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« Life
of Pi » : les raisons du succès en Chine
par Brigitte
Duzan, 18 décembre 2012
Le film d’Ang
Lee (李安)
“Life of Pi” est sorti en Chine le 22 novembre
dernier sous le titre “La dérive fantastique du
jeune Pi” (《少年派的奇幻漂流》),
ou tout simplement « Le jeune Pi » (《少年派》)
(1).
Film en 3D,
il est sorti sur les écrans du réseau IMAX,
mais
n’a eu droit qu’à une semaine d’exploitation sur ces
écrans pour céder ensuite la place au film de
Feng Xiaogang (冯小刚)
« Back
to 1942 » (《一九四二》).
Contrairement à ce |
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Life of Pi, l’affiche
chinoise |
qui avait été initialement
annoncé, le film a partagé l’affiche avec celui de Feng
Xiaogang dans de nombreux cinémas et n’a été relégué à la
seconde place au box office que la troisième semaine de
décembre par une petite comédie au succès totalement
inattendu : « Lost in Thailand ».
Succès étonnant
Ang Lee présentant le
film en Chine |
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Malgré ces
contraintes, pendant la même semaine d’exploitation,
le film a engrangé en Chine des recettes supérieures
à celles réalisées aux Etats-Unis.
Il est
sorti le 21 novembre aux Etats-Unis, et le lendemain
en Chine. Selon les chiffres fournis par le
distributeur, 20th Century Fox, il a gagné dans le
même temps 69,6 millions de dollars d’un côté et
84,3 millions de l’autre.
Aucun autre
film américain n’a réussi cet exploit, sauf la
version 3D de « Titanic » sortie en Chine en avril
2012. Pour étonnant qu’il soit, le succès rencontré
auprès du public chinois n’est pas inexplicable. Le
fait qu’il soit sorti en 3D et qu’il ait été promu
comme tel (《少年派3D》)
n’est pas anodin, la 3D faisant courir les foules et
le prix des places entraînant automatiquement un
gonflement des recettes. Mais ce n’est pas la seule
raison. |
Raisons du succès
« Life of Pi » est
arrivé en Chine porté dès l’abord par la notoriété de son
réalisateur, respecté sinon aimé en Chine. Si Ang Lee a
réussi un film qui a une portée universelle, il a une
signification particulière pour le public chinois, et la
promotion aussi bien que les critiques du film en Chine ont
souligné ces aspects.
Conte initiatique
« Life of
Pi » est une adaptation d’un best-seller du Canadien
français Yann Martel publié en 2001 : l’histoire
d’un jeune Indien, fils d’un directeur de zoo, qui
suit son père et sa ménagerie lorsque celui-ci
décide de partir au Canada, mais qui, après le
naufrage de leur bateau, se retrouve sur un radeau
en compagnie d’un tigre du Bengale, après
élimination des autres animaux survivants…
Le livre a
été considéré comme impossible à adapter pendant dix
ans, Ang Lee a relevé |
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L’île, paysage chinois |
le défi et réalisé
un film aux confins parfois de l’onirisme, plein
d’imagination et superbement filmé. Il est présenté surtout
comme une histoire de survie en milieu hostile. La promotion
du film en Chine est allée plus loin.
L’affiche chinoise
présente l’histoire comme un périple fantastique, qui
replace le film, même si ce n’est que de façon liminale, au
rang des récits fantastiques de la tradition chinoise (2),
mais aussi des grands classiques tel « Le voyage vers
l’Ouest » (《西游记》).
C’est un voyage
spirituel, un voyage initiatique débouchant non tant sur une
révélation que sur une meilleure connaissance de soi dans
son rapport au monde ; le message au public chinois est
souligné par la sentence parallèle,dans la plus pure
tradition, qui figure en haut de l’affiche :
不凡历程
bùfán lìchéng
不虚此生
bùxū cǐshēng
parcours
fantastique, mais non parcours vain (3)
Significations
cachées
La magie fantastique
de la nuit |
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Les
critiques chinois ont en outre souligné l’importance
du revirement final, qui apporte une seconde ligne
narrative, en opposition à la première : elle donne
un sens bien plus profond à l’histoire et l’empêche,
justement, d’être une énième version d’une aventure
de survie en mer.
Mais
surtout, cette conclusion est teintée de
connotations qui ont une signification particulière
en Chine, comme l’a analysé le critique Raymond Zhou
dans un article qui souligne la subtilité avec
laquelle le film |
s’adresse de
manières différentes à des publics nationaux différents (4).
Pour le public chinois, derrière la sublime beauté des
images de l’océan, se profilent des images liminales
bouddhiques et d’autres, de cruauté et de cannibalisme, qui
sont ancrées dans l’inconscient collectif chinois.
Les critiques de
cinéma chinois ont aussitôt, à la chinoise, décrypté des
sens symboliques cachés, perçu des narrations dérivées, qui
ont alimenté la rumeur et contribué au succès du film. C’est
ce qu’ils n’avaient pas fait, ou pas voulu faire, pour « Tigre
et dragon » (《臥虎藏龍》) il y a douze ans. C’est peut-être là la mesure du progrès réalisé, plus
que dans la 3D.
Notes
(1) Sortie en
France, le 19 décembre, sous le titre « L’Odyssée de Pi ».
(2) Avec ses
étranges animaux, le film rappelle le « Livre des Montagnes
et des Mers » (《山海经》).
(3) La seconde
partie est calquée sur un chengyu (expression
figée) :
不虚此行
bùxūcǐxíng
le voyage n’a pas été fait en vain, il a été riche d’enseignement - le
voyage
行
xíng ayant été
remplacé par
生
shēng
la vie, mais avec
le même sens.
(4) Article du
China Daily (USA) intitulé « Different strokes for different
folks » :
http://usa.chinadaily.com.cn/life/2012-12/15/content_16020695.htm
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