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« Ten Months
With You » : un film controversé de Chen Kaige sur les mères
porteuses
par Brigitte Duzan, 16 décembre 2020
« Ten Months With You » (《宝贝儿》)
est un film de 30 minutes réalisé par
Chen Kaige (陈凯歌)
pour conclure la deuxième saison de la série TV de
reality show « Everybody Stand By (2) » (演员请就位2)
– littéralement : « acteurs, svp, prenez place ».
Les épisodes de chaque série (2019 et 2020) sont
destinés à mettre en valeur les talents des acteurs,
d’où le titre. Un jury de réalisateurs décerne en
fin de saison un prix au meilleur acteur, ou à la
meilleure actrice.
Le court métrage de Chen Kaige a pour thème la
question très controversée des mères porteuses : la
pratique est interdite en Chine, mais fleurit sur le
marché noir. Le film met en scène une jeune fille
qui décide, moyennant finances, de « porter » un
bébé pour une femme qui ne peut pas avoir d’enfant ;
mais, pendant la grossesse, la jeune fille s’attache
de plus en plus au bébé qui va naître, jusqu’à
vouloir le garder pour elle après sa naissance.
Finalement, elle cède aux menaces de l’agent qui a
servi d’intermédiaire et aux arguments de son petit
ami, et abandonne le bébé au couple mandataire. Tout
le monde est content. |
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10 Months With You |
Le film joue sur
les déchirements émotionnels des parties au contrat. Il ne
prend pas explicitement position sur ce qui est présenté
comme un accord de type commercial : prestation fournie
contre paiement. Mais Chen Kaige a pris soin de faire
figurer au générique final la mention que cette pratique est
interdite par la loi en Chine, et donc punie si elle est
enfreinte. Sur la page weibo du show TV
,
le film est présenté comme une réflexion en forme
d’« élégie » (悲歌)
sur le problème moral que pose la pratique des mères
porteuses, impliquant qu’il y a des limites à ne pas
franchir, même en cas de débâcle financière.
Une histoire de jeunes
sans le sou |
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Malgré toutes ses précautions, le film s’est malgré
tout retrouvé confronté à une vive controverse sur
les réseaux sociaux, pour présenter le problème sous
un jour relativement positif. Les critiques
attaquent en particulier la conclusion du film :
finalement, toutes les parties repartent
satisfaites, billes en poche, sans avoir eu à subir
les conséquences légales de leur acte. La plupart
des commentaires considèrent la pratique des mères
porteuses comme une exploitation de la femme,
surtout dans les couches |
défavorisées de la société, et insistent sur le caractère
irréaliste du film qui évite d’aborder les problèmes sociaux
autant que moraux que pose le sujet.
Les médias gouvernementaux n’ont pas été en reste. Il a été
rappelé au public que la Chine a officiellement interdit
cette pratique, et qu’il convient de respecter la loi. Le
film ravive les controverses de ces dernières années, en
Chine comme ailleurs, concernant la liberté du corps de la
femme, et l’éthique des pratiques de reproduction par
subrogation.
La controverse est d’autant plus vive que
l’interdiction a généré un marché noir pour répondre
aux demandes des couples désespérés de ne pas
pouvoir avoir d’enfant. C’est ce marché noir qui
constitue le plus gros risque pour les mères
porteuses qui n’ont pas de protection légale. Il y a
donc des avocats de la légalisation de la
subrogation, d’autant plus que, dans les
circonstances actuelles, cela irait dans le sens de
la politique gouvernementale d’encouragement aux
naissances.
Le film vient donc relancer une polémique qui ne
date pas d’hier. Mais ce n’est qu’un mélo sans
beaucoup de consistance, sauf peut-être pour le jeu
des acteurs (qui est en fait ce dont il est question
dans cette série TV). Le sujet a été abordé de
manière bien plus percutante, sous l’angle
satirique, dans le récit aussi poétique qu’ubuesque
de Sheng Keyi (盛可以)
« Un paradis » (《福地》)
paru en traduction française aux éditions Picquier
en 2016, il y a déjà près de cinq ans.
C’est ce récit qu’on aimerait voir adapté
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Un Paradis |
au cinéma, mais on
peut toujours en rêver dans les conditions actuelles.
Lire en complément
La critique du South China Morning Post
https://www.scmp.com/lifestyle/entertainment/article/3113626/chinese-viewers-divided-over-
film-about-surrogacy-illegal
La critique du China Daily, alertant dans sa conclusion
finale sur le danger du film qui pourrait « faussement
amener des jeunes femmes à penser que la subrogation
est "okay" » :
http://global.chinadaily.com.cn/a/202012/09/WS5fd0181aa31024ad0ba9aaab.html
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