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« Jalainur » de Zhao Ye : un poème aux image sidérantes

par Brigitte Duzan, 15 novembre 2008, révisé 13 septembre 2011

 

Jalainur n’a rien, a priori, de très poétique. C’est une immense mine de charbon à ciel ouvert, une mine d’Etat chinoise en Mongolie intérieure à la limite de la Russie. En général, ce sont les écolos qui en parlent, pour crier que c’est un scandale environnemental, une honte, autant de pollution, … tout cela pour nourrir en charbon bon marché la machine industrielle chinoise.

 

Bribes d’humanité dans un paysage dévasté

 

Mais « Jalainur » (《扎赉诺尔》), c’est aussi le second film de Zhao Ye (赵晔), et c’est l’anti-discours écolo de base. Zhao Ye filme cet endroit complètement dévasté par les pelleteuses, les trains à vapeur qui ressemblent à des pièces de musée et continuent à cracher leurs immenses volutes de fumée en évacuant le minerai extrait, tout cela, en plus, dans une nature ingrate, glacée une bonne partie de l’année, et il

 

Affiche du film « Jalainur »

en fait une sorte d’ode envoûtante aux gens qui y vivent, et à ceux qui n’y vivent plus.

 

Jalainur dans la réalité

 

Zhao Ye nous montre deux conducteurs de train, le vieux Zhu (朱老头) et son apprenti Xiao Li (小李). Le vieux Zhu a fait toute sa carrière là, dans cette atmosphère de fumée dense qui caractérise les trains à vapeur. C’est l’environnement type de l’ancienne entreprise socialiste chinoise, une sorte de survivance archaïque d’une industrie pré-capitaliste qui n’est pas morte parce que la Chine aujourd’hui a tellement besoin de charbon qu’elle est prête à aller en chercher au bout du monde. Et Jalainur est un tout petit peu plus près que le bout du monde.

 

Il y a une atmosphère fin de siècle dans tout cela, même si le jeune Xiao Li met toute son ardeur dans ce travail ingrat. En fait, on sent que c’est plus par amour du vieux Zhu que par amour du travail lui-même, ce vieux Zhu qui doit partir à la retraite et quitter la mine. Xiao Li a une telle dévotion envers son vieux maître que, lorsque celui-ci s’en va pour aller chez sa fille, il ne peut s’empêcher de le suivre. Il l’accompagne dans son périple jusqu’au village de Mohe, dans le Helongjiang, où sa

 

Jalainur dans la réalité

fille vient l’accueillir à la descente… du train. Et s’en revient alors, laissant le vieillard coupé du monde qui a été le sien si longtemps, et en gardant finalement un souvenir teint de nostalgie.

 

Images d’une sidérante beauté

 

Jalainur transcendé par la caméra

 

L’histoire est évidemment très belle, mais le plus beau, ce sont les images. Il y a un personnage dans le dernier film de Jean-Michel Ribes, « Musée haut, musée bas », qui s’exclame en visitant un musée qui pourrait être Orsay : « C’est vraiment incroyable, peindre cette ville pourrie d’Argenteuil et arriver en plus à ce qu’elle entre au musée, chapeau les Impressionnistes ! » On pourrait en dire autant ici et tirer un coup de chapeau au directeur de la photo. Il faut

comparer les photos habituelles de Jalainur et celles du film : la réalité apparemment sordide et inhumaine est transcendée par l’objectif de la caméra.

 

« Jalainur » est un poème visuel aux couleurs travaillées, tantôt diffuses, tantôt très vives, comme saturées pour atteindre une intensité qui donne à ces images une aura presque irréelle, à la limite du songe éveillé. L’histoire intime des deux personnages en devient beaucoup plus profonde et émouvante,

 

Dans la locomotive

c’est peut-être la grande différence avec « A l’ouest des rails » (《铁西区》) de Wang Bing (王兵), œuvre remarquable mais qui nous laissait simplement avec le constat amer d’un paysage industriel en ruines.

 

Le vieux maître et son jeune disciple au moment de la séparation

 

Zhao Ye va plus loin : il nous touche profondément parce que ce qu’il dépeint, ce n’est pas seulement un cadre de vie désolé, c’est une aventure humaine d’une très grande chaleur en dépit de ces conditions mêmes, comme si l’homme avait en lui la faculté de se créer un monde très riche envers et contre tout. On se sent sidéré par la beauté de ce

film qui réussit à faire un poème lyrique et un chef d’œuvre esthétique d’un site industriel à la limite du désastre environnemental, sidéré comme on était sidéré par la Méduse dans la légende, tellement fasciné qu’on en était transformé en pierre.

 

Sidéré comme ont dû l’être aussi, au festival de Pusan en 2008, les critiques qui lui ont accordé leur prix, le prix FIPRESCI. Point de départ d’un brillant parcours, bien mérité.

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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