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Chen Bo’er 陳波兒/陈波儿

1907-1951

Présentation

par Brigitte Duzan, 5 mars 2025

 

Essayiste, actrice, scénariste et réalisatrice, féministe avant l’heure, Chen Bo’er a été la première grande réalisatrice de la Chine nouvelle, après une carrière d’actrice en vue dans les années 1930. Sa mort prématurée, d’une insuffisance cardiaque à l’âge de 44 ans, en 1951, a brisé sa carrière dans l’œuf. Mais elle lui a aussi évité les inévitables persécutions qu’elle aurait eu à subir, ne serait-ce que pour son féminisme militant. Elle avait disparu de l’histoire du cinéma chinois et n’a commencé à être remise à l’honneur que très récemment, surtout depuis le chapitre que lui a consacré Wang Zheng dans son ouvrage « Finding Women in the State: A Socialist Feminist Revolution in the People's Republic of China, 1949-1964 » paru en 2017 [1].

  

 

 

Chen Bo’er

 

Débuts au théâtre

 

Chen Bo'er est née en 1907 à Anbu, un district de Chaozhou dans le Guangdong (广东潮州市潮安) [2]. Son père était un riche marchand de fruits secs. Elle s’appelait Chen Shunhua (陈舜华),

 

Elle était en fait née d’une concubine de son père, et pour cela était détestée par sa grand-mère et la première épouse de son père. C’est l’une des premières sources de son esprit rebelle, l’autre venant des histoires que racontait son frère aîné pour pousser ses sœurs à se révolter contre l’ordre établi, en particulier en coupant leurs nattes. Mais son père l’envoie étudier à Nankin et à Shanghai, où elle a apprend l’anglais en plus de son cantonais natal et du mandarin appris au collège. Bonne élève, particulièrement douée dans les disciplines artistiques et littéraires, elle est cependant expulsée de l’école pour avoir protesté contre le massacre des communistes par les troupes nationalistes à Shanghai le 12 avril 1927 [3].

 

Elle rencontre alors un leader paysan d’Anbu qui l’encourage à repartir poursuivre ses études. Elle s’enfuit donc de chez elle pour revenir à Shanghai où elle entre en 1928 à l’Université des arts (上海艺术大学). En 1929, elle participe à une manifestation organisée, entre autres, par Lu Xun et entre dans la Troupe d’art de Shanghai (上海艺术剧社) sous obédience communiste. Elle participe dès lors au mouvement du théâtre de gauche et joue dans des pièces engagées en prenant pour nom de scène « Chen Bo’er », emprunté à une ancienne translittération en chinois de « Bolchevik ».

 

En 1931, elle figure dans la liste noire du Guomingdang et doit quitter Shanghai pour Hong Kong. Elle retrouve là un ancien camarade de l’Université des arts de Shanghai, Ren Bosheng (任泊生), qui partage les mêmes idéaux révolutionnaires. Ils se marient le 18 avril 1931. Elle a deux fils, en 1933 et 1934, mais le premier meurt à l’âge de deux ans. Elle rentre à Shanghai et prend une nourrice pour s’occuper du deuxième, Ren Ke (任克).

  

 

 

Les deux enfants

 

À Shanghai, elle entre à la Lianhua et tourne aux côtés du grand acteur Zhao Dan (赵丹) dans le film « Youth Line » (Qingchun xian 青春线) réalisé par Yao Sufeng (姚苏凤) en 1934. L’histoire de trois amis d’enfance aux destins contrariés.

 

 

 

Qingchun xian

 

Actrice de cinéma et militante

 

Cette même année 1934, Chen Bo’er entre au studio Diantong (ou Denton) (电通影片公司) créé l’année précédente. Elle y rencontre Yuan Muzhi (袁牧之) qui venait lui-même d’y entrer et elle tourne avec lui dans le film réalisé par Ying Yunwei (应云卫), « Les malheurs de la jeunesse » (Taoli jie《桃李劫》). Le studio avait été fondé par quatre ingénieurs du son formés aux Etats-Unis et rentrés en Chine pour y développer le matériel nécessaire au cinéma parlant qui y était encore balbutiant : Taoli jie est le premier film parlant sonorisé par un procédé entièrement chinois. Yuan Muzhi y interprète le rôle d’un jeune homme que son honnêteté inflexible pousse à démissionner ; quand son épouse, interprétée par Chen Bo’er, est victime d’un accident, il vole à l’usine les salaires qui lui sont dus, mais sa femme meurt, et il est condamné à mort.

 

 

Les malheurs de la jeunesse 

 

 

 

Chen Bo’er, star du cinéma des années trente

 

Sorti en décembre 1934, le film rencontre un succès immédiat, en particulier auprès des jeunes. Il comportait un thème musical – la « chanson de la remise des diplômes » (《毕业歌》) - qui fut bientôt sur toutes les lèvres. Chen Bo’er devient instantanément célèbre, elle est la star de la Diantong. Mais le succès attire l’attention du Guomingdang : la Diantong fut obligée de fermer ses portes pendant l’hiver suivant, en 1935.

 

En 1936, Chen Bo’er participe avec Yuan Muzhi et d’autres anciens de la Diantong à la fondation du Studio n°2 de la Mingxing, ou Star Pictures (明星影片公司). Ils jouent alors dans un autre film de Ying Yunwei : « A la vie à la mort » (《生死同心》), sur un scénario de Yang Hansheng (阳翰笙).. Yuan Muzhi interprète le double rôle principal : celui d’un jeune révolutionnaire, Li Tao (李涛), qui réussit à s’évader dans l’incendie de la prison des seigneurs de la guerre où il était enfermé, et un jeune Chinois d’outre-mer, Liu Yuanjie (柳元杰), qui lui ressemble à s’y méprendre et qui est arrêté à sa place. Sa fiancée Zhao Yuhua (赵玉华) tente en vain de le délivrer. Li Tao mène alors un soulèvement contre les seigneurs de guerre et réussit à sauver Yuanjie, mais il meurt au combat.

 

 

 

Chen Bo’er et Yuan Muzhi dans « A la vie à la mort »

 

Cependant, parallèlement à ces films, Chen Bo’er écrit et se fait un nom d’écrivaine, mais elle participe aussi à des activités sociales et militantes. Ainsi en novembre 1936, peu avant la sortie du film « A la vie à la mort », elle organise une « Troupe de réconfort des femmes et des enfants » et part jouer avec elle sur le front des opérations anti-japonaises. Elle revient trois mois plus tard à Shanghai.

 

Le 7 juillet 1937 éclate « l’Incident du pont Marco-Polo » (Lugou qiao shibian 卢沟桥事变) qui marque le début officiel de la guerre. Le 13 août, elle met en scène la pièce « La défense du pont Marco Polo » (《保卫卢沟桥》) et joue avec une pléiade de stars en appelant à l’unité pour la défense de la patrie. À l’automne, avec Yuan Muzhi, elle forme la « troupe de théâtre de salut national de Shanghai » (上海救亡演剧队) et, après la chute de Shanghai, ils quittent la ville pour suivre l’armée. C’est dans le bureau de la 8ème Armée de route à Nankin qu’elle entre au Parti communiste. 

 

En 1938, ils jouent tous les deux dans le film anti-japonais « 800 héros » (《八百壮士》) tourné à Wuhan. Adapté d’une pièce de théâtre par Ying Yunwei, le film dépeint la défense de l’entrepôt de Sihang (四行仓库), fin octobre 1937, dans les derniers moments de la résistance de Shanghai contre l’attaque japonaise[4]. Chen Bo’er y interprète le rôle de l’héroïne Yang Huimin (杨惠敏) qui traverse la rivière à la nage afin d’apporter un drapeau, offert par le propriétaire d’un grand casino, pour le hisser sur le toit de l’entrepôt. 

 

 

 

Chen Bo’er dans le rôle de Yang Huimin

 

Mais c’est le dernier film dans lequel joue Chen Bo’er. Elle part ensuite à Yan’an avec Yuan Muzhi, et son fils, tandis que son mari Ren Bosheng part rejoindre la Nouvelle 4ème Armée.

 

À Yan’an

 

Yuan Muzhi est en effet appelé à Yan ‘an par Zhou Enlai pour y fonder une équipe de cinéma. Celle-ci - l’« équipe cinématographique de Yan’an » (延安电影团) - voit le jour en août 1938, avec du matériel en partie acheté à Hong Kong, en partie rapporté des studios défunts de Shanghai, plus une caméra offerte par Joris Ivens.

 

À Yan’an, Chen Bo’er joue dans la « Trilogie de Yan’an » (《延安三部曲》), pièce écrite par Yuan Muzhi pour dépeindre la vie dans les bases révolutionnaires. Après cette représentation, elle prend la tête du « groupe d’enquête sur les femmes et les enfants du nord de la Chine » (率战地妇女儿童考察团) et se déplace par monts et par vaux, traversant deux fois le fleuve Jaune en passant derrière les lignes ennemies pour aider les associations de secours mutuel mises en place dans les régions rurales reculées, allant jusqu’à apprendre au paysannes à lire et à chanter. Elle écrit des rapports sur son travail.

  

 

 

Chen Bo’er (à g.) en mission d’enquête sur les femmes et les enfants en mai 1939

 

A Chongqing, cependant, elle attire l’attention du Guomingdang. Le 7 juillet 1940, elle est arrêtée, mais elle parvient à s’échapper. A la fin de 1940, mission accomplie, elle revient à Yan’an. En mai 1942, elle assiste au Forum de Yan’an sur la littérature et les arts (延安文艺座谈会), et entend le fameux discours de Mao.

 

 

 

Le Forum de Yan’an, Chen Bo’er au premier rang (au milieu, avec la veste noire)

 

Après sa publication en 1943, le discours suscite une réflexion intense et entraîne l’écriture de divers programmes artistiques. Dans ce contexte, début 1944, Yao Zhongming (姚仲明) qui était alors le directeur du département n° 4 de l’École du Parti à Yan’an une pièce de théâtre en quatre actes intitulée « Camarade, tu as pris la mauvaise voie » (《同志,你走錯了路! ) qu’il donne à Chen Bo’er pour la réviser et elle en écrit la version définitive. Tous deux sont récompensés pour cette pièce du titre de « Travailleur modèle ». Ils sont ensuite invités à écrire un article pour le Quotidien de la libération (Jiefang ribao《解放日报》). Chen Bo’er écrit « Expérience de mise en scène collective » (《集体导演的经验》) et Yao Zhongming une introduction au travail sur la pièce. Leurs articles sont publiés en décembre 1944. Zhou Enlai lui-même écrit pour les féliciter et exprimer son approbation.

 

Chen Bo’er écrit et met en scène plusieurs autres pièces. Elle réalise en outre un documentaire historique : « La défense de Yan’an ». En 1945, il est décidé d’établir le Studio cinématographique de Yan’an. Chen Bo’er part en mission à Chongqing pour acheter du matériel. Elle se renseigne alors pour savoir ce qu’est devenu Ren Bosheng, et à sa grande surprise apprend qu’il s’est remarié.

 

À Changchun

 

Après la fin de la guerre, le Parti reprend le Studio japonais du Manchukuo et établit le Studio du nord-est (东北电影制片厂) fondé le 1er octobre 1946 à Changchun . Chen Bo’er y arrive en août et Yuan Muzhi l’y rejoint. Il avait reçu une lettre d’un ami lui annonçant la mort de Ren Bosheng (information qui s’avèrera fausse par la suite). Ils se marient à Harbin en 1947.

 

Yuan Muzhi est nommé directeur du Studio du Nord-est, Chen Bo’er secrétaire de la branche du Parti et directrice du département artistique. C’est un moment clé du renouveau du cinéma chinois. Chen Bo’er participe au développement du cinéma d’animation en reprenant les techniques de poupées animées qui étaient l’une des spécificités du studio du Manchukuo dont les cinéastes japonais restèrent en Chine jusqu’en 1953. Elle réalise le premier film chinois de poupées animées : « Le rêve de l’empereur » (《皇帝梦》), qui dénonce, en quatre parties, la corruption du Guomingdang à la solde de l’impérialisme américain. Au générique se lit le nom de « Fang Ming » (方明), nom chinois que Chen Bo’er avait donné à Jijin Mochinaga, le spécialiste japonais de l’animation de poupées qui assura la direction artistique du film[5].

 

 « Le Rêve de l’empereur » (7’36) :

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D’août 1948 à juin 1949, l’équipe du Studio tourne six films de fiction dont « Le pont » (《桥》), réalisé par Wang Bin (王滨), premier film de fiction de la Chine nouvelle.

 

Le 1er octobre 1949, Chen Bo’er est à la tribune de la place Tian’anmen pour voir se lever le drapeau rouge sur la place.

 

À Pékin

 

En mars 1949, dans ce qui était encore Beiping, Yuan Muzhi fonde le Bureau central de contrôle du cinéma (中央电影事业管理局) et en devient directeur, poste qu’il conserve après la fondation de la République, quand le Bureau est rattaché au ministère de la Culture et devient le Bureau du cinéma. Chen Bo’er devient en même temps directrice de la Division des arts.

 

En 1950, elle conduit un programme planifié de réalisation de 26 films. En juillet, le Bureau du cinéma fonde une école de cinéma qui est en fait l’ébauche de l’Institut du cinéma de Pékin et dont la section artistique est confiée à Chen Bo’er. La cérémonie d’inauguration a lieu en septembre.

 

Cependant, elle avait une maladie de cœur qui avait été diagnostiquée dès 1943. En 1950, le rythme de travail l’avait épuisée, sa santé se détériorait de jour en jour, il lui arrivait de s’ évanouir lors de répétitions. Cependant elle n’avait pas revu sa mère depuis des années. En 1951, elle alla à Canton pour superviser la construction du studio de la Rivière des perles. Elle alla ensuite chercher sa mère qu’elle ramena à Shanghai.

 

Mais elle est victime d’un arrêt cardiaque alors qu’elle était en discussions au studio de Shanghai. Elle est décédée à l’hôpital Tongji le 9 novembre 1951, à l’âge de 44 ans. Elle est enterrée au cimetière de Babaoshan, le cimetière des héros révolutionnaires (八宝山殡仪馆).

 

 

 

La pierre tombale de Chen Bo’er à Babaoshan

(source : yancloud.red)

 

À sa mort, Deng Yingchao (邓颖超), l’épouse de Zhou Enlai, a écrit une lettre émouvante pour lui rendre hommage : « En hommage à la mémoire de la camarade Chen Bo’er » (《悼念陈波儿同志》). Ils l’avaient toujours soutenue. Après sa mort, tous deux se sont occupés de sa mère en lui cachant d’abord la mort de sa fille et en veillant à ce qu’elle ne manque de rien. La vieille dame est morte en 1967.

 

Chen Bo'er, pourtant, a disparu pendant longtemps de l’histoire du cinéma chinois. Il faudra attendre 2011 pour qu’une cérémonie soit organisée à sa mémoire à Babaoshan, pour le 60e anniversaire de sa mort. Elle a été effacée de « L’histoire du développement du cinéma chinois » (中国电影发展史) éditée sous la direction de Cheng Jihua (程季华), publiée en 1963 puis rééditée au début des années 1980[6], qui reste encore aujourd’hui la référence de base en la matière[7]. Il faudra attendre 2017 et l’ouvrage de Wang Zheng « Finding Women in the State » (voir n. 1) pour que l’on trouve un chapitre qui lui soit consacré.

 


 

[1] Wang Zheng, "Chen Bo'er and the Feminist Paradigm of Socialist Film" in Finding Women in the State: A Socialist Feminist Revolution in the People's Republic of China, 1949-1964, Berkeley: University of California Press, pp. 143–169. Considérable travail de recherche, en particulier sur Chen Bo’er.

[2] 1907 et non 1910 comme on le trouve parfois (y compris sur baidu).

[3] Massacre du 12 avril (·一二慘案) qui marque la fin du premier Front uni entre les Communistes et le Guomingdang, alliés jusque-là contre les seigneurs de la guerre. Le Guomingdang entendait « purger le parti » pour éviter une prise du pouvoir par les Communistes.

[4] Le même épisode a donné lieu à une nouvelle adaptation au cinéma par  Guan Hu (管虎) : « Les 800 » (《八佰》), sorti après le confinement pour cause de covid en juillet 2020.

[6] Sur l’ouvrage de Cheng Jihua, voir https://www.chinesemovies.com.fr/Ressources_Generations_cineastes_chinois.htm, paragraphe conclusif « Histoire à relativiser ».

[7] Sans doute en raison de l’image qu’ont contribué à donner d’elle les revues de mode de l’époque, comme The Young Companion (Liangyou huabao《良友画报》). Chen Bo’er figure en 1930 en couverture du n° 51 : portrait en jeune femme séduisante à la mode, contraire à l’esprit même de l’actrice, et encore plus de la cinéaste militante pendant la guerre.  

Voir à cet égard, par exemple, l’article publié sur le site 360doc.com :

 人物传奇|英年早逝的电影明星陈波儿

(Un personnage de légende : la star du cinéma trop tôt disparue Chen Bo’er)

Une vie traitée comme un mélodrame, photos à l’appui.

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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