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Box
Office chinois 2012 : une hausse spectaculaire qui profite
surtout aux films étrangers
par Brigitte
Duzan, 12 janvier 2013
Les résultats du
box office chinois pour l’année 2012 annoncés le 10 janvier
par l’Administration d’Etat pour la radio, la télévision et
le cinéma (SARFT selon l’acronyme anglais) sont
époustouflants d’un côté, lorsqu’on regarde les chiffres
globaux de progression, désastreux de l’autre, si l’on
considère à qui reviennent les principales parts du marché.
Annonces
triomphalistes
Les recettes
générées par les entrées en salles en 2012 ont en effet
atteint pour la première fois la somme de 17 milliards de
RMB, soit quelque 2,7 milliards de dollars, en hausse
de 30 % par rapport à l’année 2011.
893 films ont été
produits en Chine, contre 791 en 2011, et plus de 20 d’entre
eux ont atteint des recettes de plus de 100 millions de RMB
(soit près de 16 millions de dollars). Trois ont même
dépassé les 700 millions de RMB (111 millions de dollars).
La Chine a annoncé
être devenue le second marché mondial du cinéma.
Mais résultats en
trompe l’œil
En fait, la
réalité est beaucoup moins glorieuse qu’il n’y
paraît, car ce ne sont pas les films chinois qui
bénéficient en priorité et en majorité de cette
hausse globale : la part de marché des films chinois
est passé en dessous de la barre des 50 %
(48,5 % des recettes contre 51,5 % aux films
étrangers).
Le chef du
SARFT, Tong Gang (童刚),
a qualifié la situation de « grave ». Elle va
certainement susciter une nouvelle réflexion, sur la
qualité des films chinois produits.
On ne peut
cependant qu’avoir des doutes sur les résultats
positifs qu’elle pourrait entraîner quand on
constate que le film qui a totalisé le plus
d’entrées en Chine en 2012 est la comédie burlesque
« Lost in Thailand »
(《泰囧》) sortie le 12 décembre : elle a engrangé 1,17
milliard de RMB au 8 janvier, approchant le record
sans précédent d’ « Avatar » (1,39 milliard de RMB).
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Tong Gang |
En fait, outre la
progression très rapide du nombre de salles (il s’en ouvre
en moyenne 10,5 par jour), les chiffres sont gonflés par la
hausse du prix du billet de cinéma, qui est devenu un
divertissement de luxe pour citadins aisés, une partie
croissante des salles étant constituée de multiplexes
somptueux, qui ne peuvent être rentabilisés qu’avec des
films à gros budgets attirant les foules. Or la concurrence
étrangère sur ce créneau est redoutable.
Baisse de qualité
Grand succès 2012 :
Painted Skin,
the Resurrection |
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Les petits
films, eux, et en particulier les films d’art et
d’essai, trouvent de moins en moins d’occasion de
sortir en salle, et, quand ils en trouvent, c’est à
des créneaux horaires désavantageux (9 heures du
matin ou minuit) et pour des périodes d’exploitation
très courtes. Ils disparaissent sans guère laisser
de trace.
Le cinéma
chinois est en fait en train de péricliter, en même
temps que son marché affiche des taux de hausse
spectaculaires. L’un des indices chiffrés donnés par
le SARFT ne trompe pas : la Chine a enregistré une
chute de 48 % de ses ventes de films à l’étranger
en 2012.
Pour
l’instant, la seule mesure annoncée par Tong Gang
pour tenter d’enrayer ce déclin est d’améliorer la
publicité et de promouvoir la vente de films… en
Afrique, en particulier aux chaînes de télévision.
Les petits Africains dont les pays ont
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établi des
relations diplomatiques avec la Chine risquent de se
réveiller bientôt avec des dessins animés chinois…
Leçon historique
La
situation présente en fait beaucoup d’analogies avec
celle qu’a connue le cinéma chinois à la fin des
années 1990, pour les mêmes raisons :
-
alors que
les entrées en salles avaient diminué constamment
depuis 1989, avec une chute spectaculaire de 60 % en
1993, l’année 1995 sembla renverser le processus de
déclin, avec une augmentation de 15%, mais ce fut en
grande partie grâce aux importations de films
américains, après un contrat avec les grands studios
de Hollywood permettant l’importation de dix films
par an ;
- de
toute façon, cette timide embellie ne dura pas :
dans le contexte d’un démantèlement du monopole des
studios d’Etat et de concentration, la conférence de
Changsha, en mars 1996, renforça la priorité
accordée aux films officiels ; un plan de cinq ans
fut lancé, prévoyant la production de dix
« excellents » films par an pendant la période,
l’excellence étant déterminée |
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L’autre grand succès
2012, CZ12
de Jackie Chan |
par le degré d’adhérence à la ligne idéologique du Parti,
et les qualités moralisatrices et pédagogiques.
Résultat : non
seulement la production annuelle se réduisit de 145 films en
1995 à 110 en 1996, mais en outre, la plupart de ces films
furent des échecs sur le marché.
Le déclin continua
jusqu’à la fin des années 1990, entraînant une double
correction :
-
le développement de
films populaires, et en particulier les comédies de fin
d’année pour reconquérir le public populaire ; on peut
considérer que « Lost in Thailand » participe du même
phénomène ;
- mais
la situation ne s’améliora qu’à partir du début des années
2000, quand le processus de contrôle et de censure fut
quelque peu relâché. C’est en 2004 que les recettes des
films chinois ont dépassés celles des films étrangers.
Mais, là encore, le
redressement fut de courte durée car, à partir de 2005,
seulement une petite fraction des films produits trouvèrent
des salles pour être projetés…
On voit bien le
double problème essentiel qui continue aujourd’hui de
freiner le développement du cinéma chinois, qui continuera
de péricliter ou, au mieux, vivoter, tant qu’il n’aura pas
trouvé de solution. Le plus important est peut-être la
constitution de salles dédiées aux films d’art et d’essai,
pour autant qu’ils puissent voir le jour, car c’est aussi la
condition pour la formation d’un public de cinéphiles.
Les autorités de
contrôle ont commencé à dire que la qualité d’un film ne
tient pas à ses recettes au box office. Il faudrait qu’elles
aillent jusqu’au bout du raisonnement.
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