9e
édition du « New Directors’ Showcase » de Shanghai : trois
journées de nouveaux films chinois
Jean-Maurice Rocher, 12
décembre 2023 à Shanghai
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Le Shanghai New
Directors' Showcase 2023 (8-10 décembre) |
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La reprise du « Shanghai New
Directors' Showcase » (« 2023青年导演海上影展 »)
a été particulièrement confidentielle : quatre-vingt-six
places disponibles au total
sur deux salles VIP du Musée du cinéma de Shanghai (上海电影博物馆).
Huit films ont été projetés, dont plusieurs avaient déjà été
présentés au festival FIRST de Xining (FIRST影展
·
西宁青年/惊喜)
et/ou au festival de Pingyao (平遥国际电影展).
Voici quelques notes sur les
cinq premiers films de cinéastes chinois vus à cette
occasion.
[Nota :
les astérisques indiquent qu’il s’agit d’une réalisatrice]
« Yangzi's Confusion » (《 洋子的困惑 》),
Li Jue (李珏)*,
2023
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Yangzi's Confusion 《 洋子的困惑 》 |
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L'absence de rythme et d'enjeux scénaristiques prenants est
à peine rattrapée par un bon travail du chef opérateur (dans
un format 4/3 en vogue, ou parce qu'en vogue) qui permet d'y
voir légèrement plus qu'un épisode de série d'une heure
trente. Jamais les choix de mise en scène ne donnent
l'impression de correspondre à une nécessité, c'est-à-dire à
une écriture directement cinématographique du scénario. Ils
correspondent plutôt à une illustration après coup d'un
scénario (très laborieusement) écrit. Pour reprendre
l’expression de Truffaut, on peut sans aucun doute parler
ici de cinéma chinois « de qualité »
...
« Summer Diary » (《百川东到海》),
Wu Shuang (吴双)*,
2022
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Summer Diary《百川东到海》 |
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Une journée d'été dans le
journal intime d'un petit garçon habitant dans un coin perdu
du Gansu. Le film s'inscrit donc d'emblée dans une
problématique d'écriture, c'est pourtant une fois de plus là
où le bât blesse. Jamais le scénario n'arrive, malgré de
gros efforts pour essayer d'y parvenir, à appliquer les
axiomes de la réussite proposés par le cousin prodige que le
garçon rencontre lors de ses pérégrinations : « un début
intrigant, un milieu bien ficelé, une fin poignante » (au
contraire des « films d'enfants » de Li Ruijun auxquels on
pense parfois vaguement). Tout ou presque est trop scolaire
et stéréotypé (la séquence initiatique filmée en partie au
ralenti dans la piscine à vagues d'un aquaparc local...),
pour un genre cinématographique (le fameux « film d'enfants
estival ») déjà hyper répandu dans le cinéma chinois de
cette dernière décennie. Finalement, le problème principal
réside moins sans doute dans l'échec de cette recette
scénaristique, que dans l'intention naïve même de vouloir
appliquer une recette toute faite qui fonctionnerait
systématiquement.
Le film est sorti au
festival FIRST de Xining en 2022.
« One Man Funeral » (《一个人的葬礼》),
Chao Fan (超凡),
2023
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One Man Funeral 《一个人的葬礼》 |
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Quatre-vingt-dix minutes de
rituels funéraires d'un fils à son père décédé dans une zone
reculée et montagneuse, avec le point de vue du chien. Le
film ose au moins se détourner très franchement de
l'écriture d'un scénario pour se concentrer sur une vraie
idée de mise en scène. Hélas, cette idée est bien la seule,
et surtout elle ne semble jamais vraiment justifiée par
rapport aux situations filmées (étrange comme un plan
séquence dans la peau d'un chien ressemble ici à un plan
séquence d'un documentaire lambda, si l'on enlève les
bruitages ajoutés). Une vague histoire d'agneau blanc blessé
et de loup qui rode dans les parages maintient vaguement en
haleine ; on se gardera bien d'interpréter le symbole
probablement lourd. Le beau noir et blanc brumeux des
rituels funéraires est entrecoupé de quelques plans en
couleur de sortie du deuil (et, visiblement, de passage à la
modernité) qui n'apportent pas grand-chose et pourraient
bien avoir été imposés par la censure
.
Le film est sorti au
festival FIRST de Xining en 2021.
« The White Cow » (《最后的告别》),
Zhang Zhongchen (张中臣),
2021
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The White Cow 《最后的告别》 |
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Difficile de voir ici, une fois
de plus, autre chose qu'un moyen métrage étiré sur une heure
cinquante... De beaux cadres, un bon usage de la profondeur
de champ (notamment avec changements de focale), mais
répétés à la manière excessive de qui se regarde filmer
.
Après l'homme solitaire avec son chien
et la mère qui refuse de parler à sa fille, le garçon
sourd-muet. Autant de personnages mutiques qui renforcent le
sentiment que ces jeunes cinéastes s'engouffrent par
mimétisme dans cette voie de l'incommunicabilité qui assèche
un peu plus leurs scénarios jusqu'à une forme
d' « autisme », confortable parce qu'il ne repose jamais sur
un plus grand questionnement critique vis-à-vis de la
société chinoise actuelle (contrairement aux meilleurs films
de Jia Zhangke, par exemple).
Ainsi, dans « The White Cow », tout ce qui dysfonctionne
provient de dérèglements physiologiques et psychologiques
(révélés en bloc dans la dernière partie du film).
« Day Tripper » (《一日游》),
Chen Yenqi (陈延企),
2023
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Day Tripper 《一日游》 |
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Ce film semble prolonger
l'hypothèse formulée précédemment, car l'économie de paroles
pour esquiver les problèmes dans un pays où le pouvoir
encourage à se taire est ici astucieusement retournée comme
un gant afin de laisser la place à un burlesque et un humour
noir aphones et corrosifs qui tirent (discrètement) sur à
peu près tout ce qui sclérose ou engendre la reproduction
mimétique normative dans le quotidien de la petite ville
chinoise lambda où le film se déroule
.
Dans un territoire scénaristique « asséché » (d'où les
omniprésents cactus décoratifs dans le film ?) par les
censeurs politiques et économiques, reste pour Chen Yenqi
l'humour qui est à même de le revivifier un peu par
l'entremise de l'irrévérence.
Note complémentaire
(Brigitte Duzan)
Le programme du festival
commençait par un documentaire de
Zhou Hongbo (周洪波).
Son film – « One and More » (《一和多》)
– retrace l’histoire de musiciens qui parcourent les
montagnes de la préfecture autonome tibétaine de Yushu (玉树藏族自治州),
située au sud-ouest du Qinghai mais autrefois rattachée au
Kham, pour recruter des élèves dans les écoles afin de
former un chœur d’enfants. Le film rappelle certains thèmes
chers à Pema Tseden (certaines scènes, filmées dans
l’encadrure d’une porte, par exemple, semblent même lui être
directement empruntées).
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One and More 《一和多》 |
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Les deux autres films du
programme étaient :
- « Gone with the Boat » (《乘船而去》)
de Chen Xiaoyu (陈⼩⾬)
Une vieille femme est atteinte
d’une tumeur au cerveau. Ses deux enfants reviennent
s’occuper d’elle.
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Gone with the Boat《乘船而去》 |
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« May » (《梅的白天和黑夜》)
de Luo Dong (罗冬).
Après deux mariages ratés et
deux divorces, Yumei écume les dancings de Shanghai à la
recherche de l’homme de sa vie.
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May 《梅的白天和黑夜》 |
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