Accueil Actualités Réalisation
Scénario
Films Acteurs Photo, Montage
Musique
Repères historiques Ressources documentaires
 
     
     
 

Repères

 
 
 
     
 

Repères historiques

Le cinéma chinois des années de guerre et de l’après-guerre (1931-1949)

II. Le scénario comme nouveau genre littéraire : le dianying wenxue juben

par Brigitte Duzan, 9 novembre 2018

 

Né du théâtre d’ombre, le cinéma chinois a évolué, dans les années 1920, en lien étroit avec le théâtre parlé (huaju 话剧), le cinéma étant apprécié pour son potentiel de réalisme. L’évolution vers des formes narratives plus orientées vers le public populaire a ensuite poussé au développement du mélodrame [1].

  

Longue tradition qui a donné au cinéma chinois ses lettres de noblesse, l’interaction entre littérature et cinéma est notable surtout à partir du début des années 1930, et cette période déterminante a connu son apogée à la fin des années 1940. A cet égard, on peut considérer les années d’après-guerre 1945-1949 comme un âge d’or du cinéma chinois [2], l’interaction littérature-cinéma se mesurant alors aussi en termes de qualités littéraires des scénarios.

 

Développement des liens littérature-cinéma

 

1.       Début des années 1930 : cinéma sous influence

 

Ces liens entre la littérature et le cinéma se développent surtout après 1931, date du premier film parlant chinois, qui rapproche encore plus le cinéma du théâtre parlé : c’est « La Chanteuse Pivoine rouge » (《歌女红牡丹》) de Zhang Shichuan (张石川), produit de la coopération entre

 

La chanteuse Pivoine rouge

la compagnie Mingxing (明星影片公司), principal studio des années 1920 à Shanghai, et la société Pathé pour la technique du son.

 

Zheng Zhengqiu

 

La Mingxing avait été cofondée en 1922 par le dramaturge Zheng Zhengqiu (郑正秋) qui devint aussi scénariste et réalisateur, préfigurant l’une des caractéristiques essentielles du cinéma émergent chinois. A partir de 1932, la compagnie attira les plus grands dramaturges et écrivains de gauche de l’époque, contribuant ainsi à créer un cinéma de critique sociale reflétant les désarrois et désillusions de la société, indépendamment du Parti communiste qui était encore dans la clandestinité et trop faible pour pouvoir exercer une influence déterminante.

 

Ce cinéma de réalisme critique (plus que de réalisme social) était essentiellement le reflet des idées et perceptions subjectives des auteurs et réalisateurs en tant qu’individus, et individus engagés. Leur esthétique était ancrée dans une empathie pour les malheurs du peuple chinois, une conception

humaniste traduite en termes idéalistes parfois teintés de sentimentalisme, en tout cas dénués de toute idéologie. Le message essentiel était l’espoir de voir les souffrances du peuple toucher à leur fin, avec un fort impact émotionnel, mais sans connotation politique. La censure y était peut-être pour quelque chose, mais bien plus des restes d’individualisme hérités du mouvement du 4 mai.  

 

La mort de Zheng Zhengqiu, en 1935, marque de manière presque emblématique le tournant pris par le cinéma à l’époque.

 

2.       Les années de guerre : repli sur le théâtre

 

Dans la Chine en guerre, le cinéma est délaissé pour le théâtre, sous l’égide des mêmes auteurs. Les raisons étaient simples, et pratiques d’abord : Chongqing était devenue le centre intellectuel et artistique servant de refuge dans une Chine dont les grandes villes de l’est, et Shanghai en particulier, étaient occupées par les Japonais ; les conditions matérielles y étaient très difficiles, et il était impossible d’y tourner des films faute de pellicule. A cela s’ajoutait la possibilité de faire du théâtre de guerre un moyen de propagande et de résistance à l’envahisseur.

 

Les troupes de théâtre huaju fleurirent donc, et accueillirent les « chômeurs » du cinéma, ce qui contribua à renforcer les liens entre la scène et l’écran. Les dramaturges les plus éminents du moment étaient là - Cao Yu (曹禺), Xia Yan (夏衍), Yang Hansheng (阳翰笙) [3], Chen Baichen (陈白尘),

 

Yang Hansheng

Tian Han (田汉) – avec les acteurs les plus populaires de Shanghai – Zhao Dan (赵丹), Shi Hui (石挥), Liu Qiong (刘琼), l’actrice Bai Yang (白杨)…

 

3.       L’après-guerre : retour au cinéma

 

Yao Ke

 

Une fois le conflit terminé, en 1946, tous ces artistes qui avaient passé les années de guerre à faire du théâtre revinrent en masse à Shanghai et au cinéma. Et ils retrouvèrent le groupe de dramaturges et écrivains qui étaient restés dans Shanghai occupée : le dramaturge Huang Zuolin (黄作霖), revenu à Shanghai en 1939, les écrivains/dramaturges Ke Ling (柯灵), Yao Ke (姚克) [4]… et Zhang Ailing (张爱玲) qui joua un rôle non négligeable comme scénariste, elle aussi, en commençant par des scénarios écrits pour Sang Hu (桑弧), en 1947 [5].

 

Ce retour en masse de talents dans une ville qui retrouvait en même temps ses habitants et une nouvelle vitalité se traduisit par une explosion créatrice au cinéma. Le conflit était terminé, mais la guerre continuait, guerre civile cette fois, et 

pourtant cette fin des années 1940 est un véritable âge d’or du cinéma chinois. Ce sont seulement trois années, mais d’intense créativité avant l’avènement du régime communiste.

 

L’atmosphère était sombre : le chaos était quotidien, entre inflation galopante et corruption rampante, et l’humeur générale teintée de désillusion au retour de huit ans de lutte. Les films reflètent cette ambiance de désespoir né de la perte d’idéal et de raison de vivre.

 

Au lendemain de la victoire, l’impression générale était celle d’une défaite, défaite spirituelle traduite parfois sous des dehors de comédie, mais le plus souvent sous forme de mélodrame dans la grande tradition des années 1930, la plupart des cinéastes étant ces mêmes intellectuels de gauche habités par un humanisme et un sens de l’engagement social d’autant plus exacerbés qu’ils étaient en butte à la censure du Guomingdang et que réaliser un film dans ces conditions était proche d’un acte de résistance.

 

Résultante : le scénario littéraire

 

L’un des résultats de cette histoire chaotique, en lien avec le théâtre, est la qualité spéciale des scénarios, que l’on a qualifiés, à juste titre, de « littéraires » (电影文学剧本) et que l’on a publiés en tant que tels.

 

Les origines de cette tradition remontent aux scénarios des films muets, qui étaient bien plus élaborés, en termes cinématographiques, que ceux des films qui ont suivi, souvent constamment révisés en fonction des conditions et nécessités du tournage. Les scénarios des films parlants, en revanche, apparaissent bien plus comme des nouvelles, courtes ou moyennes (/中篇小说), cherchant à évoquer en termes littéraires des images visant à frapper visuellement le lecteur. Le scénario est riche en descriptions colorées et détaillées, mais pauvres en indications destinées au tournage, et en particulier tout ce qui concerne les mouvements de caméra. 

 

Le scénariste semble considérer le film essentiellement comme une narration, où les descriptions sont des sortes de passages codés destinés au metteur en scène pour qu’il les transforme en images et où les dialogues sont plus ou moins développés. La plupart des scénaristes ne connaissaient pas les aspects techniques du cinéma, à l’exception de dramaturges comme Xia Yan (夏衍) ou Tian Han (田汉), et cette caractéristique a eu deux séries de conséquences.

 

Xia Yan

 

D’une part, n’ayant pas conscience des contraintes du genre, ils avaient tendance à prévoir un nombre excessif de scènes. La qualité trop littéraire des scénarios et leur longueur excessive est encore l’un des motifs de plaintes de réalisateurs au moment de la période des Cent Fleurs, en 1956.

 

Mais, par ailleurs, le scénario étant reconnu comme littérature, il s’est créé une nouvelle tradition : le scénario comme création littéraire, et genre nouveau entre fiction et théâtre, entre narration et représentation, de la scène à l’écran. Non seulement les plus grands dramaturges ont écrit des scénarios, mais les scénarios ont été adaptés de pièces de théâtre, donnant aux films une empreinte théâtrale : scènes en intérieur, dominance des dialogues, découpage en actes et scènes. La qualité de l’interprétation, avec des acteurs et actrices formés au théâtre, achevait l’impact dramatique du scénario qui n’était pas essentiellement fondé sur le visuel.

 

Le cinéma chinois de la fin des années 1940 apparaît ainsi comme un genre en devenir, encore aux confins de la littérature et du théâtre. Un film comme « Sur la Sungari » (《松花江上》) de Jin Shan (金山) , tourné en 1947, marque la transition vers la recherche de l’impact visuel, au-delà des conventions théâtrales : le film comporte des effets de traveling, de longues scènes en extérieur, et l’une des premières scènes « de foule » de l’histoire du cinéma chinois, une révolte de mineurs. Il n’en reste pas moins que le scénario est en grande partie constitué de scènes en intérieur, ou pseudo-intérieur (la cour de la maison), avec des plans rapprochés d’effet très théâtral sur les visages des protagonistes, en particulier le gardien japonais de la mine.

 

A la fin des années 1940, l’effet dramatique du scénario, amplifié par les prises de vue et l’interprétation, concourt à créer chez les spectateurs une réaction d’identification, l’histoire vécue par les personnages du film coïncidant avec leur propre expérience, ainsi transformée en expérience collective et cathartique. En ce sens, le film agit sur le spectateur comme une nouvelle sur son lecteur, en l’attirant dans un monde partagé de sensations et d’émotions.

 

Chen Baichen

 

Ces qualités littéraires se retrouveront encore dans les films du début des années 1960 – comme dans le très beau « Février, printemps précoce » (《早春二月》) de Xie Tieli (谢铁骊), sur un scénario adapté d’une nouvelle de Rou Shi (柔石), puis au début des années 1980. On pourrait ainsi tracer des lignées cinématographiques sur plus de quarante ans en fonction des scénarios et scénaristes : ainsi, « La Véritable Histoire d’AQ » (《阿Q正传》), en 1982, est dans la même lignée que « Corbeaux et moineaux » (《乌鸦与麻雀》) sorti en 1949, tous deux ayant un scénario du dramaturge Chen Baichen (陈白尘).

 

A partir de la fin des années 1970, cependant, cette tradition théâtrale et la qualité littéraire des films a fait l’objet de vifs débats sur la « théâtralité » (戏剧性) des films, le premier article en date, et le plus célèbre, sur le sujet étant celui du

critique de cinéma Bai Jingsheng publié en janvier 1979 dans la revue Film Art (《电影艺术》杂志), appelant à « se débarrasser de la béquille du théâtre » (voir Bibliographie) …

 

 

Bibliographie

 

Chinese Film Theory, a Guide to a New Era, ed by George S. Semsel, Xia Hong and Hou Jianping, tr. Hou Jianping, Li Xiaohong, Fang Yuan, Praeger, 1990, 222 p.

Part I: The Debate on the Theatricality of Film. […] Part II. The Debate on the Literary Quality of Film…

Premier article: Throwing Away the Walking Stick of Drama by Bai Jingsheng (Film Art, n°1, 1979), pp. 5-9.

 


 


[2] C’est en particulier la thèse de l’historien de la littérature Leo Ou-fan Lee. Voir “The Tradition of Modern Chinese Cinema: Some Preliminary Explorations and Hypotheses”, in Perspectives on Chinese Cinema, ed. by Chris Berry, Cornell University East Asia Papers, n° 39,1985, pp. 1-20

[3] Yang Hansheng est un cas exemplaire de dramaturge également grand scénariste au cinéma. Voir :

http://www.chinesemovies.com.fr/reperes_Le_cinema_chinois_reperes_historiques_1905_1949_5.htm

[4] Auteur, entre autres, de la pièce « Discorde à la cour des Qing » (《清宫怨》) dont est adapté le scénario du film de Zhu Shilin « L’histoire secrète de la cour des Qing » (《清宫秘史》)

Voir : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Zhu_Shilin_hist_secrete_cour_des_Qing.htm

[5] Sur les scénarios de Zhang Ailing, voir :

http://www.chinese-shortstories.com/Scenaristes_ZhangAiling_1.htm

 

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Qui sommes-nous ? - Objectifs et mode d’emploi - Contactez-nous - Liens

 

© ChineseMovies.com.fr. Tous droits réservés.

Conception et réalisation : ZHANG Xiaoqiu