« Bodyguards and Assassins » : fiction qui révise l’histoire
par Brigitte Duzan,
06 juin 2012
Alors que
« Bodyguards and Assassins » (《十月围城》)
figure au programme des projections du Centre
culturel de Chine, à Paris, le samedi 9 juin, il est
intéressant de revenir sur un film déroutant à bien
des égards.
Il s’agit
d’un film du réalisateur hongkongais Teddy Chan, ou
Chen Desen (陈德森),
sorti en Chine le 18 décembre 2009.
Entre
histoire et fiction
Le scénario
conte l’histoire d’un Sun Yat-sen préparant un
voyage à Hong Kong en 1905 pour y rencontrer ses
amis révolutionnaires et échafauder des plans pour
renverser la dynastie des Qing. La cour impériale
envoie alors une escouade de tueurs pour le faire
disparaître.
Dès ces
premières lignes apparaît toute l’ambiguïté du
film : sous une apparence de fiction historique très
bien documentée, le film
Bodyguards and
Assassins
relate en fait des
événements qui n’ont jamais eu lieu. Les réunions qu’a
tenues Sun Yat-sen pour planifier les révoltes contre le
régime impérial ont eu lieu à Singapour. C’est ce que montre
parfaitement l’autre film sur un sujet analogue :
« La
révolution de 1911 » (《辛亥革命》).
Tout le film est
donc bâti sur une fiction, les personnages étant cependant
calqués sur des personnages historiques, leur interprétation
par des stars populaires, en particulier de la chanson ou
des films de kungfu, contribuant néanmoins à les
décrédibiliser quelque peu. Le sérieux des explications
données in extenso contraste constamment avec les libertés
prises avec l’histoire.
Plus fiction
qu’histoire
Le vrai Yeung Kui-wan
Cette
fiction n’est cependant pas anodine. Un grand nombre
d’historiens contestent aujourd’hui le rôle central
que l’on attribue à Sun Yat-sen dans le
déclenchement des événements ayant mené à la
révolution Xinhai, fin 1911. Le montrer venant à
Hong Kong rencontrer les révolutionnaires locaux
pour planifier des soulèvements bien précis équivaut
à le replacer au centre de l’action révolutionnaire.
On pourrait
dire qu’il s’agit d’un film d’action de Hong Kong à
replacer dans la vogue des films de kungfu
historiques situés au début du vingtième siècle. Là
encore, ce ne sont que les apparences : le film a
été produit par Peter Chan associé à …
Huang Jianxin (黄建新),
devenu le bras droit de Han Sanping (韩三平)
au sein du groupe China Films qui en assure
d’ailleurs en grand partie la distribution.
C’est un
film à replacer, en fait, dans les efforts de
promotion, par le régime chinois, d’une nouvelle
image de Sun Yat-sen comme « père de la nation »,
dans laquelle se range aussi
« La
révolution de 1911 » (《辛亥革命》),
également produit et réalisé, d’ailleurs, à Hong
Kong.
« Bodyguards and Assassins » vaut un détour au
Centre culturel de Chine, pour son intérêt
historique autant que cinématographique, ou plutôt
pour voir
Les rues de Hong Kong,
début années 1900
comment, encore
une fois, est réécrite l’histoire.
Mais il nécessite
un mode d’emploi préalable pour comprendre les événements
évoqués, et les personnages représentés.
Mode d’emploi
liminaire
Tony Leung en Chen
Xiaobai
La séquence
d’ouverture de « Bodyguards and Assassins » montre
l’assassinat de Yeung Kui-wan ou Yang Quyun (杨衢云),
interprété par Jacky Cheung (张学友).
Yeung
Kui-wan était le président de la société littéraire
Furen (辅仁文社),
société révolutionnaire fondée à Hong Kong en 1892
et fusionnée en 1895 avec la « Société pour le
redressement de la Chine » ou Xingzhonghui (兴中会)
fondée quelques mois auparavant par Sun Yat-sen à
Hawai. Il garda la présidence du Xingzhonghui
et fut assassiné en 1901 par un agent secret de la
cour impériale.
Ce prologue
replace ainsi le film dans la vague des assassinats
politiques à Hong Kong, débutant par celui de Yeung
Kui-wan. Le couvert de vérité historique est ainsi
amorcé. Il est renforcé par une superbe
reconstitution de la Hong Kong du début des années
1900.
Les personnages
principaux sont également calqués sur des personnages
historiques :
- Sun
Wen (孙文), autre nom de Sun Yat-sen, est interprété par
Zhang Hanyu (张涵予) ;
- Chen
Shaobai (陈少白), interprété par Tony Leung Ka-fai (梁家辉)
: rédacteur en chef du China Daily à Hong
Kong, il est enlevé pendant un raid, mais réussit à
s’échapper ;
- Li
Yutang (李玉堂),
interprété par Wang Xueqi (王学圻):
homme d’affaires et vieil ami de Chen Shaobai,
finançant en secret les révolutionnaires, c’est lui
qui réunit un groupe de gardes du corps pour
protéger Sun Yat-sen ;
- le
général Yan Xiaoguo (阎孝国),
interprété
Donnie Yen
par Hu Jun (胡军)
: ancient élève Chen Shaobai, fidèle à la dynastie, il est
envoyé par l’impératrice assassiner Sun Yat-sen.
Les autres
personnages sont plus fantaisistes, bien que traités comme
des symboles :
- Fang
Tian (方天),
interprété par Simon Yam (任达华) :
ancien général vivant en exil à Hong Kong, il
déguise ses hommes en troupe d’opéra, et est tué
lorsque les assassins assiègent le théâtre ;
- Fang
Hong (方红),
interprétée par la chanteuse pop Li Yuchun (李宇春) est la fille du précédent : elle est adepte d’arts martiaux et décide
de se joindre aux gardes du corps après l’assassinat
de son père ;
- Liu
Yubai (刘郁白),
interprété par Leon Lai (黎明),
est un mendiant expert en arts martiaux qui se bat
avec un éventail de fer (clin d’œil au dessin
animé ?) ;
- Deng
Sidi / "Si" (邓四弟
/
阿四),
interprété par Nicholas Tse (谢霆锋),
est un tireur de pousse au service de la famille Li
qui sera l’une des victimes sacrificielles de
l’histoire ;
- Wang
Fuming (王复明),
interprété par l’acteur mongol Mengke Bateer, est un
ancien moine du monastère de Shaolin devenu vendeur
de toufu qui veut expier ses fautes pour revenir au
monastère ;
Wang Xueqi en Li
Yutang
- Shen Chongyang
(沈重阳),
interprété par Donnie Yen (甄子丹),
est un policier qui a le vice du jeu mais finit par
rejoindre les gardes du corps après avoir été convaincu de
le faire par Yueru ;
- Yueru (月茹),
interprétée par Fan Bingbing (范冰冰),
est l’ancienne épouse de Shen Chongyang dont elle a une
fille, et la quatrième concubine de Li Yutang.
Li Yutang recrutant
ses gardes du corps
Le
sacrifice est le thème principal du film, comme il
était celui de « La révolution de 1911 ». Mais
l’interprétation en est l’un des atouts principaux,
avec les scènes d’action. Si Donnie Yen joue les
clones d’Ip Man, les rôles secondaires sont parfois
très bons, mais c’est Wang Xueqi, dans le rôle de Li
Yutang, qui crève l’écran : il a d’ailleurs été
primé plusieurs fois à Hong Kong. Il est l’un des
rares acteurs du film à faire un rôle de composition
et à s’effacer derrière son personnage, en faisant
oublier ses rôles
précédents. On peut
voir le film rien que pour lui.