“The Miracle
Fighters” : la comédie kungfu selon Yuen Woo-ping
par Brigitte Duzan, 18 novembre 2015
C’est en 1982 que
Yuen Woo-ping (袁和平)
a réalisé « The Miracle Fighters» (《奇门遁甲》).
Depuis 1977 et « The Iron-Fisted Monk » (《三德和尚与舂米六》)
réalisé par Sammo Hung (洪金宝),
la comédie s’était avérée le seul moyen de faire
évoluer le genre du kung-fu, figé dans des schémas
hérités de Bruce Lee.
Yuen Woo-ping fut le premier à obtenir un franc
succès dans cette hybridation comique du genre, avec
« Drunken Master » (《醉拳》)
en 1978.
Un scénario sans queue ni tête
« The
Miracle Fighters » s’inscrit dans le même mouvement,
mais poussé aux limites du burlesque et du nonsense.
Il ne faut surtout pas chercher une quelconque
logique à l’histoire
[1].
Elle se passe sous les Qing et commence par la mise
à mort, sur ordre de l’eunuque en chef, de l’épouse
d’un commandant de la garde mandchou qui avait le
gros défaut d’être han. Pour s’enfuir, le garde
kidnappe un fils de
The Miracle Fighters
l’empereur qui se trouvait jouer là, sur une balançoire
surréaliste. Il tue malencontreusement l’enfant dans sa
fuite, mais le remplace par un autre qu’il trouve au pied
d’un arbre – d’où son nom : Shugen (树根),
faux prince héritier de la plaque de jade du vrai.
Yuen Woo-ping (à
gauche) avec son frère
Yuen Shun-yee sur le
tournage du film en 1982
Une vingtaine d’années plus tard, l’enfant devenu
adulte s’occupe de son présumé père qui, toujours
inconsolable, s’enivre à longueur de journées, mais
l’a formé aux arts martiaux. Ils sont retrouvés par
un sbire du démoniaque magicien de la cour qui est à
la recherche du prince ; dans l’échauffourée qui
s’ensuit, le garde met en fuite son adversaire, mais
est blessé aux yeux. Shugen part en courant lui
chercher un remède.
Il tombe sur deux personnages loufoques qui vont
occuper avec lui le restant du film. Ce sont deux
magiciens âgés, un homme et une femme, qui passent
leur temps à se disputer et dont il devient
le disciple. Ils habitent de chaque côté d’une cour carrée,
leur territoire respectif étant délimité par une bande
detissu rouge tendue en travers.
Le reste du film est l’histoire des chamailleries
des deux sorciers, par ailleurs poursuivis par le
magicien de la cour qui cherche à assurer
l’hégémonie de son pouvoir, la dernière partie étant
un tournoi fantastique entre magiciens afin de
déterminer le meilleur. C’est Shugen qui gagnera, au
nom de la vieille sorcière apparemment décédée….
mais qui ressuscite à la fin… on a oublié le garde
entre temps.
Qimen (à droite) et
Dunjia(à gauche) dans l’une de leurs disputes
Un film mené par ses interprètes
Le fil narratif, pour décousu qu’il soit, n’est là que pour
mettre en scène des personnages typés, caricaturaux, et donc
d’autant plus propices, non à la narration, mais à des jeux
d’acteurs.
Or la plupart des acteurs sont les frères de Yuen Woo-ping,
c’est le clan quasiment au complet :
Yuen Cheung-yan
袁祥仁
Dunjia
遁甲
(la vieille sorcière)
Yuen Yat-chor
袁日初
Shugen
树根
(l’enfant de substitution, trouvé au pied d’un arbre)
Yuen Shun-yee
袁信义
le sorcier chauve-souris 蝙蝠法师
Eddie Ko Hung
高雄
le commandant de la garde Gao Xiong
高雄
Yuen Siu-tien
袁小田
le Maître
师父
Shungen
Les deux acteurs principaux sont ceux qui
interprètent les deux sorciers. Né en 1949, Leung
Kar Yan est connu pour sa physionomie bien
particulière qui lui a valu le surnom de Beardy.
Quant à la vieille sorcière, elle est interprétée
par le second frère de
Yuen Woo-ping ;
c’est un clin d’œil à l’opéra, bien sûr, mais revu
et corrigé par la comédie cantonaise, avec des
trouvailles burlesques, comme le fait qu’elle a les
pieds bandés – la caméra zoome plusieurs fois sur
ses brodequins brodés – logique, on est sous les
Qing, mais l’acteur a dû jouer le rôle sur la pointe
des pieds…
Quant au sorcier « chauve-souris », c’est un autre frère ;
c’est l’empire du mal personnifié, mais il a un faux-air de
Batman…
Un comique cantonais et un style opératique
Le film est surtout l’occasion de brillantes
séquences de pugilats, dont certaines tiennent de
l’acrobatie opératique et qui sont réglées avec un
soin et précision.
Le kungfu a donné lieu à diverses hybridations dans
le cinéma cantonais à l’époque. Sammo Hung, par
exemple, l’a même tiré vers le film d’horreur, avec,
en 1980, « Encounter of The Spooky Kind » (en
chinois « les fantômes tapent sur les fantômes »
Bryan Leung (en
premier plan) et Yuen Cheung-yan
(au milieu) dans des
mimiques caractéristiques
《鬼打鬼》).
Mais le comique tel qu’il est manié par
Yuen Woo-ping
remonte à des sources populaires qui
Le “visage peint”
mêlent théâtre de rue (et même un semblant de
commedia del’arte) et opéra chinois, avec des
personnages-types, tel ce malheureux enfermé dans sa
boîte par le magicien, avec sa tête de pierrot
rappelant le visage peint ou le chou (丑)
de l’opéra traditionnel. La fameuse séquence de la
compétition des magiciens, qui est le clou du film,
est introduite par une scène d’ouverture menée par
une délégation de démons-acrobates d’opéra, et
relève du genre « mise à l’épreuve du héros », avec
une inventivité fantastique.
Le film est parsemé de clins d’œil, dont le portrait
du père de Yuen Woo-ping, Yuen Siu-tien (袁小田),
placé en tête de l’autel, dans la cour de la maison
des deux magiciens, comme une sorte de dieu
tutélaire, ou de chef de clan, justement, facilement
reconnaissable dans son rôle emblématique de
mendiant Su (苏乞儿)
dans « Drunken Master » (《醉拳》).
C’est aussi un hommage : Yuen Siu-tien est mort en
1979.
L’image du père en
maître sur l’autel (à droite)
Le film est du pur divertissement, mais remarquablement bien
mené au niveau de la mise en scène et du jeu d’acteurs.
The Miracle Fighters 1982, sous-titres anglais
[1]
Le titre renvoie en fait à une vieille histoire qui
fait intervenir l‘ancienne divination par les
« bagua » (八卦),
avec un jeu très complexe sur les caractères, un
livre ésotérique dont certains pensent même qu’il
s’agit d’un manuel d’art martial. Il y a donc un
clin d’œil dès le titre du film.