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Le cinéma
chinois atteint d’une passion monomaniaque : les records
statistiques
par Brigitte Duzan, 25 octobre 2014
Les films qui sortent en Chine de nos jours se jaugent en
termes financiers, en fonction des recettes réalisées. Le
cinéma étant une industrie, il est normal qu’on lui demande
de générer des profits. Du coup, les statistiques du box
office prennent une importance croissante et démesurée.
Ce qui nécessite une comptabilité rigoureuse et une
grande transparence. Il y a neuf mois, le SAPPRFT
(1) a annoncé des mesures pour assurer des rapports
plus honnêtes sur les chiffres du box office, en
menaçant de retrait de leur licence d’exploitation
les salles prises à falsifier leurs statistiques.
Les chiffres du SAPPRFT n’étaient divulgués
jusqu’alors qu’à un certain nombre de media
officiels triés sur le volet ainsi qu’à des
professionnels. Des organismes privés publiaient
leurs propres données, qui avaient couramment des
différences de 5 à 10 % par rapport à celles du
SAPPRFT.
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Breakup Buddies |
La semaine dernière, nouvelle annonce : le bureau du
Comité de gestion financière de l’industrie
cinématographique nationale va lancer le mois
prochain un microblog officiel qui va fournir les
données quotidiennes du box office, avec des
actualisations sur base horaire des données de
distributions en salle.
Lost in Thailand |
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Tout est fait pour entretenir une véritable psychose
des records statistiques.
Le nec plus ultra, maintenant, est le temps mis pour
atteindre le milliard de RMB au box office. Le
dernier vainqueur en date de cette course effrénée
est le film de
Ning Hao (宁浩)
« Breakup Buddies » (《心花路放》)
qui a mis 18 jours pour atteindre le chiffre, contre
21 jours pour le précédent record, établi en 2012
par
« Lost in Thailand » (《人再囧途之泰囧》).
Il en aura fallu 23 au « Roi Singe » (西游记之大闹天宫),
sorti début 2014, avec pourtant Donnie Yen dans le
rôle titre et une campagne promotionnelle tapageuse.
Le seul point réconfortant dans ce tableau est que
les deux films qui arrivent en tête sont des films
en simple 2D. Mais ce n’est bien sûr qu’une façon de
présenter les chiffres et tout le monde sait que,
même sans les maquiller, tout l’art des statistiques
est de les présenter de façon favorable et
attrayante. «Le Roi Singe » se targue pour sa part
d’avoir
battu le |
record de recettes lors du premier jour de
distribution en salles, et d’avoir été le plus rapide à
atteindre les 300 millions de RMB au box office – ce qui
tendrait d’ailleurs à prouver que le succès du film s’est
légèrement infléchi par la suite.
Cette fureur statistique en fait oublier la qualité
des films.
« Breakup Buddies » est une comédie burlesque
reprenant le genre de
« Lost
in Thailand »,
pour capitaliser, justement, sur son succès. On
finit par avoir un formatage des films orienté
uniquement vers le divertissement du public de base
qui génère les recettes.
On note une nette augmentation des films qui
dépassent le milliard de RMB de recettes (trois,
déjà, cette année, dont « Transformers, Age of
Extinction »), inflation de recettes due à
l’augmentation conjuguée du nombre de salles et du
prix des places, les salles créées étant des
multiplexes luxueux qui tirent les prix vers le
haut.
Cette psychose du résultat, liée à la baisse de
l’âge moyen des spectateurs, contribue à
l’appauvrissement qualitatif du
cinéma chinois qui est aujourd’hui autogénéré par les
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The Monkey King |
mécanismes du "marché".Il est caractéristique que « Le Roi
singe » n’a eu, pour l’essentiel, que des critiques
négatives. L’avenir de ce cinéma semble bien ne plus être en
salles – comme, peut-être, partout ailleurs.
Note
(1) Il s’agit de l’administration d’Etat qui contrôlait
jusqu’ici le cinéma, la télévision et la radio (le SARFT),
auxquels ont récemment été ajoutées la presse et l’édition :
国家新闻出版广电总局
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