Fan Wei est l’un des grands comédiens chinois de la
période post-maoïste. Originaire du Dongbei, et
longtemps partenaire de
Zhao Benshan (赵本山)
dans des numéros de xiangsheng (相声)
qui sont aujourd’hui des classiques du genre, il est
ensuite devenu aussi populaire au cinéma qu’à la
télévision.
Hors des grandes institutions de théâtre ou de
cinéma, il représente, avec son ami Zhao Benshan,
une veine populaire de la comédie chinoise qui puise
aux sources d’une tradition orale très ancienne.
Chacun de ses rôles est aujourd’hui une création
originale qui témoigne de sa maturité d’artiste,
tel, en 2015, le Cui Daoning (崔道宁)
du wuxiapian de
Chen Kaige
« Monk
Comes Down the Mountain » (《道士下山》).
Mais, derrière chacune de ces compositions, se
profile, comme une sorte de modèle-type, un rôle de
xiangsheng….
Années 1980-1990 : le xiangsheng
Fan Wei
Fan Wei est
né en septembre 1962 à Shenyang (沈阳),
capitale du Liaoning, l’une des trois provinces du nord-est
de la Chine ou Dongbei.
Formé au xiangsheng à Shenyang
Fan Wei avec son
épouse et son professeur
au début des années
1980
Or c’est du Dongbei qu’est originaire le
xiangsheng
(相声),
une forme de dialogues comiques, généralementà deux
ou trois personnages, à l’origine appelés
xiangsheng (象声),
car c’étaient des spectacles où l’artiste imitait
les gestes et la manière de parler de quelqu’un ;
c’étaient « les onomatopées des voisins »
(隔壁象声).
Le genre a conservé cet aspect satirique populaire.
Fan Wei a été très tôt un passionné de
xiangsheng. En 1978, à l’âge de 16 ans,
il commence à l’apprendre avec un acteur de la
troupe de quyi de Shenyang (沈阳曲艺团)
[1].
Il entre dans la troupe en 1983 et commence alors à écrire
des numéros de xiangsheng. Le premier s’intitule « Le
journal intime du chef de l’usine » (《一个厂长的日记》).
Le sujet est une nouveauté, et la pièce est diffusée à la
radio. C’est l’occasion pour Fan Wei de faire son premier
voyage à Pékin.
Il continue avec d’autres créations qui ont tout
autant de succès : « Beaucoup de bruit pour rien » (《无事生非》),
« Récolter ce qu’on a semé » (《自食其果》),
« Révélation d’un "héros" » (、《“英雄”的启示》)…
En 1986, il participe à la compétition nationale de
xiangsheng, et il devient l’élément moteur de
la troupe de quyide Shenyang.
En 1991, pour son numéro « Tracasseries » (《烦恼》),
il obtient le prix des stars à la première grande
compétition de "petites pièces" des trois
Avec Zhao Benshan
provinces du Dongbei (首届东北三省戏剧小品大赛明星奖).
Il obtient à nouveau le prix à l’issue de la seconde
compétition, en 1993. La même année, pour son numéro
« Demande de paiement » (《要账》),
il obtient à la fois le 1er prix d’interprétation
et le second prix de création au festival national de
xiangsheng à Hefei (合肥)
dans l’Anhui.
Le xiangsheng avec Zhao Benshan
Fan Wei avec Zhao
Benshan en 1995
dans L’oncle Niu est
promu cadre
En 1995, il participe pour la première fois au gala
du Nouvel An de la télévision nationale : créé et
interprété avec
Zhao Benshan (赵本山)
et l’actrice Zhang Yuping (张玉屏), « Oncle Niu est promu cadre » (《牛大叔提干》)
obtient le deuxième prix des "petits numéros". Ce
xiangsheng est une satire très réussie d’un
paysan typique des créations de Zhao Benshan.
En 1996, Fan Wei participe pour la deuxième fois au
gala de CCTV et interprète le chauffeur Xiao Wu (小吴),
aux côtés de Zhao Benshan et Li Hai (李海)
dans le xiangsheng « Les trois coups de
fouet » (《三鞭子》).
C’est à nouveau une satire des heurts entre
modernisation des campagnes chinoises et mentalité
paysanne. L’histoire comporte trois personnages
hauts en couleur et des dialogues savoureux
[2].
Le chef du district d’un petit village et son
chauffeur font un tour d’inspection des routes
En 1996 avec Zhao
Benshan dans Trois coups de fouet
locales et trouvent un minibus qui s’est embourbé et gêne la
circulation. Arrive un paysan du coindont la charrette,
tirée par un âne, est bloquée. Le chef de district lui
demande d’utiliser son âne pour tirer le minibus. Pendant
l’opération, le paysan raconte les entraves au développement
local que représente le mauvais état de la route et transmet
les vœux des villageois qui souhaitent ardemment qu’elle
soit réparée. Le chef de district promet de s’en charger. Le
paysan se confond,à genoux, en
remerciements …
Les trois coups de fouet
《三鞭子》
En juin 1996, il interprète avec Zhao Benshan un autre de
leurs grands classiques, le dialogue « Prendre un
raccourci » (《走毛道》)
(zǒumáodào :
expression dialectale du Dongbei synonyme de 走捷径
zǒujiéjìng).
Ces xiangsheng sont de véritables scénarios
miniatures. De là au film, il n’y a qu’un pas, franchi cette
même année 1996.
Les séries et filmstélévisés avec Zhao Benshan
En 2001 avec Zhao
Benshan et Gao Xiumin
dans « Vendre
des béquilles »
C’est en effet en 1996 que Fan Wei commence à
apparaître, aux côtés de Zhao Benshan, dans des
films à la télévision. Avec la comédienne Gao
Xiumin (高秀敏),
ils jouent dans le téléfilm « Pas de calme la nuit »
(《夜深人不静》).
En 1997-98, Fan Wei participe à la création de la
série « Notre comité de quartier » (咱们的居委会》)
pour le programme de CCTV Super Variety Show (《综艺大观》).
Il joue aussi avec Zhao Benshan et les deux
comédiennes Gao Xiumin et
Fang Qingzhuo (方青卓)
dans la série télévisée en 18 épisodes « Le chef de
canton » (《一乡之长》),
nouvelle satire du développement rural en Chine à la fin des
années 1990.
En 1999, pour le même show de variétés de CCTV, il
interprète avec Zhao Benshan et Zhang Tong (张彤)
le numéro « L’association des anciens élèves » (《同学会》)
qui est primé.
Mais leur grand succès vient en 2001 : pour le gala
du Nouvel An de CCTV, il crée avec Zhao Benshan et
Gao Xiumin le premier numéro de la « série des
arnaques » (’忽悠系列‘) :
« Vendre des béquilles » (《卖拐》),
suivi en 2002 de « Vendre un fauteuil roulant » (《卖车》).
C’est tout l’esprit d’enrichissement sans scrupule
de la période qui est ici satirisé, à travers un
personnage qui réussit à convaincre un passant qu’il
est un handicapé qui
Une caricature de
“Vendre des béquilles”
s’ignore,
interprété par un Fan Wei dans l’un de ses meilleurs rôles
d’innocent crédule
[3].
Vendre des béquilles 《卖拐》,
suivi de Vendre un fauteuil roulant
《卖车》
L’apogée de la période est, en 2001-2002, la série télévisée
« Liu Laogen » (《刘老根》),
produite et interprétée par Zhao Benshan pour ‘l’heure d’or’
de CCTV (20h-21h), où Fan Wei interprète le rôle de Yao
Xiaze (药匣子)
[4].
La série représente un tournant dans la carrière de Fan Wei.
Il continue encore à participer aux galas de fin d’année de
CCTV ; ainsi, en 2005,il créela suite des « arnaques »,
Gongfu (《功夫》), avec Zhao
Benshan, Wang Xiaohu (王小虎)
et Cai Weili (蔡维利)
et ils obtiennent le 1er prix.
Gongfu
《功夫》
Mais Wang Xiaohu et Cai Weili sont des élèves de l’école d’errenzhuan
de Zhao Benshan. C’est plutôt avec ses élèves qu’il va
continuer à travailler. Fan Wei, pour sa part, prend une
autre voie : il commence alors une carrière au cinéma, tout
en continuant à la télévision, le tout dans des rôles
beaucoup plus diversifiés.
Années 2000-2010 : Cinéma et télévision
2002 : Zhang Yibai, Feng Xiaogang, An Zhanjun
C’est en 2002 que sort le premier film dans lequel
il joue au cinéma : « Spring
Subway » (《开往春天的地铁》)
de
Zhang Yibai (张一白).
Si c’est une peinture satirique de la société
chinoise, ce n’est pas une comédie et la peinture
est celle de la « génération urbaine ». Fan Wei y
interprète l’un des personnages de cette mosaïque,
un cuisinier de 34 ans désespéré parce que sa petite
amie a été victime d’un accident dû à une explosion
de gaz.
« Spring Subway »est l’un des films
d’avant-garde de l’époque et Zhang Yibai
est considéré comme l’un des réalisateurs les plus
prometteurs. Fan Wei commence donc sous les
meilleurs auspices, ce qu’il confirme avec ses rôles
Entre-temps, en 2004, il a interprété le personnage
principal dans le film d’An
Zhanjun (安战军)
« The Parking Attendant in July » (《看车人的七月》),
montrant qu’il est capable de jouer des rôles
dramatiques aussi bien que comiques, ou plutôt de
jouer les uns comme les autres en montrant combien
est floue et ténue la frontière entre les deux. Il
alterne désormais les registres, en insufflant
chaque rôle d’une humanité qui transcende les
genres.
2006 : diversification des rôles
En 2006, son rôle dans
« The Road » (《芳香之旅》)
de
Zhang Jiarui (章家瑞),
est un sommet de son art dans le registre
dramatique : chauffeur de bus veuf et célébrité
locale parce qu’il a serré la main du président Mao,
Lao Cui (老崔) épouse la jeune contrôleuse de son bus
sur ordre du Parti, mais, victime d’un accident,
finit ses jours dans un état végétatif, sur un lit
d’hôpital ; idole locale, il est vénéré comme un
héros tombé au champ de bataille, avec même un musée
en son honneur où trône son vieux bus, comme un
témoin nostalgique des années glorieuses du maoïsme
…
En 2006 dans The Road
En 2008 dans If You
Are the One
Fan Wei revient vers la comédie pour ses deux films
suivants, en 2008. Dans
« If
You Are the One1 » (《非诚勿扰1》)
de
Feng Xiaogang,
il n’a qu’un rôle secondaire ; mais il en a
un à sa mesure dans le film de
Zhang Meng (张猛)
« Lucky Dog » (《耳朵大,有福》).
Lucky Dog, en fait, c’est lui, c’est son image même
en tant qu’acteur : un personnage qui n’est pas
particulièrement gâté par la vie, mais qui fait face
à toutes ses difficultés avec un optimisme et un
brio inébranlables. C’est drôle et amer à la fois,
comme les meilleures comédies chinoises.
L’année suivante, en 2009, il passe dans le registre
hautement dramatique en interprétant le personnage
de Mr. Tang (唐先生)
dans
« City
of Life and Death » (《南京!
南京!》)
de
Lu Chuan (陆川).
Un rôle typiquement à contre-emploi.
Il entre ensuite dans une période un peu moins
réussie au cinéma, compensée par de grands succès à
la télévision.
Succès populaires à la télévision
2009 est l’année de l’un de ses grands succès à la
télévision, le rôle principal dans la série
télévisée en 41 épisodes « Le bonheur de Laoda » (《老大的幸福》).
Il interprète le rôle de Lao Dafu Jixiang (老大傅吉祥),
littéralement le maître de la bonne fortune, un
masseur, honnête et optimiste, surnommé Laoda. Et
pourtant, derrière ce visage toujours souriant se
cache un homme qui a eu une enfance et une vie
misérables.
En 2009 dans City of
Life and Death
Resté orphelin, il a élevé ses trois frères cadets et sa
petite sœur. Tous ont réussi dans la vie, mais pas lui…
En 2013 dans la série
télévisée Père et fils au combat
En 2010, Fan Wei obtientpour ce rôle le grand prix
de l’Aigle d’or (décerné aux films télévisés), et le
prix d’interprétation masculine au festival de
télévision de Shanghai.
2010 apparaît comme un sommet de sa carrière. Il est
distingué, par l’hebdomadaire Gens du sud (南方人物周刊)
édité par le Nanfang Zhoumo (南方周末),
comme « Le démon de l’éternel contentement » (“知足之魅”)
dans la série des « cinquante personnes au charme
ensorceleur de Chine » (“中国魅力50人”) ;
il est également lauréat du grand prix « vent et nuages » (“风云大奖”)
de la télévision par satellite de l’Anhui.
Il multiplie les tournages. En 2012 et 2013, au
cinéma, il retrouve
Feng Xiaogang
dans
« Back
to 1942 » (《温故1942》)
et « Personal Tailor » (《私人订制》),
mais ce sont des rôles secondaires. C’est la
télévision qui lui offre ses meilleurs rôles : les
rôles principaux dans deux séries de guerre, dont
« Père et fils au combat » (《上阵父子兵》). Et,
encore plus populaire, en 2014, est son rôle de Zhou
Laocai (周老财)
dans la série télévisée en 46 épisodes « Laobao et
Lao cai » (《小宝和老财》).
Dans le rôle de Lao
Cai à la télévision en 2014
Retour au cinéma avec Chen Kaige
En 2015 dans « Monk
Comes Down the Mountain» de Chen Kaige
En 2015, cependant, c’est
Chen Kaige
qui lui offre un rôle en or au cinéma : celui de Cui
Daoning (崔道宁)
dans sa comédie-wuxiapian
« Monk
Comes Down the Mountain » (《道士下山》),
grand succès à sa sortie début juillet 2015. En
célébrant la fin du tournage autour d’un verre, Chen
Kaige lui a promis que ce n’était qu’un début et
qu’ils se retrouveraient…
[1]
Le xiangsheng relève de l’art du « parler
chanter » ou shuochang (说唱艺术) ;
à partir du mouvement de la Nouvelle Culture, mais
surtout après 1949 (hors Révolution culturelle, il
s’est développé en un art spécifique de la narration
sous forme de monologues et dialogues parfois
accompagnés de petites percussions, voire de
musique) : le quyi (曲艺).
Le genre bénéficie aujourd’hui du soutien des
autorités chinoises. Les spectacles sont désignés du
terme générique de xiao pin (小品),
petites pièces ou petits numéros.