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4ème édition du West Lake International
Documentary Festival
par Jean-Maurice Rocher*, à
Hangzhou, 20 octobre 2020
La 4ème édition du West Lake
International Documentary Festival (West Lake IDF) s'est
déroulée à Hangzhou (Zhejiang) du 16 octobre au 19 octobre
2020.
Né la même année que le
Pingyao International Film Festival (PYIFF) et se tenant
quasiment au même moment, le West Lake IDF est son jumeau
discret. Cette année, Covid-19 oblige, l'accès était plus
difficile et les invités étrangers étaient évidemment aux
abonnés absents. Le festival se tenant en grande partie sur
le campus de l'Académie des Arts de la Chine, des
autorisations particulières pour y pénétrer étaient
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nécessaires après
avoir montré plusieurs codes de santé verts sur
différentes applications... Pour autant, le
programme était aussi fourni en films et en
conférences que lors des précédentes éditions, les
spectateurs (masqués) nombreux, et les réalisateurs
chinois comme d'habitude présents pour échanger
autour de leur film avec les spectateurs après la
projection. L'ambitieux et beau thème de cette
année, situé entre universalité et singularité :
« Life, lives » (« La vie, des vies »).
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Nous avons pu voir quatre
documentaires chinois dont nous vous proposons ci-dessous un
compte-rendu critique.
无臂七子
The Arms of Seven Men
中国
|81分钟
导演:金行征
制片人:张超、王世晓、连明焱
类型:纪录长片
对白语言:中文
2019
(Guangzhou International Documentary Film Festival)
https://www.westlakeidf.com/en/movie/815
Le film évoque la vie et
l'oeuvre d'un collectif de sept hommes manchots habitant
dans différentes provinces de la Chine mais se retrouvant
régulièrement pour des démonstrations de calligraphie (en
tenant le pinceau à la bouche), entre autres dans un but
caritatif.
Jin Xingzheng filme
des hommes transformant, du fait d'un handicap,
l'ordinaire en quelque chose d'extra-ordinaire - ne
serait-ce que par l'usage hors du commun qu'ils font
quotidiennement des membres de leur corps,
indépendamment de leurs grands talents artistiques.
Le cinéaste enregistre bien cela, de façon sobre
avec des plans d'ensemble et rapprochés, sans jamais
toutefois transformer son film en un mauvais
spectacle voyeuriste du fait de sa complicité avec
les « acteurs ». L'une des premières séquences en
plan fixe où l'on assiste à l'habillage matinal de
l'un des hommes est, par exemple, aussi belle qu'une
scène de film d'arts martiaux hongkongais où un
athlète expose devant la caméra toute la dextérité
de ses mouvements corporels cultivée à
l'entraînement. C'est peu dire que l'emploi fréquent
du vocable « pieds » dans les expressions
péjoratives qui moquent la maladresse d'autrui perd
tout sens après la vision de ce film, tant ces sept
hommes sans bras nous font découvrir toute une gamme
d'actions complexes possibles avec ceux-ci.
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Si les démonstrations
artistiques (calligraphie, peinture, gravure de sceaux,
etc.) sont également impressionnantes et en partie réalisées
pour une bonne cause, on peut en revanche regretter les
quelques passages où les discours du passé des acteurs face
à la caméra se font assez édifiants, avec leçon de vie,
pleurs et musique tire-larmes. Là, le documentaire se fait
plus conventionnel en épousant les normes télévisuelles les
plus éculées pour tirer les spectateurs vers l'émotion bon
marché.
De Frederick Wiseman à Johan
Van der Keuken, en passant par Werner Herzog, les grands
documentaristes ont éprouvé à un moment donné, comme Jin
Xingzheng, la nécessité de filmer des personnages qui vivent
dans la réalité avec quelque chose en moins qui les empêche
d'éprouver celle-ci de la même manière que les autres
individus. En choisissant un tel sujet, c'est comme s'ils
avouaient être eux-mêmes en partie démunis au moment de
filmer le trop-plein de la réalité. Ne resterait dans leur
caméra et sur les écrans seulement quelque chose d'atrophié
et parcellaire que l'on nomme le réel.
潘家湾
Chinese Village Head
中国
|77分钟
导演:张秘密
制片人:李侃
对白语言:中文
2020 -
Avant-première mondiale
https://www.westlakeidf.com/en/movie/758
Le travail chaotique d'un
secrétaire âgé du Parti d'un village du Hubei par temps de
campagne nationale pour l'éradication de la pauvreté en
milieu rural.
Le réalisateur Zhang
Mimi est porté par les situations et les paroles
qu'il filme, le sujet semble compter d'avantage que
la forme plus erratique. Le découpage en quatre
saisons est sans doute un peu stéréotypé, c'est une
construction beaucoup vue dans le cinéma chinois
(documentaire ou non), et surtout une certaine
hésitation à tenir un point de vue particulier (le
portrait précis d'un individu ou celui de toutes les
forces en présence d'un contexte) se fait sentir. La
composition d'ensemble offre toutefois un regard
très rare sur le fonctionnement des autorités
locales.
Pan Daosheng, le chef
du village, se trouve au cœur de contradictions
insolubles car dans un rôle où, quasiment esseulé,
il doit gérer tout et son contraire dans le même
temps : l'« éducation » idéologique du peuple pour
l'évolution du village vers le tourisme ainsi que
les problèmes concrets du même peuple attaché à ses
habitudes et qui résiste à cette |
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incompréhensible évolution
soudainement imposée d'en haut. S'il fait volontiers passer
les villageois pour des imbéciles, ce sont pourtant eux qui
régulièrement, dans le champ ou le hors-champ de la caméra,
lancent de petites phrases acerbes amusantes mais relevant
également d'un certain bon sens populaire. L'immobilisme du
secrétaire conduit à une absurdité : se voyant dépassé et ne
souhaitant pas briguer un nouveau mandat lors des élections
locales, il se retrouve à nouveau élu chef du Parti local
puis maire, faute de remplaçant. Il lui est reproché (et il
se reproche) de ne pas avoir formé de jeunes cadres qui
puissent prendre sa succession. Curieusement, alors que nous
étions persuadés que « tout est politique », son supérieur
du Parti lui affirme que « tous les problèmes sont en
définitive des problèmes personnels », le renvoyant un peu
plus à sa propre responsabilité plutôt qu'à une remise en
question d'ordre plus général. Dans le même temps, le
cinéaste filme quelques tentatives de séances pédagogiques
d'apprentissage politique auprès d'habitants plus
« jeunes », mais celles-ci ont tout de la caricature et du
salmigondis idéologique improvisé. Ici, c'est Zhang Mimi
lui-même qui semble discrètement mais courageusement prendre
en charge, à travers son travail de cinéaste, une certaine
distance politique et critique qui fait sciemment défaut aux
autorités locales qu'il filme. Cette situation micro floue,
où un chef dérive car il n'y croit plus vraiment mais se
voit obligé de continuer malgré lui suite à un vote, paraît
l'envers absolu de la situation macro nationale, où un
président impose de manière autoritaire la perpétuation de
ses pleins pouvoirs ad vitam aeternam. L'intérêt du
film vaut en particulier pour cet écho avec l'actualité du
pays qu'il peut produire chez les spectateurs. Au cœur des
deux processus réside la même problématique des transitions
internes d'un Parti vieillissant, pour ne pas dire
déclinant.
半坟半兽
Half Grave Half Beast
中国
|71分钟
导演:沈洁
制片人:沈洁
对白语言:中文
2020 -
Avant-première mondiale
https://www.westlakeidf.com/en/movie/756
L'artiste Shen
Jie évoque sa relation compliquée avec ses frères qui lui
reprochent d'avoir abandonné leur mère pour se livrer à ses
activités personnelles.
Des
quatre documentaires chinois vus cette année au West
Lake IDF, « Half Grave Half Beast » de Shen Jie est
sans aucun doute le plus abouti et le plus exigeant
d'un point de vue artistique (qu'il soit reparti
sans récompense reste un mystère, d'autant plus
lorsque le titre de « meilleur documentaire de
l'année » est décerné à un film aussi médiocre et
insignifiant que « Ninosca » de Peter
Torbiörnsson !). Shen Jie filme, il est le monteur
du film, il écrit et lit aussi les poèmes qui
figurent dans son film.
L'artiste se situe au cœur même de la construction
de son film, puisque ce dernier s'ouvre sur un long
réquisitoire écrit puis verbal porté contre lui par
l'un de ses frères qui lui reproche d'abandonner sa
famille - et en particulier sa vieille mère - pour
mener sa vie insouciante et nomade de cinéaste.
C'est visiblement par son film, et longtemps après
le décès de sa mère, que le cinéaste répond au
procès fait contre lui par ses |
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frères. Mais
sa grande puissance est de décentrer ou
« déterritorialiser » (au sens de Deleuze) sa réponse en
esquivant la vieille quincaillerie de la culpabilité
personnelle et du psychologisme, tout en lui substituant un
désir poétique et polyphonique. A travers sa réponse et
l'hommage personnel rendu tardivement à sa mère décédée, il
rend à égalité hommage à tout un peuple local de vivants et
de fantômes errants dans les profondeurs oubliées de sa
région natale rurale et pauvre, filmée à un moment donné par
l'intermédiaire d'un lent panoramique à 360 degrés (on pense
ici au travail de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet).
C'est précisément ce refus opiniâtre de l'artiste de séparer
le familial du social pour s'attacher exclusivement au
premier qui échappe à son frère qui lui reproche son manque
de piété filiale, et sa réponse artistique poursuit cette
dérive dans un grand éclat de rire étranglé.
Au cœur du
film, figure l'incroyable scène de l'excavation nocturne des
ossements de sa mère morte et enterrée quelques années
auparavant. Obligés de déterrer les restes de leur mère
placés sur le tracé d'un projet d'autoroute, les frères
fouillent la terre glaise puis trient les os récupérés
devant la caméra impassible de Shen Jie. S'il s'agit-là d'un
moment de cinéma exceptionnel, absolument transgressif et
donc subversif (voir « Le cinéma, art subversif », Amos
Vogel), il s'en dégage également un sentiment de grande
douceur. Le cinéaste laisse durer la scène, en plan fixe
avec au premier plan le nouveau cercueil où sont entreposés
dans le coton les restes de sa mère. Ainsi, l'absurdité
macabre de l'activité nocturne des frères devient, dans la
délicatesse et la méticulosité mises à l'ouvrage, comme
naturelle. Là encore, Shen Jie répond à ses frères, moins
par des excuses personnelles qui témoigneraient d'une
culpabilité vis-à-vis de son comportement passé, que par un
profond désir de les filmer eux, dans le véritable amour
qu'ils portent à leur mère, au-delà même de la mort. Cette
scène est précédée par une séquence d'un homme qui nettoie
en gros plan les cals à l'extrémité de ses doigts terreux en
coupant la peau à la serpe. Comme la terre, comme les morts,
le corps des vivants est manipulé et saccagé.
A l'arbre et à
ses racines (la famille) qu'il brûle dans la nuit, Shen Jie
préfère définitivement le brin d'herbe sauvage accroché
arbitrairement à un roc. Cinéma de l'insert, cinéma
« mineur ».
山间风疾
Wind of Change
中国
|148分钟
导演:陈华翔
制片人::陈华翔
类型:纪录长片
对白语言:中文
2020 -
Avant-première mondiale
https://www.westlakeidf.com/en/movie/805
Chen Huaxiang
expose les péripéties du tournage d'un film indépendant
chinois réalisé par Li Dongmei dans un petit village du
comté de Chongqing.
Deux
heures trente d'anecdotes sous forme de chutes de
tournage, c'est long, beaucoup trop long, répétitif,
trop répétitif. Si nous ne le savions déjà, nous
comprenons vite que tourner un film indépendant à
prétention auteurisante en Chine c'est difficile,
qu'alternent dans l'équipe les moments de doute et
d'assurance, que se posent des problèmes d'argent et
d'autorisations et que se développent des conflits
d'ego... Si bien que ce qui aurait éventuellement pu
constituer un moyen métrage amusant, voire
informatif, devient un long documentaire d'un
irritant nombrilisme où l'on passe son temps à se
regarder filmer, à se plaindre, et où l'on cultive
surtout l'entre-soi. Le film de fiction « The Pluto
Moment » (« 冥王星时刻 »,
Zhang Ming
章明,
2018) abordait plus ou moins le même sujet, mais
avec plus d'astuce grâce au recul fictionnel
permettant en amont l'écriture d'un scénario et des
choix judicieux de mise en scène. Dans la dernière
scène, Li Dongmei est convoquée pour donner son
sentiment personnel |
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sur le
tournage de son film. Affalée dans son fauteuil arty en
forme de bulle (sic), elle tire quelques leçons d'une rare
platitude, façon débriefe de survival reality show. Making
of ou survival show, on hésite, mais une chose
est sûre : le documentaire, lui, est définitivement aux
abonnés absents.
Je tiens,
comme chaque année, à remercier les organisateurs et
volontaires du festival pour leur aide et leur
disponibilité, en particulier Quincy, Zheng Fu, Han Cheng et
Tristan. A l'année prochaine, je l'espère !
*Jean-Maurice
Rocher
a déjà couvert les deux précédentes éditions du West Lake
IDF :
2ème
édition (octobre 2018) :
https://blog.mondediplo.net/les-inquiets-et-les-errants
3ème
édition (octobre 2019) :
https://blog.mondediplo.net/l-objet-du-documentaire
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