xiaoming la recherche d’une approche, d’un langage qui aillent au-delà du discours globalisant, en provoquant la réflexion et la réaction du public. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2017 à l’université de Hong Kong, porte sur l’œuvre d’Ai Xiaoming [3] et elle a depuis lors écrit une série d’articles sur son aînée et mentor [4].

 

5. En 2020, Zeng Jinyan coréalise « Outcry and Whisper » (《呼喊与耳语》) avec Trish McAdam et Wen Hai. Le documentaire a été projeté en première mondiale en avril au festival Visions du Réel de Nyon, en Suisse [5]. C’est un film très personnel où elle cherche à montrer comment les forces à la fois politiques, économiques et sociales se conjuguent pour oblitérer les femmes, les forçant à agir en dissidence pour regagner une autonomie personnelle autant que collective dans un contexte idéologique qui contribue à les nier, comme d’autres minorités. Zeng Jinyan montre des femmes en position de faiblesse, comme elles le sont dans n’importe quelle société, démocratique ou autoritaire, car, n’ayant pas de pouvoir, elles sont vulnérables. Même quand les intellectuels chinois ont discouru et œuvré en faveur de la « libération » des femmes (comme au début du 20e siècle), cela a toujours été dans un but de défense de la nation.

 

 

Outcry and Whisper

 

 

Le film est en fait un dialogue avec « We, the Workers ». Les deux films captent la réalité des actions collectives des travailleurs dans la Chine actuelle, ce qu’on appelle « mouvements sociaux ». Or, si la plupart des organisateurs sont des hommes, c’est grâce aux femmes que les grèves et manifestations réussissent. Mais, quand Zeng Jinyan a cherché des rushes montrant des femmes y participant, elle n’en a pratiquement pas trouvé. Ce sont les images d’animation de Trish McAdam qui se substituent à la réalité offusquée en mettant en image la parole des femmes recueillie sur le terrain. En même temps, le film a suscité de longs débats entre cinéastes et sponsors, dont le montage a gardé des traces.

 

 

Outcry and Whisper, trailer

 

Le problème, maintenant, tient au manque de visibilité de ces films, privés de diffusion en Chine, y compris à Hong Kong depuis l’imposition de la Loi de sécurité nationale. Mais le problème tient aussi à la dispersion des cinéastes, auteurs et activistes, qui, comme Zeng Jinyan elle-même, se retrouvent isolés dans leurs exils respectifs.

 


 

Publications

 

- Feminism and the Genesis of the Citizen Intelligentsia in China, City University of Hong Kong Press, 2016.

- The Slanting Shaft of Light: Poems of 20 years 《光的斜井》, House of Pele Press, 2023.

 

 

The Slanting Shaft of Light

 

 


 

Traduction

 

《在人民之間》Linking Publishing 聯經, 2021 : Traduction en chinois, en collaboration avec Xu Xibai (doctorant à l’université d’Oxford), du livre de Sebastian Veg Minjian: The Rise of China’s Grassroots Intellectuals, Columbia University Press, 2019.

 

Conversation avec Sebastian Veg sur son ouvrage :

https://madeinchinajournal.com/2021/07/15/revisiting-minjian-intellectuals-a-conversation-

with-sebastian-veg/

 


 

Articles en ligne

 

- Desiring Feminism in Chinese Documentary, Chinese Independent Cinema Observer 3 (Centre for East and South-East Asian Studies, Lund University), mai 2022, pp. 142-178 : https://portal.research.lu.se/en/publications/desiring-feminism-in-chinese-documentary

 

- Words Against the Wind: A Conversation with Liu Wai-tong (廖偉棠) [écrivain, poète et photographe], mars 2022 :

https://madeinchinajournal.com/2022/03/08/words-against-the-wind/

 

- The Face of Working Women in Chinese Documentary, International Documentary Association, janvier 2021 :

https://www.documentary.org/feature/face-working-women-chinese-documentary

 

- Chinese Feminism Under (Self-)Censorship: Practice and Knowledge Production [recueil de six essais issus d’un séminaire en ligne de juillet 2021] : https://madeinchinajournal.com/2021/12/01/

chinese-feminism-under-self-censorship-practice-and-knowledge-production/

 

 

Autres articles et chapitres d’ouvrages : https://www.ace.lu.se/jinyan-zeng

 

  


 

[2] D’après “Leftover Women” de Leta Hong Fincher, Zed Books, 2014, pp. 170-174.

[3] “The Genesis of Citizen Intelligentsia in Digital China: Ai Xiaoming’s Practices of Identity and Activism.” University of Hong Kong PhD Thesis (2017).

[4] “Visualizing Truth-Telling in Ai Xiaoming’s Documentary Activism.” Studies in Documentary Film 11.3 (November 2017), 184–99.

“Documentary Film, Gender and Activism in China: A Conversation with Ai Xiaoming” (tr. Chris Berry). Film Quarterly, 74(1) (2020), 45-50.

[5] À la suite de la projection du film à Nyon, Gina Marchetti a interviewé Zeng Jinyan et Trish McAdam et a publié le texte de leurs échanges sur le site dgenerate films :

https://www.dgeneratefilms.com/post/outcry-and-whisper-a-conversation-between-jinyan-zeng-

trish-mcadam-and-gina-marchetti

Le film a également fait l’objet d’une recension sur screendaily :

https://www.screendaily.com/reviews/outcry-and-whisper-visions-du-reel-review/5149152.article

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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