Riche programme
concernant la Chine (continentale) et Taiwan au 34ème
festival Jean Rouch
par Brigitte Duzan, 28 octobre 2015
Pour sa 34ème édition, le festival du
film ethnographique Jean Rouch se tiendra du 6
novembre au 6 décembre 2015. Après cinq ans
d’absence, il retrouvera le musée de l’Homme, juste
rouvert au public après une rénovation qui l’a
dépoussiéré et modernisé, mais aussi le musée du
quai Branly, l’INALCO et l’EHESS ; des Hors les murs
sont aussi prévus dans différentes régions de
France.
Un festival qui a pour objectif d’offrir au public
une réflexion sur l’état du monde ne peut manquer de
s’interroger sur celui du monde chinois. Cette
année, le programme est particulièrement riche à cet
égard puisqu’il y a en compétition quatre
documentaires concernant la Chine continentale et la
diaspora française, et quatre journées de « Regards
comparés » sur Taiwan.
1.
En compétition
34ème édition du
festival Jean Rouch
Sur 24 films sélectionnés, la compétition comporte cette
année deux documentaires réalisés par des cinéastes chinois,
un autre réalisé par un cinéaste américain en Chine, le
quatrième étant l’œuvre d’une jeune femme appartenant à la
communauté d’origine chinoise de Paris.
Le 7 novembre, à 20h30 :
« Les
Glaneurs »
(《拾穗》)
de Ye Zuyi (叶祖艺).
Les Glaneurs
Déjà présenté en 2014 au festival Visions du réel de
Nyon et au festival Shadows à Paris, ce documentaire
est une approche originale des rapports entre la
jeune génération de Chinois issus du monde rural qui
ont quitté la campagne et leurs parents qui y vivent
encore. En vingt-six plans qui sont autant de
dialogues, le documentaire montre le fossé
d’incompréhension mutuelle entre le fils qui
s’entête dans son rêve d’émancipation et ses parents
qui restent formatés par une vision traditionnelle
de l’existence et des valeurs familiales. Au détour
de la conversation sont évoqués les souvenirs d’un
passé douloureux, réforme agraire et grande famine,
qui mettent en perspective l’attitude conservatrice
des parents.
Né en 1985 à Canton, Ye Zuyi ne se
destinait pas au cinéma puisqu’il avait fait des
études d’administration publique. Mais il
a été
enrôlé en 2011 par
Wu Wenguang (吴文光)dans l’un de
ses deux projets documentaires sur la
mémoire populaire, celui,
lancé à l’été 2010, visant tout particulièrement à collecter
les souvenirs des survivants de la Grande Famine entraînée
par le Grand Bond en avant, en 1959-1961. C’est dans le
cadre de ce projet, dénommé Caochangdi Workstation (草场地工作站),
que Ye Zuyi est revenu deux fois chez lui pour interroger
ses parents.
La séance sera suivie d’un débat avec
deux spécialistes du documentaire indépendant chinois, Flora
Lichaa, doctorante à l’Inalco, et Antoine Hervé, producteur
du film.
Trailer
Le 10 novembre, à 20h30 :
« Le jeune Jigme » (《少年吉美》)
de Liu Cuilan (刘翠兰).
En mai 2014,Liu
Cuilan (刘翠兰)
a terminé ses études au département d’Asie du Sud de
Harvard par une thèse de doctorat sur la
codification de la musique dans le canon bouddhiste
et l’interprétation ultérieure de ces codes en Chine
et au Tibet. C’est dans le cadre d’un projet de
recherche au
Harvard Film Study Center qu’elle a réalisé
« Le jeune Jigme », né d’une
rencontre avec un jeune novice dans un monastère
tibétain où elle était allée faire des recherches
sur la musique.
Son documentaire suit le jeune moine
qui a terminé ses deux premières années de noviciat.
Il a quitté l’école à 17 anspour entrer au monastère
et, trois ans plus tard, se pose à lui la question
de savoir s’il y reste ou s’il revient dans le
monde, comme le font bon nombre des autres moines.
La séance sera suivie d’une discussion
en skype avec la cinéaste, animée par Françoise
Robin, professeur de langue et littérature
tibétaines à l’Inalco.
Le jeune Jigme
Trailer
Le 11 novembre, à 20h30 :
« The Iron Ministry » (《铁道》)
de J.P. Sniadecki.
The Iron Ministry,
l’étal du boucher dans le train
Remarqué au festival de Locarno en août 2014, puis
au festival de Rotterdam en janvier 2015,
« The Iron Ministry » est l’un des grands
documentaires sur la Chine de ces deux dernières
années. Il est le résultat, en 83 minutes, de trois
ans de tournage sur des trains de toutes sortes dans
divers régions de Chine. Faisant suite au grand
classique en la matière,
« Last
Train Home » (《归途列车》)
de
Fan Lixin (范立欣),
sorti en 2009, le documentaire de
J.P. Sniadeckis’en distingue autant par le regard que par
le style.
Né en 1979 dans le Michigan, parlant couramment le chinois,
J.P. Sniadeckia tourné un premier documentaire en Chine en 2008.
« The
Iron Ministry » fait
suite au formidable et surréaliste « Yumen »
(《玉门》) qu’il
a
coréalisé en 2013 avec les deux
cinéastes chinois
Xu Ruotao (徐若涛)
et Huang Xiang (黄香).
Le travail de Sniadecki s’inscrit dans le style documentaire
associé au
Sensory
Ethnography
Lab de Harvard :
une approche « immersive », sans voice-over, sans tentative
de narration ni de contextualisation, une approche
privilégiant les sensations qui permet une certaine
distanciation du sujet, donc engage à une réflexion à partir
de l’image.
La séance sera suivie d’un débat avec
Flora Lichaa.
Trailer
Clip
Le 9 novembre, à 14 heures :
« Riz cantonais » de Mia Ma
Avec ce moyen métrage documentaire de 50 minutes, on
est aux antipodes, stylistiquement, du documentaire
précédent. Mia Ma est une jeune journaliste qui a
fait des études de philosophie et s’est initiée au
documentaire aux ateliers Varan.
Descendante d’une famille d’immigrants chinois, elle
n’a jamais appris le cantonais alors que sa
grand-mère ne parlait pas le français. C’est pour
tenter de franchir le fossé linguistique qu’elle a
tourné son documentaire, qui devait à l’origine être
le portrait de la grand-mère.
Le film sera suivi d’une discussion avec Mia Ma,
animée par Luc Pecquet, président du comité du film
ethnographique.
Riz cantonais
Bande
annonce
2.
Regard croisés sur Taiwan
Autre moment fort du programme de cette 34ème
édition du festival : du 16 au 19 novembre, à l’Inalco,
quatre journées de « regards croisés » sur Taiwan qui ont
été préparées par Wafa Ghermani, spécialiste du cinéma
taïwanais, auteur d’une thèse de doctorat sur l’histoire de
ce cinéma à l’université Sorbonne nouvelle, Gwennaël
Gaffric, enseignant à
l’université Lyon 2, docteur en études transculturelles,
traducteur et spécialiste de littérature taïwanaise,
et Luisa Prudentino, chargée de cours en histoire du cinéma
chinois à l’Inalco et à l’université de Lorraine.
Shonenko
La première journée est consacrée à des films
amateurs des années 1930-1960 montrant divers
aspects de la vie à Taiwan pendant la période
coloniale japonaise, de 1895 à 1945 ; sur la même
période,
le programme comporte également le documentaire de 2006 « Shonenko »
(《綠的海平線》),
de la jeune cinéaste Kuo Liang-Yin (郭亮吟),
sur un sujet rarement abordé : les jeunes garçons taïwanais
qui ont été envoyés travailler au Japon dans les usines
d’aviation militaire de Mitsubishi à la fin de la guerre,
après la bataille de Midway en juin 1942.
Trailer
Le programme des journées suivantes comporte des films de
plusieurs documentaristes sur les thèmes privilégiés cette
année : problèmes environnementaux et
questions identitaires
des groupes aborigènes, dans une île dont l’une des
richesses, longtemps méconnue, est sa diversité ethnique et
culturelle – thème très actuel qui avait déjà été celui des
deux journées du colloque organisé à l’Inalco par les
professeurs Isabelle Rabut et Angel Pino, les 30 septembre
et 1er octobre derniers.
Trois des réalisateurs seront présents pour les
séances de discussion à l’issue des projections,
dont Mahay Biho, l’une des rares documentaristes
aborigènes de Taiwan.
C’est le film exceptionnel d’une autre cinéaste
aborigène, de la tribu des Atayal, Chen Chieh-yao (陳潔瑤),
ou Laha
Mebow en atayal, qui sera projeté en clôture de ce
programme lui-même exceptionnel : « Finding Sayun »
(不一樣的月光),
rare film de fiction par une cinéaste aborigène, à
la fois relecture d’une légende et portrait
emblématique de sa tribu, entre désir de promotion
sociale moderne et attachement à la culture
traditionnelle. Tourné dans le village dont est
originaire la jeune réalisatrice, avec les gens du
village, « Finding Sayun » est le reflet d’une
recherche identitaire authentique, à l’opposé