Après la
Biennale de Venise, Toronto : parcours triomphal de « Mr.
Six », de Guan Hu
par Brigitte
Duzan, 18 septembre 2015
« Mr. Six » ou Lao
Pao’er (《老炮儿》)
est le sixième film de
Guan Hu (管虎),
les deux derniers ayant confirmé son talent de
réalisateur de comédies loufoques tirant sur le
surréel et l’absurde, genre qu’il a perfectionné,
avec des variantes, depuis
« Cow » (《斗牛》),
son premier grand succès dans le genre, en 2009.
Produit par Wang Zhonglei (王中磊),
et la Huayi Brothers (华谊兄弟),
Lao Pao’er
représente une nouvelle étape dans la filmographie
de Guan Hu, qui marque la maturation d’un
réalisateur au talent multiforme. Ce n’est plus une
comédie – d’ailleurs, signe révélateur,
Huang Bo (黄渤)
ne figure pas parmi les acteurs - mais c’est un film
difficile à définir : il tire vers la satire
sociale, avec des éléments de film d’action ; il est
surtout très original, à tous égards.
parcours avec une présentation spéciale au festival de
Toronto, le 20 septembre.
Le scénario conte l’histoire d’un ancien chef de gang, qui
régnait sur un hutong de Pékin (d’où le titre, en
argot pékinois : vieux truand) ; il a abandonné ses
activités et coule des jours tranquilles, en vieil homme
solitaire, mais toujours respecté et jouissant encore d’une
certaine aura, comme le montrent les séquences introductives
du film. Il est cependant tiré de sa « retraite » quand son
fils, Xiaobo (晓波),
est kidnappé par une bande de jeunes voyous, dont le chef,
Xiaofei (小飞),
est le fils d’un riche apparatchik, corrompu mais
tout-puissant.
Photo de l’équipe de
Lao Pao’er à Venise
(avec de g à dr le producteur Wang Zhonglei, Xu Fan
et
Feng Xiaogang, Guan
Hu, les actrices Liang Jing et Xu Qing,
l’acteur Li Yifeng,
l’actrice Shang Yuxian et l’acteur Liu Hua)
Xiaobo a encouru ses ires pour avoir couché avec sa
petite amie et rayé sa Ferrari d’un geste vengeur.
Xiaofei demande cent mille yuans de dédommagement
pour le relâcher. La confrontation est inévitable
entrele vieux truand reconverti et le jeune chef de
la nouvelle bande, des fans de conduite sportive qui
ressemblent comme des petits frères aux punks de
« Dirt »
(《头发乱了》),
le premier film de
Guan Hu, il
y a vingt ans – mais on est passé du rock à la
conduite sportive ; l’ombre de Han Han (韓寒)
se profile derrière ces jeunes
[1],
mais leur attitude tient plus de la provocation que
de la rébellion, et semble essentiellement
individualiste.
Ils sont surtout sans foi ni loi, ou du moins font régner
une loi qui n’a plus rien à voir avec les règles d’honneur
et de déontologie des vieux truands comme
Lao Pao’er ; « Mr.
Six » est donc une nouvelle variante des films sur les
conflits de génération. Mais la manière dont il est conçu et
réalisé (ce n’est pas un simple conflit entre père et fils),
et surtout les acteurs choisis, en font un film qui tranche
sur les clichés du genre.
C’est l’interprétation de Lao Pao’er qui
donne in fine au film toute sa valeur et sa
signification : il est interprété par
Feng Xiaogang (冯小刚).
Au-delà des apparitions épisodiques dans des
comédies de ses confrères, comme il lui arrive de le
faire, il se révèle ici un prodigieux acteur, avec
tout le charisme qui lui est propre.
Derrière son interprétation se profile en outre un
message liminaire qui confère un surcroît d’émotion
au film. Ce que Guan Hu y met en scène, c’est un
passage de relais, d’une
Lao Pao’er (Feng
Xiaogang)
génération à une autre, d’un maître à un disciple qui n’en
est pas vraiment un. Le choix de
Feng Xiaogang
en fait autre chose, de bien plus spécifique : un passage de
relais aussi, mais d’un maître du cinéma chinois, reconnu
comme tel par les acteurs mêmes avec lesquels il joue,
témoin l’hommage qui lui a été rendu à Cannes par l’acteur
interprétant Xiao Fei, en marge de la présentation du film :
Conférence de presse
Wu Yifan/Feng Xiaogang
Xiao Fei (Chris Wu)
C’est une autre manière pour
Feng Xiaogang
et
Guan Hu
de signifier un certain désarroi devant l’évolution
du cinéma national, et, pour le premier, de clamer
de façon symbolique le mal qu’il a aujourd’hui à
réaliser les films qu’il veut faire, comme il veut
les faire.
« Mr. Six » va sortir fin décembre sur les écrans
chinois. Nul doute qu’il rencontrera un grand
succès. Il risque cependant de l’être pour des
raisons superficielles, pour le brio de la mise en
scène et des interprétations, et
les scènes d’action, en particulier celle qui conclut le
film. Car Guan Hu est resté fidèle à ses principes
initiaux : ses films sont toujours « agréables à regarder »
(好看)
pour le grand public.
Trailer
On n’a pas fini de parler de « Mr. Six »….
[1]
Célèbre écrivain, plus connu comme bloggeur
satirique, Han Han est aussi pilote de rallye.
Voir :