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Brève histoire du film rural chinois

par Brigitte Duzan, 02 février 2015

 

Alors que le cinéma chinois peut être analysé sous l’angle du regard croisé qu’il a porté quasiment depuis ses origines sur la ville et la campagne [1], apparaît au début des années 1950 un genre nouveau et spécifique : le film rural (农村片).

 

Né dans le bouillonnement des premières années de la République populaire, le genre s’est perpétué en évoluant et se diversifiant. C’est en particulier dans ce contexte que sont à replacer certains grands films des années 1990 qui reprennent le thème avec une esthétique et une symbolique spécifiques.

 

L’évolution du genre se présente en cinq phases qui correspondent au développement de l’économie agricole et du monde rural dans la Chine nouvelle, à partir de la réforme agraire et au gré des grands mouvements de réforme ultérieurs [2]. Les films ruraux en sont le reflet, enthousiaste au départ, plus critique ensuite, après la mort de Mao.

 

Mais le début des années 2010 voit apparaître en Chine un mouvement de retour vers le monde rural qui pourrait être les prémices d’une nouvelle phase de renouvellement du genre.

 

1. Réforme agraire et premier plan quinquennal

 

Les deux premières lois, fondamentales, de la République populaire sont promulguées dès 1950 : la loi sur le mariage en avril et la loi sur la réforme agraire en juin. Mais les années 1951 et 1952 sont marquées par la guerre de Corée et les grandes campagnes politiques visant à juguler l’opposition au nouveau régime. Ce n’est qu’en 1953 qu’est lancé le premier plan quinquennal qui fixe le cadre de développement du pays dans le domaine économique, mais aussi pour le cinéma.

 

Le 1er plan quinquennal et les directives concernant le cinéma

 

Les trois années 1949-1952 sont qualifiées de « période de relèvement économique » ; à partir de 1953 l’économie est planifiée et encadrée sur le modèle soviétique ; pour les cinq années 1953-1957,  priorité est donnée à l’industrie lourde, et, en agriculture, à un programme de collectivisation graduelle, commençant par des équipes d’entraide évoluant en coopératives.

 

En même temps, à partir de 1950, est progressivement mis en place un système de studios d’Etat qui passe par la nationalisation des studios privés. Une sous-section du dernier chapitre du plan quinquennal traite du cinéma, pour lui fixer des objectifs quantitatifs. Mais les thèmes des films, aussi, sont déterminés dans le cadre d’un processus planifié : outre les thèmes nationalistes et guerriers, on trouve en première ligne la défense et l’illustration des batailles pour la production.

 

A partir de 1953, l’accent est mis tout particulièrement sur les thèmes ruraux, dans le cadre de l’application de la réforme agraire, thèmes souvent liés à la défense de l’émancipation de la femme. En décembre 1953, dans son rapport au 2ème Congrès national des écrivains et artistes, le vice-président de la fédération, Zhou Yang (周扬), incite à une relance de la production de films de fiction, mais surtout des films populaires destinés en priorité au public rural. Il faut soutenir le mouvement de réforme agraire en mobilisant les paysans tout en les divertissant.

 

Naissance d’un genre

 

En réponse à ces directives, à partir de 1953, mais surtout en 1955, on voit ainsi apparaître un nouveau genre de films, les films dits ruraux (农村片), dont beaucoup sont réalisés au studio de Changchun. Il s’agit en fait de susciter une révolution dans les esprits et d’illustrer le changement, l’objectif ultime étant de consolider le pouvoir encore fragile du régime communiste en renforçant sa légitimité.

 

Les films ont le plus souvent pour thème central les conflits dramatiques dans les villages, où les forces de progrès ont à lutter contre les opposants et les esprits frileux, conflits résolus par la victoire finale des premières, avec un message direct au public. Ils sont parfois liés au thème de la lutte pour l’émancipation féminine qui est l’autre volet de la nécessaire mutation des esprits dans les campagnes.

 

Le scénario est fondé sur une opposition typique entre bons et mauvais et, généralement, une intrigue amoureuse simple. Le montage est linéaire, la narration devant être fluide pour faciliter l’impact dramatique du conflit, impact narratif et visuel renforcé par la musique, empruntée au fond de musique populaire régionale ou locale, avec des séquences typiques ponctuant les événements festifs.

 

Ces films s’efforcent en outre de mettre en scène des personnages authentiques et crédibles, calqués sur la vie réelle et reflétant la culture populaire : des personnages auxquels tout un chacun puisse s’identifier. 

 

Les premiers films ruraux

 

Le premier film sur le thème de la réforme agraire est réalisé

 

La bonne récolte, 1953

 

Une crise, 1954

 

dès 1953 et fait figure de précurseur : c’est le troisième film de Sha Meng (沙蒙), « La bonne récolte » (《丰收》) : il se passe dans un village en 1953, justement, au moment où sont instituées les « coopératives d’entraide » (合作社) ; elles se heurtent bien sûr à des résistances, mais celles des esprits rétrogrades tombent devant les résultats de ceux qui vont de l’avant : la coopération est le meilleur moyen de progresser vers la prospérité. C’est un film d’un style très réaliste et très bien interprété.

 

En 1954, « Une crise »  (《一场风波》), coréalisé par Lin Nong (林农) et Xie Jin (谢晋) est une description quasi documentaire de la vie en milieu rural au début des années 1950, montrant les conflits entre moralité traditionnelle et mentalités nouvelles, l’autorité du clan affrontant celle des nouvelles autorités (politiques). C’est en même temps une défense de la nouvelle loi sur le mariage.

 

Les films à thème rural se multiplient ensuite pendant l’année 1955 ; ce sont essentiellement des films soutenant l’institution des structures coopératives et montrant les travaux d’aménagement rural mis en œuvre par le nouveau régime. Ainsi :

- « La Terre » (土地) de Shui Hua (水华), film sur le mouvement de réforme agraire réalisé sous l’égide des communistes dans la région de Zhulin (竹林乡) dès l’automne 1930, qui dépeint en particulier la lutte contre les propriétaires fonciers.

- « Une histoire d’été » (《夏天的故事》), premier film réalisé seul par Yu Yanfu (于彦夫) qui décrit la vie dans une coopérative agricole du nord-est.

 

Mais le chef-d’œuvre de l’année est certainement « Printemps au pays des eaux » (《水乡的春天》),  premier film réalisé seul par Xie Jin (谢晋), qui décrit les conflits dans les villages à la

 

Une histoire d’été, 1955

 

Printemps au pays des eaux, 1955

 

veille de la mise en place des coopératives : au début des années 1950, un chef de village rentre chez lui après avoir participé aux travaux d’aménagement du fleuve Huai et veut appliquer dans son village les nouvelles idées qu’il a apprises ; il doit faire face à l’opposition d’un riche propriétaire et de son beau-père, mais finit par gagner l’adhésion de tous ; le marécage est transformé en rizière.

 

Mais, après cette vague, les films consacrés à la vie rurale disparaissent des écrans en 1956. Mao est désapprouvé au 8ème congrès du Parti, l’application du 1er plan quinquennal est jugée trop hâtive, un plan de développement révisé est adopté. L’atmosphère est trop incertaine.

 

 

On ne trouve guère qu’un film rural répertorié, sorti en juin 1956 : « Le printemps est là » (《春天来了》), un film réalisé au studio de Shanghai par Gu Eryi (顾而已) et Huang Zumo (黄祖模), qui décrit les conflits dans une coopérative, avec toujours affrontement entre idées conservatrices et idées nouvelles, entre mentalité routinière et esprit d’initiative.

 

Puis c’est l’époque des Cent Fleurs, suivie d’une reprise en main du régime et de la campagne contre les droitiers ; dans cette atmosphère tendue, peu de films sont réalisés. C’est le lancement du Grand Bond en avant, accompagné d’une collectivisation accélérée en milieu rural, qui suscite une nouvelle floraison de films ruraux.

 

2. 1958-1963 : Grand Bond en avant et collectivisation

 

 

Le Printemps est là, 1956

La période est riche en films destinés au public rural, dans un premier temps au début du mouvement, pour accompagner et soutenir les efforts de collectivisation, puis, après le désastre provoqué par le Grand Bond en avant, pour insuffler une nouvelle énergie dans les campagnes où la vie repart peu à peu.

 

1958-1959 : vive la collectivisation et vivent les communes populaires

 

La production cinématographique, aussi, fait un « grand bond en avant », d’abord en termes statistiques : multiplication des studios, multiplication des scénarios, dont beaucoup sont écrits par des auteurs non professionnels venant de la paysannerie, et multiplication des films, dont la majorité sont à la gloire des héros du travail, en particulier à la campagne. Le dixième anniversaire de la fondation de la République, en octobre 1959, est l’occasion d’une production sans précédent. On voit apparaître les films en couleur ; ils étaient jusqu’alors essentiellement en noir et blanc, les pellicules couleur devant être importées.

 

Un effort particulier est réalisé pour développer les documentaires, et les films de fiction en profitent : beaucoup sont dans un style docu-fiction qui renforce encore le réalisme de rigueur.

 

Blooming Flowers and Full Moon, 1958

 

Un premier film sorti en 1958 fait figure de précurseur : « Blooming Flowers and Full Moon » (花好月圆) réalisé par Guo Wei (郭维) d’après une nouvelle de Zhao Shuli (赵树理).

 

Guo Wei avait été condamné comme droitier pour son film de 1956 sur un héros de la guerre contre le Japon : « Dong Cunrui » (《董存瑞》) ; mais le film avait eu un grand succès pour les raisons mêmes qui avaient déplu aux autorités : Guo Wei avait révisé le scénario afin de présenter le personnage d’abord comme un jeune paysan, drôle et simple, avant d’en faire un soldat héroïque. C’est cela qui contribua à rendre ce héros humain et sympathique auprès d’un auditoire de paysans, et son sacrifice final apparut d’autant plus émouvant. Mais c’était un risque, à l’époque, de s’éloigner des modèles types, et en particulier dans le registre comique.

 

En 1958, Guo Wei revient à un procédé semblable pour adapter la nouvelle de Zhao Shuli, grand écrivain célèbre pour avoir consacré toute sonœuvreà la peinture des changements intervenus dans  les campagnes du nord de la Chine au début du vingtième siècle, et plus précisément dans son Shanxi natal. La nouvelle dont est adapté le film dépeint la mise en place de la collectivisation dans un village soumis à une sécheresse chronique.

 

Guo Wei a ajouté dans son scénario des éléments comiques qui rendent le film atypique pour la période, sur un sujet qui va en devenir le leitmotiv : les trois personnages du film sont devenus des personnages de comédie, contre un seulement dans la nouvelle dont Guo Wei a en outre renforcé l’intrigue amoureuse. De stricte description du mouvement de collectivisation et des conflits entraînés dans un village, le film est devenu, selon la formule d’un historien du cinéma [3], « une combinaison de romance et de révolution exaltées par la passion ».

 

Quant au message du film, il estannoncé par son titre même : une expression évoquant la parfaite entente d’un couple, et donc le bonheur conjugal, image évidemment métaphorique renvoyant à l’avenir radieux de l’agriculture collectivisée. C’est ce qui advient à la fin du film, sur fond d’image géante de Mao pour bien souligner l’auteur de cette félicité idéologique.

 

Egalement de 1958, et beaucoup plus connu, « Sur les bords du canal du 8 mars » (《三八河边》) de Huang Zumo (黄祖模), avec l’actrice Zhang Ruifang (张瑞芳) dans le rôle principal, est de facture beaucoup plus orthodoxe : c’est un docu-fiction relatant l’histoire vraie de Chen Shuzhen (陈淑贞), directrice de la commune populaire « Canal du 8 mars », dans l’Anhui, qui prit l’initiative d’organiser un groupe d’entraide de huit familles, ensuite élargi et transformé en coopérative. C’est un personnage réel, héroïne sur le front de la production agricole érigée en modèle.

 

Sur les bords du canal du 8 mars, 1958

 

Les films de la période font aussi l’éloge du courage des jeunes partis défricher les terres inhospitalières du Grand Nord, ou participant à la mise en valeur de régions arides. C’est le cas de deux films de 1959 sur un sujet très semblable.

 

Les jeunes de notre village, 1959

 

Le grand succès de l’année, proche du chef-d’œuvre, est le film en couleur « Les jeunes de notre village » (《我们村里的年轻人》), réalisé par Su Li (苏里) sur un scénario de l’écrivain Ma Feng (马烽), avec pour interprètes principaux Li Yalin (李亚林) et l’actrice Jin Di (金迪) : en 1958, au début du Grand Bond en avant, un groupe de jeunes d’un village des monts Taihang, dans le Shanxi, entreprennent la construction d’un réservoir alimenté par un canal creusé dans la montagne pour irriguer une zone souffrant du manque d’eau. C’est un grand film dont le succès tient à la subtilité du scénario, et à son ton de comédie légère, interprétée avec beaucoup de justesse.

 

Un autre film de la même année, également en couleur et sur le même sujet, est au contraire une œuvre spontanée, qui n’a pas la finesse du film de Su Li, mais veut montrer l’atmosphère enthousiaste dans laquelle a débuté le Grand Bond en avant à la campagne : « Le Fleuve jaune escalade la montagne »

(《黄河飞渡》) a été réalisé d’après un scénario collectif de la troupe de théâtre moderne du Gansu et coproduit par les studios de Changchun et de Mongolie intérieure ; il montre des jeunes villageois affrontant le fleuve Jaune pour construire un canal d’irrigation au péril de leur vie. C’est une sorte de pièce de théâtre musical, dont la musique et les chants scandent la narration et lui donnent son rythme.

 

 

Le Fleuve jaune escalade la montagne (extraits)

 

1961-1963 : retour sur la collectivisation

 

Dans le climat de crise de 1960, le cinéma est appelé en renfort dans l’effort national de soutien au monde rural dévasté : priorité est donnée aux films sur la vie dans les campagnes, et, en mai, une conférence sur la diffusion des films donne comme autre priorité la desserte des communes rurales. Des équipes sont envoyées dans les campagnes pour recueillir l’avis des paysans, en particulier sur les scénarios.

 

A la fin de l’été, au 2ème congrès de l’association des cinéastes, le discours d’ouverture est consacré aux films destinés aux ruraux ; c’est un cinéma dont est souligné le caractère de masse, avec pour conséquence, au niveau de la forme, la nécessité d’une narration claire et linéaire, de personnages simples, aisément compréhensibles, et d’une conclusion optimiste. Les objectifs quantitatifs sont rajustés à la baisse de manière à favoriser la qualité.

 

Dans ces conditions, les films ruraux fleurissent. Le premier de cette nouvelle période, sorti en 1961, est un film de Zheng Junli (郑君里) dont le titre à lui seul est significatif : « Les arbres morts revivent » (枯木逢春).

 

En 1962, « Le village des acacias » (《槐树庄》), de Wang Ping (王萍) est l’un des grands classiques de la période ; il met en scène les luttes entre villageois dans un village du nord de la Chine, d’abord en 1947 au moment de la réforme agraire dans la région, puis six ans plus tard, lors de l’établissement d’une coopérative sous la conduite de la femme qui a été élue chef de village. Au centre de la narration est l’affrontement avec le fils de l’ancien propriétaire terrien du village qui tente de liguer les villageois contre le projet de

 

Le village des acacias, 1962

coopérative. Le film préfigure la reprise en mains par Mao de la direction du Parti avec son célèbre discours de septembre à la réunion plénière du Parti : « N’oubliez jamais la lutte des classes ! ».

 

Li Shuangshuang, 1962

 

Mais le grand succès de l’année 1962, lauréat du second prix des Cent Fleurs en 1963, est « Li Shuangshuang » (李双双), réalisé par Lu Ren (鲁韧) d’après la nouvelle de Li Zhun (李准) « Brève histoire de Li Shuangshuang » (《李双双小传》). C’estun autre grand classique de cette phase idéaliste de la peinture de la ruralité, au cinéma comme dans la littérature ; fidèle à la nouvelle, le film voulait illustrer ce que le Grand Bond en avant aurait pu être : un temps d’espoir,

de passion et d’énergie irrépressibles visant à libérer les paysans de leur vie de misère pour en faire des

acteurs à part entière de la vie de la nation. Le succès du film comme de la nouvelle montre que ce discours était toujours capable de susciter l’enthousiasme.

 

Un autre film sur la collectivisation dans les campagnes sort encore en 1963 : « Jiangnan dans le Nord » (《北国江南》), réalisé par Shen Fu (沈浮), sur un scénario du dramaturge et scénariste Yang Hansheng (阳翰笙).

 

Cette même année 1963 sort aussi un film différent, réalisé – en noir et blanc - par Ye Ming (夜明) au studio Tianma, à Shanghai, sur

 

 

Jiangnan dans le Nord, 1963

une jeune villageoise qui veut devenir actrice dans la troupe locale, « La jeune magnanière » (蚕花姑娘 ).

 

La jeune magnanière, 1963

 

En 1964, le studio de Changchun produit la seconde partie du film « Les jeunes de notre village ». Sortent encore deux films dont l’action se situe dans une commune populaire, un autre sur la lutte des classes dans les régions rurales, et un autre encore sur les jeunes diplômés qui partent travailler à la campagne à la fin de leurs études à l’appel de Mao.

 

Déjà le vent est en train de tourner : en 1963 est lancée une campagne d’éducation socialiste pour lutter contre les « tendances révisionnistes dans les campagnes » ; pendant l’été 1964 a lieu un nouveau mouvement de rectification visant la littérature et le cinéma. C’est la fin d’une brève période de grâce….

 

Mais la réalisation de films ruraux reprend pendant la seconde partie de la Révolution culturelle, quand la production

cinématographique est relancée, après 1971, dans une atmosphère tendue de lutte entre factions. On y

perd la pointe de bonne humeur, voire d’humour, qui caractérise la meilleure part de la production des années 1950-60, mais les thèmes et le style sont très semblables.

 

1973-1975 : reprise des films ruraux

 

Cinq de ces films sont des classiques, réalisés par de grands metteurs en scène, qui contredisent l’idée répandue que la Révolution culturelle a été un désert cinématographique. Ces films ont été réalisés dans des conditions difficiles : soumis à de longues révisions, ils ont mis parfois longtemps à sortir.

 

Trois ont été réalisés en 1973 :

- Green Pine Ridge (青松岭) : remake de

 

Green Pine Ridge (remake 1973)

1973 d’un film de 1965 du même réalisateur, Liu Guoquan (刘国权) ; il est adapté d’une pièce de théâtre sur les conflits de classe dans un village au moment de la moisson. Réalisé au studio de Changchun, il a pour acteur principal Li Rentang (李仁堂) que l’on retrouvera en 1982 dans « Le Talisman » (《如意》).

- Bright Sunny Skies (艳阳天) de Lin Nong (林农), sorti en février 1974, pour les fêtes du Nouvel An. Il est adapté d’un roman de Hao Ran (浩然) publié en 1965, dont

 

Bright Sunny Skies 1974

l’histoire se passe dans un village du nord de la Chine à l’automne 1956. Le film, comme le roman, décrit les conflits habituels provoqués par la mise en œuvre de la collectivisation, mais il parvient à rendre la couleur de la vie locale, en particulier par des dialogues vivants, tirés de la vie réelle.

- Fighting the Flood (战洪图) de Su Li (苏里)/Yuan Naichen (袁乃晨), réalisé en même temps que les deux précédents, mais sorti en 1974. Le film relate la lutte contre de graves inondations en 1963 dans le Hebei.

 

Fighting the Flood 1974

 

Green Pine Ridge

 

Bright Sunny Skies

 

Fighting the Flood

 

Deux autres de ces classiques de la Révolution culturelle ont été réalisés 1975 :

- The Golden Road (金光大道), coréalisé par Lin Nong (林农) et Sun Yu (孙羽) au studio de Changchun. Il est adapté de la première partie du roman éponyme de Hao Ran publié en 1972, roman également adapté en lianhuanhua. Il raconte le processus qui a conduit des premières étapes de la réforme agraire à la constitution de la première commune agricole de paysans pauvres dans un village du district de Jidong (冀东) dans le

 

The Golden Road 1975

Hebei.

- Breaking with Old Ideas (决裂) de Li Wenhua (李文化), sorti au début de 1976, a un thème original pour la période : il concerne la lutte pour "démocratiser" l’éducation à la campagne, c’est-à-dire l’ouvrir aux paysans.

 

Les films à thème rural n’ont donc pas disparu pendant dix ans et ils reviendront sur le devant de la scène dès les lendemains de la Révolution culturelle, mais ce ne sera plus pour célébrer la vie à la campagne de la même manière.

 

Breaking with Old Ideas 1975

 

The Golden Road

 

Breaking with Old Ideas

 

3. Années 1980 : Maturation du genre

 

Dans le domaine du film rural, les années 1980 sont marquées par un double mouvement :

- d’une part, une série de films est réalisée dans la continuation des films des années 1950-60, les uns sur le mode laudateur, les autres sur un mode nostalgique, dans une vision tout aussi idéalisée, mais tournée vers le passé alors que l’idéalisme des années 1950 était tourné vers l’avenir ;

- d’autre part, apparaît une cinquième génération de jeunes réalisateurs, avec une approche critique et une esthétique différente, qui ne s’intéressent plus à l’histoire collective, mais à la vie des individus.

Ces mouvements, cependant, ne sont pas si distincts qu’il peut sembler au premier abord, il y a des passerelles entre les deux : on assiste en fait à la maturation du genre, donc à sa diversification, qui passe en même temps par sa libération de l’emprise idéologique.

 

Films ruraux ancienne manière

 

Certains films reprennent des fils narratifs et un style réaliste semblables à ceux des films qui avaient pris pour thème la vie dans les campagnes au moment de la collectivisation. En 1980, le mouvement est inverse, puisque c’est de décollectivisation dont il est question, avec l’apparition des contrats de responsabilité familiale à partir de 1977, et la libéralisation progressive de l’agriculture.

 

Un exemple de ces films à l’ancienne mode réaliste est  « Notre chef Niu Baisui » (咱们的牛百岁), réalisé en 1983 par Zhao Huanzhang (赵焕章), ou encore la trilogie dite « des champs » (“田园三部曲”) de Hu Bingliu (胡炳榴) :

1981 Country Call/Call of the Home Village coréalisé avec Wang Jing (王进). 

1983 Voice fromthe Home Village乡音

1986 Country Couple乡民 (coscénariste Jia Pingwa 贾平凹).

 

Notre chef Niu Baisui 1983

Ces films ont une riche couleur locale et un sens poétique très chinois.

 

En même temps s’amorcet un style et un discours nouveaux.

 

Transition ou passage de relais

 

Our Fields,1983

 

Pendant l’été 1981, professeur à l’Institut du cinéma de Pékin, Xie Fei (谢飞) est chargé de superviser les projets de fin d’étude sur lesquels travaillent les étudiants de dernière année. C’est ainsi qu’il participe au tournage de « Our Fields » (我们的田野), un peu trop, lui sera-t-il reproché, par les étudiants qui voulaient imposer leur propre vision et leur propre esthétique.

 

Le tournage a eu lieu dans la province du Heilongjiang où se passe l’histoire :pendant la Révolution culturelle, cinq lycéens de Pékin sont partis comme volontaires pour défricher le Grand Nord ; en 1981, l’un d’eux, fraîchement diplômé d’un institut de machines agricoles, s’apprête à rejoindre son nouveau poste ; à son passage à Pékin, il en profite pour revoir ses anciens camarades, et ils évoquent leurs souvenirs de jeunesse, dans ce grand Nord terrible ; finalement il décide d’y repartir et de s’y installer.

 

Il y a là toute la nostalgie ressentie pour une période très dure, mais qui fut aussi l’époque bénie de la jeunesse de tous ces étudiants ; parvenus au seuil de l’âge mur, ils ne parviennent pas à en effacer le souvenir. Finalement, l’attrait du passé est le plus fort. On retrouve le même phénomène en 1983 dans « Le gardien de chevaux » (《牧马人》), de Xie Jin (谢晋), où la campagne apparaît, de la même manière, comme promesse d’un bonheur simple et tranquille, mais aussi détentrice des valeurs authentiques de la nation chinoise.

 

Xie Fei fait lui aussi partie des réalisateurs de la génération sacrifiée par la Révolution culturelle, qui restent représentatifs de l’esthétique traditionnelle, comme le montre son premier film, réalisé en 1986 :« La jeune fille Xiaoxiao » (湘女萧萧), d’après la nouvelle de Shen Congwen (沈从文). La campagne y est aussi présentée sous un jour idyllique, et les coutumes traditionnelles y sont défendues comme ayant un sens profond.

 

Cette vision fondamentale de la campagne est encore celle que l’on retrouve dans « La Vie » (《人生》), le film de 1984 de Wu Tianming (吴天明). Mais elle est beaucoup plus complexe, la campagne étant finalement l’ultime recours, le refuge vers lequel revenir après l’échec d’une tentative d’installation en ville. Il y a chez Wu Tianming un sentiment de destin inéluctable.

 

C’est aussi le cas dans « Le vieux puits » (《老井》), deux ans plus tard. Ici encore un étudiant revient de la ville au village, et ici encore il est pris dans le réseau des relations et des coutumes ancestrales. Mais elles lui offrent finalement les racines dont il avait besoin pour trouver ses fondements identitaires.

 

Tous ces films ont déjà une différence essentielle avec les films ruraux d’avant la Révolution culturelle : ils s’intéressent au sort des individus, à leurs souffrances, leurs espoirset leurs désillusions .Il n’est plus question de représenter un projet politique ou une ligne idéologique, voire de s’en faire les avocats. L’individu a commencé à s’affranchir de la collectivité, cela crée des problèmes, des tensions, et c’est cela qui intéresse les réalisateurs. La cinquième génération va s’attacher à représenter les drames des destins individuels, mais le faisant dans une esthétique totalement différente.

 

Le vieux puits, 1986

 

Néanmoins il n’y a pas de rupture. Xie Fei comme professeur, Wu Tianming comme producteur seront deux des grands mentors de la nouvelle génération qui va poser un regard neuf sur la campagne. Ils auront contribué à passer le relais.

 

De la Terre Jaune au Sorgho rouge

 

La Terre jaune, 1984

 

« La Terre jaune » (《黄土地》) sort en 1984, la même année que « La Vie ». Le parallélisme va durer le temps que s’épuise l’énergie novatrice de la cinquième génération, et qu’elle cède le pas à la tentation du commercial.

 

« La Terre jaune » marque le renouveau du film rural sous un jour totalement novateur, tant du point de vue de la forme que du fond. En même temps, le principe de base est diamétralement opposé à celui qui a présidé à la naissance du genre. Il est toujours question de la nécessité du changement, économique et social. Mais il s’agissait au départ, au début des années 1950, de soutenir le projet de réforme agraire, comme il s’agira ensuite de défendre la collectivisation. Début 1980, au contraire, le propos se fait critique, et il va le rester.

 

 

Ce renouveau du film rural, comme du cinéma chinois dans son ensemble, est relancé trois ans plus tard par un autre film,le premier réalisé par Zhang Yimou : « Le Sorgho rouge » (《红高粱》), sorti en 1987. On trouve là, outre les caractéristiques d’une esthétique basée sur l’image, la couleur et la musique qui porte la même signature que « La Terre jaune », un propos critique fondé sur une symbolique complexe, au centre de laquelle est celle de la femme, que l’on va retrouver approfondi et démultiplié dans les films du début des années 1990.

 

4. Années 1990 : de la critique à l’apologie

 

Les films évoluent en effet dans le courant des années 1990, pour passer d’un regard critique sur la société rurale, prise comme emblème, à la défense des valeurs rurales.

 

Début des années 1990 : critique de la société traditionnelle

 

Le Sorgho rouge 1987

 

Qiu Ju 1992

 

C’est en effet la femme qui devient, dans le cinéma chinois du début des années 1990, l’élément clé des films ruraux. On la retrouve personnage principal, mais surtout figure allégorique, symbole récurrent d’oppression qui dépasse le simple domaine féminin pour couvrir l’ensemble de la société, soumise à l’oppression du pouvoir comme la femme est opprimée par les structures familiales et les mentalités traditionnelles.

 

C’est la caractéristique des grands films des années 1990 comme « Judou » (《菊豆》) et « Qiu Ju » (《秋菊打官司》) de Zhang Yimou, en 1990 et 1992, ou, dans un style différent, mais un propos semblable,  « Ermo » (二嫫) de Zhou Xiaowen (周晓文) en 1994 -Ermo et Qiu Ju pouvant être considérées comme de lointaines descendantes de Li Shuangshuang, tout aussi symbolique…

 

Fin des années 1990 : défense des valeurs rurales

 

Vers la fin de la décennie, cependant, au fur et à mesure de la croissance de l’économie et des bouleversements sociaux qu’elle entraîne, on voit apparaître un phénomène de retour vers les valeurs rurales, qui correspond aussi à un changement dans le cinéma chinois lui-même. Les réalisateurs de la cinquième génération adoptent une optique plus commerciale et grand public, et moins critique du pouvoir, laissant ce soin à la nouvelle génération celle née au lendemain de 1989, qui est, elle, une génération urbaine. La critique se déplace de la campagne à la ville.

 

Le glissement est net chez Zhang Yimou, qui réalise à la fin de la décennie deux films qui se répondent, en défense des valeurs rurales et des traditions ancestrales : « Pas un de moins » (《一个都不能少》) et « The Road Home » (《我的父亲母亲》), tous deux sortis en 1999.

 

Ermo 1994

 

5. Années 2000-2010 :Entre documentaire et fiction, de l’enfer au refuge.

 

Années 2000

 

On retrouve ensuite dans les films des années 2000 ce regard nostalgique sur la campagne et ses valeurs, et ce d’autant plus qu’elles sont en train de disparaître. Les formes de fiction n’excluent pas l’humour, voire la comédie.

 

The Old Donkey 2010

 

Le regard critiquen’a pas disparu ; il réapparaît sous forme documentaire, pour s’élever contre les injustices ou la pollution dont sont victimes les campagnes. Mais la fiction est aussi un moyen de documenter le monde rural, en le recréant souvent par le souvenir et l’imagination. C’est le cas, par exemple, des deux premiers films de Yang Jin (杨瑾) : « The Black and White Milk Cow » (《一只花奶牛》) en 2004 et « Er Dong » (《二冬》) en 2008.

 

La fiction est aussi un moyen de défendre les traditions contre la modernité qui vide les villages de ses jeunes, comme, en 2010, dans « The Old Donkey » (《老驴头》) de Li Ruijun (李睿珺), où le propos est d’autant plus frappant qu’il est illustré dans le cadre d’une région en voie de désertification.

 

Le film rural se fait ainsi de plus en plus le défenseur de la ruralité dans une approche locale et personnelle, chacun

revenant vers ses origines : Li Ruijun est le cinéaste du Gansu comme Yang Jin est celui du Shanxi, et l’on pourrait multiplier les exemples…. Ce mouvement passe en même temps par une réappropriation des dialectes locaux.

 

Années 2010

 

Dans les années 2010, on voit enfin apparaître des films qui font de la campagne le refuge idéal ou idéalisé en un temps où la ville devient enfer urbain, de plus en plus invivable. Les films ruraux se font en même temps porte-parole culturels, en incorporant la culture locale, et en particulier la musique.

 

Le cinéma rejoint là un mouvement de retour vers le monde rural soutenu par le pouvoir, comme le montre le discours sur les lettres et les arts du président Xi Jinping d’octobre 2014. De manière significative, dans le discours du président, le retour vers la ruralité est présenté comme une façon de revenir vers les valeurs fondamentales du socialisme et s’inscrit dans son programme de lutte contre la corruption. Ce discours peut se lire comme un désir de retour à la pureté

 

Renaissance de l’opéra local au Harvestival de Bishan

des origines, ancrées dans les racines rurales.

 

Mais le mouvement a commencé bien avant cette date, initié par des projets personnels, comme celui de Ou Ning (欧宁) à Bishan (碧山), dans l’Anhui. Selon Ou Ning, il y en aurait une centaine actuellement en Chine.

 

Documentairesur le mouvement “Down to the Countryside”

 

 

(étude en cours, à compléter)

 

A lire en complément

 

Le musée d’histoire du film rural chinois de Dali

 

 

[3] Revolutionary Cycles in Chinese Cinema, 1951-1979, Wang Zhuoyi, Palgrave Macmillan 2014, ch.2.

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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