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« Taking Father Home » : premier film de Ying Liang, affirmation d’un style original

par Brigitte Duzan, 22 janvier 2013 

 

C’est après onze courts métrages réalisés au cours de ses études que, pendant l’été 2004, Ying Liang (应亮) a tourné ce premier long métrage, « Taking Father Home » (《背鸭子的男孩》), avec lequel il a tout de suite affirmé un style très personnel : une satire sociale, plus que politique, où la poésie affleure sous la brutalité du quotidien et où le son a un rôle aussi important que l’image.

 

A la recherche du père

 

Le jeune Xu Yun (徐云), 17 ans, décide de partir à la recherche de son père, qui les a quittés, sa mère et lui, depuis six ans pour partir en ville et tenter d’y faire fortune. Le jeune garçon annonce sa décision à sa mère, l’air borné comme tout adolescent en crise, et part avec pour tout viatique deux canards dans un panier sur le dos, d’où le titre, et comme seule piste une vague adresse d’hôtel, adresse vague mais prometteuse : l’auberge du bonheur (幸福宾馆), dans la rue du même nom.

 

Taking Father Home, l’affiche chinoise

 

La ville, cependant, est hostile au campagnard qui débarque, violente et dangereuse. La seule personne qui se prend d’un semblant de sympathie pour lui est un personnage douteux que tout le monde semble fuir ou détester, mais qui réussit à lui trouver une chambre, d’où il est aussitôt délogé par la police : il n’a pas de papiers.

 

Xu Yun et le policier

 

Le policier tente alors de le mettre dans le prochain autobus qui part pour son village, mais finit pas l’aider dans ses recherches, ce qui nous fait parcourir une ville où les hauts parleurs publics mettent la population en garde devant l’imminence d’une inondation, dont le danger se précise peu à peu jusqu’à justifier le déplacement forcé de la population.

 

Pendant ce temps, Xu Yun a retrouvé par hasard les traces de son père, qui s’avère être un petit promoteur immobilier en

faillite, pourchassé par ses débiteurs et remarié. Le film s’achève sur un dénouement bien mené au bout duquel revient dans son village un Xu Yun pacifié, mais endurci et débarrassé d’une figure paternelle obsédante : prêt à vivre…

 

Un style très personnel fondé sur la dualité d’expression

 

Ying Liang a tourné son film avec très peu de moyens : une caméra numérique prêtée et un budget de 30 000 yuans (environ 3 600 €). Il est allé tourner dans la ville d’où est originaire sa femme : Zigong (自贡), dans le Sichuan ; la famille et les amis ont apporté leur concours, ce sont eux les acteurs, donc non professionnels, et parlant leur langue, le dialecte local.

 

Le film acquiert ainsi une note réaliste qui tient du documentaire, mais le style ne

 

Xu Yun et ses deux canards devant la carte de Zigong

l’est pas. En fait, le style adopté est basé sur une dualité d’expression très subtile qui nimbe la satire sociale d’une aura ambivalente comme la ville entière est nimbée d’une brume persistante.

 

Regard croisé campagne/ville

 

La dualité tient d’abord à l’ambivalence du regard posé sur la ville qui appelle en retour celui de la ville sur la campagne : regard croisé qui reflète les incompréhensions et appréhensions réciproques. Ce regard croisé campagne/ville est une constante du cinéma chinois depuis les années 1920, que l’on retrouve ici dans son aspect contemporain : la ville découverte comme enfer urbain par le campagnard qui y débarque avec une image initialement idyllique en tête, et, en retour, la campagne considérée comme lieu de retard économique et surtout mental par les urbains. 

 

Cette première dualité est sous-tendue par d’autres dualités à divers niveaux stylistiques.

 

Dualité de l’image

 

Xu Yun et le policier devant un magasin

regardant les informations à la télévision

 

« Taking Father Home » reflète la sensibilité d’un cinéaste qui a fait des études de peinture. L’affiche chinoise du film traduit cette approche de l’image : il s’agit d’un tableau de paysage traité à la manière d’un shanshui, avec une rivière au pied de montagnes, au bord de laquelle se tient un minuscule personnage que l’on reconnaît comme étant Xu Yun avec ses canards sur le dos. En haut à gauche est le titre, traité, comme dans une peinture traditionnelle, à la façon d’un poème.

 

Mais l’image dans le film est traitée de façon duale : plate et éteinte dans les scènes de rue,

où la violence qui éclate est accompagnée de valses de phares et de lumières brutales ; doucement colorée, voire lumineuse, dans les séquences au bord de la rivière, d’une tonalité pacifiée, qui évoquent un poème.

 

Dualité son/image

 

Mais l’image à l’écran est doublée d’une image hors champ qui est suggérée par le son, et en particulier par les voix retransmises par les hauts parleurs publics qui transmettent les nouvelles officielles, celles d’une crue de la rivière, et d’un risque imminent d’inondation qui va finalement se matérialiser et obliger à évacuer les habitants. Beaucoup de scènes se passent hors champ, comme si ce que l’image pouvait montrer est mince en comparaison de ce qui reste caché, mais que l’on perçoit par le bruit qui en émane.

 

Dualité des dialogues

 

La dualité se poursuit jusque dans les dialogues et les propos retransmis : dialogues en dialecte, peu articulés, entre les personnages, qui renforcent un sentiment de pénible incommunicabilité entre eux traduisant une solitude profonde d’individus aux familles éclatées ; et par ailleurs, propos officiels en mandarin, clairs et bien articulés, qui font planer sur ces individus un danger immanent, hors de leur contrôle.

 

Lignes symboliques multiples

 

Ying Liang joue bien évidemment sur les symboles, mais il le fait de façon subtile, sans charger le trait.

 

Quête initiatique

 

Le thème premier du film est la quête du père par un adolescent qui refuse d’accepter plus longtemps son abandon. C’est un thème courant en Chine, en littérature comme au cinéma (1). Il se traduit souvent, comme ici, par un voyage initiatique qui aboutit in fine à la perte des illusions enfantines et le passage à l’âge adulte, après de multiples péripéties qui sont autant d’épreuves.

 

Cette quête est ici d’autant plus emblématique qu’elle débute explicitement

 

L’émergence du passé religieux

par la recherche du bonheur : c’est le nom de l’auberge, et le nom de la rue où elle se situe. Mais le bonheur est illusoire : la rue a été rasée, et l’auberge avec, pour faire place à un projet immobilier.

 

Quant au père, sa qualité est tout aussi illusoire : c’est un laissé pour compte de la croissance, un des nombreux individus qui n’y ont gagné que des dettes et tentent de se rattraper en tombant dans la marginalité, au bord de la délinquance, avec tous les dangers qui y sont liés.

 

La quête ne peut être initiatique que par l’élimination du symbole déchu qui bloquait la voie à l’émancipation personnelle.

 

Instabilité et insécurité chroniques

 

Moment pacifié : l’eau avant la crue

 

Le film est placé sous le signe d’une catastrophe annoncée, symbole d’une croissance rapide mais chaotique qui entraîne des risques environnementaux incontrôlés. Sous la surface d’un discours officiel qui se veut rassurant pour la population affleure la réalité d’un pouvoir qui ne contrôle rien, et ne peut in extremis que déplacer les populations menacées (2).

 

Mais c’est tout le monde qui est en fait sous le coup d’une expulsion ou d’une évacuation : soit pour des raisons de

développement urbain, quand des quartiers entiers sont détruits pour permettre la construction d’immeubles neufs, ou de zones industrielles dans les villages comme celui de Xu Yun. C’est une croissance à toute vitesse, aveugle, qui ne prend en compte ni le coût humain ni le coût environnemental. L’impression générale qui en résulte est celle d’une insécurité latente qui peut se concrétiser à tout instant, par décision humaine ou catastrophe naturelle.

 

Le film est d’un réalisme sans concession, racheté par une fin pacifiée, une fois la crise résolue. Mais ce sentiment de paix retrouvée reste malgré tout illusoire, c’est ce que soulignent les dernières séquences : il y a toujours des pickpockets dans les bus, et le discours rassurant énonçant les avancées réalisées lors du 16ème Congrès rappelle l’autre discours lénifiant au début du film, dans le même bus, annonçant que les autorités avaient pris toutes les mesures pour empêcher des inondations de se reproduire, comme dans le passé….

 

Et après…

 

Sorti en 2005, « Taking Father Home » a récolté au total 26 prix dans le monde, à commencer par le festival FILMEX de Tokyo.

Interrogé sur son film, il a souligné qu’il était l’expression d’une expérience personnelle : quand il était enfant, il a été séparé de son père pendant trois ans (3). C’est donc une sorte d’opération cathartique qui donne toute l’intensité dramatique que l’on ressent en regardant le film.

Ying Liang s’est cependant quelque peu éloigné de ce foisonnement créatif et de cette recherche stylistique dans ses films suivants ; la critique sociopolitique apparaît, de film en film, comme l’élément de plus en plus prédominant dans son œuvre, pour culminer dans le film de 2012 « When Night Falls », qui est une dénonciation frontale des institutions judiciaires chinoises.

 

 

Bande annonce

 

 

Notes

(1) Parmi les références littéraires, on peut citer la première nouvelle de Yu Hua (余华), publiée en 1986, « Parti à 18 ans loin de chez moi » (《十八岁出门远行》), qui traduit le même processus de prise de conscience de la réalité d’un monde chaotique ; mais, dans la nouvelle de Yu Hua, le départ de l’adolescent est suscité par le père lui-même qui incite son fils à sortir du cocon familial pour découvrir le monde.

La nouvelle :

www.chinese-shortstories.com/Nouvelles_de_a_z_YuHua_Parti_a_dix-huit_ans_loin_de_chez_moi.htm

(2) Le thème de la menace d’inondation serait à rapprocher de celui de l’eau, omniprésent dans le cinéma de Tsai Ming-liang (蔡明亮).

(3) 我童年有3年与爸爸分离,所以第一部片最想讲这个故事。(dans mon enfance, j’ai été séparé de mon père pendant trois ans, c’est pourquoi j’ai voulu raconter cette histoire dans mon premier film)
Il a ajouté qu’un film n’est pas forcément pour lui un témoignage sur l’histoire, mais l’expression de ses sentiments personnels (不清楚片子算不算历史见证,拍摄的目的是自我表达。)
Interview par mail, réalisée par Ly Van Thuan.
 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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