Quand un
mastiff remplace le panda comme héros de film d’animation
sino-américain
par Brigitte Duzan, 10 juillet 2016
Le 8 juillet est sorti en Chine un film d’animation
3D sino-américain qui fait déjà courir les foules :
« Rock Dog » (《摇滚藏獒》),
financé par des fonds chinois et réalisé par le
coréalisateur de Toy Story
2Ash
Brannon, sur un scénario de Zheng Jun (郑钧).
Zheng Jun et les
mascottes du film
Né à Xi’an en 1967, Zheng Jun est à la fois musicien
et chanteur de rock, et auteur de la bande dessinée
du même nom. Ce manhua (卡通漫画),
dont les dessins sont signés Cheng Cheng (成成),
raconte l’histoire d’un chien tibétain nommé
Màitou
“麦头”
né dans un monastère, qu’un musicien emmène avec lui
à Pékin où tous deux deviennent des stars du rock.
Le manhua “Tibetan
Rock Dog”
Rock Dog, le film
(theme Tibet)
Rock Dog, le film
(theme rock)
Divertissement …
Le film reprend le même fil narratif en brodant un
peu. Dans le film, le chien est un mastiff tibétain
nommé Bhodi (“波弟”)
qui doit prendre la relève de son père, nommé Khampa
(康巴),
en tant que gardien émérite des moutons du village,
dans les hautes montagnes du Tibet. Il s’entraîne,
Bhodi, mais trouve un jour un poste de radio « tombé
du ciel » qui diffuse de la musique rock.
Découverte, et coup de foudre.
Il n’a plus qu’une envie, Bhodi, c’est de monter à
la capitale et devenir une star du rock. Et le voilà
parti une fois son père calmé, poursuivi par les
ennemis jurés de son père, une horde de loups. Mais
il finit par sauver sa famille et le village de
leurs griffes, tout en poursuivant son rêve de
gloire. Le scénario est bien fait.
Belles images de Cheng
Cheng
Le chien Bodhi dans le
film (avec son père)
Le film a en outre bénéficié d’une coproduction
Mandoo Pictures - Huayi Brothers très soignée, avec
de grands noms de l’animation américaine, et des
voix célèbres tant du côté chinois que du côté
américain. Le père de Bodi, par exemple, est « dit »
par un acteur de xiangsheng très connu, Guo
Degang (郭德纲),
qui a fait des improvisations de chansons rock pour
la présentation du film à sa sortie. Même
Feng Xiaogang a
prêté sa voix à l’un des animaux.
Le film a été présenté en fanfare au festival de
Cannes en mai 2015, et a fait à cette occasion la
couverture du journal The Hollywood Reporter.
… ou film "de minorité" subversif ?
Au-delà de l’aspect divertissement grand public,
« Rock Dog » est quand même
Bodhi arrivant à
Pékin, aussi naïf que Tharlo découvrant la ville
intéressant à plusieurs titres, mais d’abord parce qu’il
relève de manière insidieuse d’une nouvelle vogue
La horde de loups
de films « de minorité »
(少数民族片)
qui « ont fait beaucoup de progrès » comme a dit
Pema
Tseden
le mois dernier au festival de Shanghai – le progrès
notable étant qu’ils dissimulent très bien leurs
côtés propagandistes.
Ceux sur des sujets tibétains restent les plus
prisés. Pour ce qui est de « Rock Dog », il
s’agissait au départ de gagner les faveurs du public
par un personnage sympathique : le mastiff rockeur.
Or, on pense inévitablement au mastiff du
« Old
Dog » (《老狗》)
de
Pema
Tseden
où le chien est un symbole de la culture tibétaine
menacée.
Improvisation avec
l’acteur de xiangsheng Guo Degang
pour la présentation
du film
Faire de ce chien un rockeur à succès sur la scène
pékinoise est doublement subversif : comme si le
symbole du Tibet venait s’approprier l’un des
symboles musicaux de la décadence occidentale –
longtemps interdit par Pékin - pour investir la
capitale chinoise. Surtout que le nom du chien,
« Bhodi », n’est pas anodin ; il est emprunté à la
lexicologie bouddhiste : c’est le nom de l’arbre où
le Bouddha a connu l’Eveil ! L’arbre est le symbole
de
l’illumination qui éclaire le monde et délivre
l'être de ses illusions tout en l’aidant à mettre
fin à la souffrance. Le chien Bhodi a trouvé le rock
pour l’illuminer….
Il faut aller voir « Rock Dog » : c’est un bon
moment à passer… en pensant à
Pema Tseden.