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Cri d’alerte au Festival international du cinéma de Pékin :
attention à la 3D !
par Brigitte Duzan, 24 avril 2014
Lors de la quatrième édition du Festival
international du cinéma de Pékin (BIFF) qui s’est
tenue du 16 au 23 avril, un accent particulier a été
mis sur les partenariats avec l’étranger, les
Etats-Unis surtout.
On y a vu Jean-Jacques Annaud faire la promotion de
son « Wolf Totem », réalisé pour China Film, et
financé à 80% par les partenaires chinois. L’accord
de coproduction (China Film/Edko Film/Repérage, le
studio d’Annaud) a été signé il y a un an, lors de
l’édition 2013 du BIFF. L’une des raisons de
l’ampleur du budget - quelque 38 millions de dollars
– tient au fait que le film est tourné en 3D.
Il serait en effet impensable, en Chine,
aujourd’hui, de sortir une superproduction de ce
genre autrement qu’en 3D. Les Américains sortent
même en Chine des versions 3D de certains leurs
films, spécialement réalisées pour le marché
chinois. La qualité, évidemment, s’en ressent.
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4ème festival
international
du cinéma de Pékin |
C’est ce qui a poussé les professionnels, chinois et
américains, réunis pour une discussion sur le sujet
organisée dans le cadre du Marché du Film, lors du Festival,
à pousser un cri d’alarme dûment répercuté dans la
presse (1):
中国3D电影热“高烧不退” 粗制滥造威胁市场发展.
Si, en Chine, la fièvre pour la 3D ne retombe pas, la
mauvaise qualité de la production qui en résulte pourrait
avoir des conséquences négatives sur le développement du
marché.
目前恶性竞争的问题也很突出。如果不加遏制,将给3D电影市场带来毁灭性结果。
Il y a, à l’heure actuelle, un problème de concurrence
malsaine qui saute aux yeux. Si l’on n’arrive pas à le
maîtriser, cela pourrait avoir un résultat désastreux pour
le marché du film en 3D.
Yang Buting |
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C’est Yang Buting (杨步亭)
qui a ainsi ouvert le feu, et il sait ce dont il
parle : il est l’ancien président de China Film, et
l’actuel président d’une part de la filiale de
distribution et de diffusion du groupe (中国电影发行放映协会会长)
et d’autre part de la Société nationale de promotion
des films chinois à l’étranger (中国电影海外推广公司).
Le réalisateur américain Paul Anderson a confirmé le
danger. « La Chine est le marché le plus prometteur
pour la 3D ; c’était aussi le cas en Amérique en
2010 [après le succès d’Avatar], mais le marché
s’est effondré en l’espace de quatre ans. »
Aujourd’hui, les spectateurs américains sont revenus
vers la 2D. C’est aussi qu’on leur a donné le choix,
ce qui va finir par ne plus être le cas en Chine.
Les marges de profits sont telles que la 3D est
devenue la règle pour toutes les superproductions.
Un billet d’entrée pour |
voir un film en 3D en Chine coûte entre 100 et 120 yuans (11
à 14 €), tandis qu’un billet pour un film en 2D n’est
« que » de 70 yuans (8 €), ce qui est déjà très cher pour
une bourse moyenne. Le cinéma étant devenu un divertissement
de luxe, l’élasticité des prix est relativement grande. On
va au cinéma comme on va au karaoké.
Et du côté des gérants de salles, si les premiers
équipements de projection étaient très chers – entre 80 000
et 150 000 yuans, soit 9300 à 17 000 € - le coût en a
énormément baissé : il n’est plus que dans les 20 000 yuans
(un peu plus de 2 000 €). La rentabilisation est donc bien
plus rapide, surtout au prix moyen des billets.
Les Américains ont compris. Le remake par José
Padilha du “RoboCop” de Paul Verhoeven, sorti en
février 2014, a été diffusé partout dans le monde en
2D, sauf en Chine, où les recettes ont représenté
20% des recettes engrangées par le film dans le
monde entier. Mais les réalisateurs et producteurs
chinois ne sont pas en reste.
Tsui Hark et
Derek Yee
ont fait de la 3D leur spécialité, au
détriment de tout le reste, même le casting dans le
cas du prochain film du second, la préquelle des
aventures du juge Dee.
En fait, l’engouement pour les films en 3D, à
l’heure actuelle, rappelle celui pour les films de
wuxia à la fin des années 1920 : la majorité
des films réalisés étaient de mauvaise qualité,
produits très vite, souvent par des sociétés créées
ad hoc, et qui duraient parfois le temps d’un film.
A l’époque, ils ont fini par être interdits par le
Guomingdang, non parce qu’ils étaient mauvais, mais
parce qu’ils diffusaient dans le peuple toute une
imagerie de liberté rebelle inacceptable pour le
pouvoir. |
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RoboCop, le remake de
2014,
affiche chinoise |
Aujourd’hui, ce n’est pas d’une interdiction qu’il est
question, bien sûr, mais d’une réglementation, comme l’a
laissé entendre l’un des acteurs du secteur, Ma Xiaorui (马骁瑞),
l’un des directeurs régionaux Asie de la firme
sino-canadienne
Fantasy Media Group (FMG), qui
a été créée, à Shanghai, spécialement pour produire des
films 3D de qualité en Chine. On se trouve donc bien dans la
logique des années 1920 à Shanghai. Ce que demande Ma
Xiaorui, cependant, ce sont des « standards industriels »,
pour éliminer les canards boiteux et les indésirables.
Le pavillon
d’exposition 3D de la firme LG |
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On risque donc d’aller vers une réglementation
limitant l’entrée dans le secteur, mais on ne voit
pas très bien comment on peut déterminer des
standards qui permettent de classer les films
qualitativement. On risque de se retrouver avec un
système opaque, très proche de celui de la censure.
Ce dont il semble être question, cependant, c’est
d’éliminer les films étrangers réalisés
spécifiquement pour le marché chinois, pour le
réserver aux acteurs nationaux. Cela semble être le
sens de l’accusation de Yang Buting contre les
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étrangers transformant en 3D leurs films en 2D :
用3D的“噱头”抬高票价,欺骗消费者。
utilisant la 3D comme un stratagème pour augmenter le prix
des places et ainsi tromper les spectateurs
La guerre, semble-t-il, est ouverte, mais seulement sur le
plan technique. Personne ne parle de la qualité artistique.
Or, « Avatar » est, il est vrai, une superbe réalisation
technique, mais c’est d’abord un formidable scénario. …
(1) Voir par exemple l’article de Chine nouvelle du 21
avril :
http://news.xinhuanet.com/local/2014-04/21/c_1110335540.htm
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