Le festival
international du cinéma de Toronto s’affiche dès
l’abord comme une institution originale : une
« organisation culturelle caritative ayant pour
mission de transformer par le cinéma la vision que
l’on a du monde ». Ce qui devrait normalement être
le but du cinéma.
C’est en
outre un festival qui se veut non compétitif et ne
décerne pas de palmarès : pas de Lion d’or, de Palme
d’or, d’Ours d’or : à Toronto, le seul prix décerné
est un prix du public, le People’s Choice, plus un
prix des critiques (prix FIPRESCI) dans deux
catégories.
La qualité
même de la sélection lui assure cependant
aujourd’hui une place de choix parmi les grands
festivals internationaux de cinéma, en concurrence
directe avec Cannes. Mais quand on voit la richesse
de la programmation, et sa hardiesse aussi,
artistique plus que politique, on aurait tendance à
privilégier Toronto comme destination festivalière,
d’autant plus que le coût n’est pas le même.
Le logo du festival
Les films chinois
au programme cette année encore, du 6 au 16 septembre,
sont un exemple supplémentaire de la qualité de ce festival,
surtout quand on a vu, depuis le début de l’année, la
pauvreté en films chinois des concurrents. On ne compte pas
moins de neuf films chinois dans les différentes catégories,
et quelques uns en première mondiale. Ce sont en outre des
films signés des meilleurs réalisateurs du moment, dont
quelques uns que l’on n’avait pas vus depuis longtemps et
que l’on retrouve avec plaisir.
Le film
s’inspire d’un événement historique légendaire, le
banquet de Hongmen (“鸿门宴”),
en 206 avant Jésus-Christ, rencontre fatale qui
scella la chute de la dynastie des Qin, ainsi que le
sort du rebelle Xiang Yu (项羽), et ouvrit une voie triomphale à Liu Bang (刘邦),
qui allait ensuite fonder la dynastie des Han.
Lu Chuan a
fait énormément de recherches pour respecter au
mieux la vérité historique, mais a affirmé avoir
traité l’événement « dans une vision moderne ». En
tout cas, le film sera au moins très bien joué :
notons, dans les deux rôles principaux, Liu Ye (刘烨)
dans le rôle de Liu Bang et Daniel Wu (吴彦祖)dans celui de Xiang Yu.
Bande annonce (en
chinois)
Première
internationale
« Caught
in the Web » (《搜索》)
de
Chen Kaige (陈凯歌) :
un film qui marque un retour du cinéaste à un sujet
de société moderne, après deux films historiques, et
avec un sujet à la mode - le harcèlement sur
internet, sorte de chasse aux sorcières moderne qui,
en Chine, a défrayé la chronique plusieurs fois
récemment.
Le film montre comment un
incident anodin peut entraîner des malentendus
dégénérant sur la toile en cyber-poursuite d’une
malheureuse traquée sans raison profonde. C’est l’un
des dangers d’internet aujourd’hui
Chen Kaige présentant
son film à Pékin avec les deux actrices Yao Chen à
gauche et Gao Yuanyuan à droite
dans un pays où, la loi étant plus ou
moins bien respectée et les injustices et abus fréquents,
les internautes tendent à s’arroger le rôle de défenseurs
des droits des victimes.
Le film a pour interprète principale
l’excellente actrice Gao Yuanyuan (高圆圆),
et il est adapté d’une nouvelle publiée, justement, sur
internet… Il est sorti début juillet à Pékin mais sans faire
courir les foules.
Bande annonce
Première
nord-américaine
Taichi 0
« Tai
Chi 0 » (《太极之从零开始》)
de Stephen
Fung (冯德伦) :
un film présenté en première mondiale à Venise avec
une bonne partie de la publicité portant sur la 3D.
A Toronto, cependant, personne ne parle de 3D, mais
d’un film d’arts martiaux original, aux couleurs
flamboyantes et dans un style rappelant le graphisme
des animes japonais, voire des jeux vidéos.
Le film a
quelques atouts de taille : une chorégraphie signée
Sammo Hung, et les interprètes , Tony Leung Ka-fai,
Shu Qi, Angelababy et surtout la nouvelle star des
arts martiaux Yuan Xiaochao (袁曉超),
médaille d’or aux jeux asiatiques en 2006. Il
interprète un jeune qui a l’ambition devenir grand
champion et doit apprendre le « taichi en partant de
zéro » comme l’indique le titre ; il se bat non pas
contre des moulins à vent, mais contre une
locomotive…
C’est pour le moins
original, certes, mais il reste à voir si « Tai Chi 0 »
« révolutionnera » le film d’arts martiaux comme il prétend
le faire.
Etonnamment, le quatrième film chinois de cette
section part d’un thème proche de celui du
précédent : l’incinération des morts. Mais il le
fait dans une optique totalement différente,
caractéristique du réalisateur,
Peng Tao (彭韬) :
la satire sociale, et tout particulièrement les
sujets désespérés, comme c’était le cas de son
premier long métrage,
« La
môme Xiao » (《血蝉》).
Son nouveau
film s’appelle « The Cremator » (《焚尸人》)
(1).
La tradition dont il est question ici est
typiquement
Peng Tao présentant
son film à Toronto
chinoise : quand un
homme meurt célibataire, on le marie post-mortem, à une
femme également morte célibataire.
Le personnage
principal du film de Peng Tao travaille à la morgue d’une
petite ville où il est en charge du contrôle de la bonne
application des rites funéraires. Quand on lui diagnostique
un cancer terminal, il décide de prendre pour épouse une
suicidée dont la police vient d’apporter le cadavre. Mais
l’histoire se complique quand il fait la connaissance de sa
sœur, bien vivante, elle….
C’est a priori la
première mondiale du film bien qu’il ne figure pas dans
cette section.
« Vangard »
Deux films chinois
figurent dans cette section dont l’intitulé trompe un peu,
c’est pourquoi il vaut mieux le garder entre guillemets :
d’après la définition du festival, il s’agit de films
« provocateurs, sexy et potentiellement dangereux », et ce
sont essentiellement des thrillers.
Beijing Flickers
Le premier
film chinois de cette section est « Beijing
Flickers » (《有种》)
de Zhang Yuan (张元).
Il répond sans doute à la première partie de la
définition. Zhang Yuan est le réalisateur auquel on
doit, du moins en partie, les débuts du cinéma
indépendant chinois, en 1989 (2). Il a longtemps
conservé, effectivement, une aura de provocateur,
mais il y a quelque temps, quand même, qu’il ne peut
plus être considéré comme tel.
« Beijing
Flickers » est, il est vrai, un retour au thème du
film qui l’a rendu célèbre : « Beijing Bastards » (《北京杂种》),
et on y pense tout de suite, dès la lecture du titre
(en anglais et en chinois). C’était en 1993, on
n’arrive pas à croire qu’il y ait seulement vingt
ans.
« Beijing
Bastards » était une virée dans le Pékin nauséeux
des lendemains de Tian’anmen, montrant une bande de
jeunes artistes déboussolés peinant à trouver leur
voie, le
tout sur fond de
musique rock. « Beijing Flickers » reprend le même sujet
dans le Pékin d’aujourd’hui, mais ses jeunes sont maintenant
des chômeurs et laissés pour compte de la croissance, dans
des situations sans issue au sein d’une ville en plein boom.
On a comme une impression de déjà dit…
Bande annonce
Quant au
second film chinois de la section, il s’agit de « Motorway »
(《车手》)
de Soi Cheang (郑保瑞),
protégé de
Johnnie To
qui a produit le film. Soi Cheang revient au genre
qui lui a valu en 2009 un succès au box office avec
« Accident » (《意外》).
Ici, il
s’agit de « courses poursuites époustouflantes dans
la nuit de Hong Kong », avec Anthony Wong en flic à
la retraite, spécialiste de la poursuite de
délinquants en fuite, qui reprend du service pour
former un nouvel arrivé. Le film est sensé laisser
le spectateur cloué sur son siège en ayant
l’impression de sentir l’odeur du caoutchouc brûlé.
Il est destiné aux « fans d’action ».
Les droits
ont déjà été vendus pour le Royaume Uni à Arrow
Films. Toronto est une place de marché très
efficace.
Motorway
Images du tournage
Signalons enfin que
Jackie Chan est parmi les « mavericks » invités à converser
avec le public ; il est là, en fait, après Cannes, pour
faire la promotion de son nouveau film, « Chinese Zodiac »,
destiné, lui, … aux fans de Jackie Chan.
Au vu de ce
programme, qui donne un bon aperçu de ce que le cinéma
chinois a à offrir de plus intéressant à l’heure actuelle,
pour des publics très divers, et en comparant avec le reste
de la programmation, on ne peut s’empêcher de penser que ce
cinéma a du mal, à quelques exceptions près, à soutenir sa
prétention à une place de choix dans le cinéma mondial. Les
restrictions à la liberté de création dont souffrent les
réalisateurs chinois se font de plus en plus cruellement
sentir.
Programmation
complète et descriptifs des films sur le site du festival :
(1) Le titre
anglais est mal choisi car il existe déjà un autre film avec
le même titre, une allégorie politique de la Nouvelle Vague
du cinéma tchèque tourné en 1968.