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« Spring Tide » : vision d’un monde au féminin, aussi souple et résilient que l’eau

par Brigitte Duzan, 22 janvier 2020

 

« Spring Tide » (Chunchao《春潮》) est le deuxième volet d’une « trilogie des femmes » de Yang Lina (杨荔钠), après « Longing for the Rain » (Chunmeng《春梦》) sorti en 2013. Le film était en compétition pour le Golden Goblet au Festival international de cinéma de Shanghai en juin 2019 et y a obtenu le prix de la meilleure photographie.

 

Chunmeng, ou « Rêve de printemps », était le premier film de fiction de Yang Lina, mais il gardait quelques traces du documentaire social de ses débuts bien qu’étant un mélodrame érotique, une histoire de fantôme, ou plutôt un rêve de fantôme par une femme vivant en songe ses angoisses et ses aspirations. C’est en un sens une version moderne du « rêve dans le jardin » du « Pavillon aux pivoines » [1] ; on sent aussi l’inspiration plus ou moins inconsciente des histoires de fantômes de la littérature classique chinoise.

 

Spring Tide (affiche inspirée de Modigliani)

 

Avec Chunchao, ou « Spring Tide », Yang Lina est revenue vers le réalisme qui lui est plus habituel. Si l’onirisme n’est pas absent du film, il se limite à quelques images fugaces qui tiennent du rêve éveillé. Le film est bien ancré dans le réel, mais il n’est pas pour autant entièrement linéaire. Le passé de chaque personnage surgit parfois au hasard du souvenir, pour venir éclairer le présent.

  

Trois femmes sous un même toit : crise larvée

 

L’équipe au festival de Shanghai

(à droite Yang Lina, à gauche les producteurs)

 

Ce ne sont plus trois, voire cinq familles qui vivent sous le même toit, comme le voulait la tradition, mais trois femmes, de trois générations différentes, qui se trouvent amenées à cohabiter. Guo Jianbo (郭建波) vit avec sa fille Guo Wanting (郭婉婷) chez sa mère Ji Minglan (纪明岚) pour économiser le prix d’un loyer. Elle est journaliste, spécialisée dans les affaires sociales, souvent sordides, ce qui n’est pas fait pour lui adoucir le caractère ou égayer son quotidien. La

cohabitation est difficile, la mère utilisant l’enfant comme arme dans ses relations tendues avec sa fille. 

 

A l’extérieur, la mère est gaie et sociable ; elle dirige une chorale qui se réunit chez elle pour chanter des « chansons rouges » en souvenir des bons moments de leur jeunesse. Ji Minglan est veuve, mais elle a un « fiancé » qui joue de l’accordéon et met de l’huile dans les rouages entre mère et fille. La peinture est d’un parfait réalisme.

 

Cependant, si elle est vive et sympathique pour l’extérieur, elle est un véritable dragon dans le cadre familial, sauf pour la petite Wanting qu’elle gâte et cajole. Yang Lina distille peu à peu des détails sur le passé de chacune, d’abord de la bouche de la mère. Si la petite Wanting n’a « pas de père », c’est, semble-t-il, une répétition de ce que la mère a vécu ; elle s’est mariée pour éviter l’opprobre d’être fille-mère, et elle a vécu l’enfer avec son mari, comme elle l’explique à son « fiancé ».

 

Mère et fille 1 (Hao Lei/Jin Yan-ling)

 

Guo Jianbo, elle, garde un bon souvenir de son père. Les visions sont inconciliables. Seule la petite Wanting semble à même de renverser ce destin apparemment inéluctable [2]. La scène finale semble lui promettre un avenir autre, sinon radieux.

 

Un film sous le signe de l’eau

 

Mère et fille 2 (Hao Lei/ Qu Junxi)

 

Le film n’est pas structuré comme « Jasmine Women » (《茉莉花开》), en trois parties équilibrées délimitant un parcours linéaire et progressif, avec passage de relais de mère à fille. La structure de « Spring Tide » est en fait basée sur le conflit latent né de l’opposition entre les caractères et du passé commun des personnages. Ce sont les heurts qui suscitent la parole, et qui font avancer notre compréhension. Sinon, Guo Jianbo est quasiment mutique pour éviter de déclencher la crise avec sa mère.

 

Or, l’idée fondamentale à la base du scénario de Yang Lina est inscrite sur les affiches :

您和母亲的关系,决定您和世界的关系

Tes relations avec ta mère déterminent ta relation au monde.

 

Les rapports avec la mère sont la clé de la vie de sa fille dans ses rapports à autrui. Mais les rapports avec la mère découlent d’un passé pesant, immuable et d’autant plus lourd qu’il est inexprimé. Il surgit soudain dans deux longs monologues, comme dans un huis-clos théâtral : confidence de la mère à son ami dévoué, long monologue de la fille à l’hôpital alors que la mère est inconsciente ; le non-dit est dit sans provoquer de crise car il tombe dans une oreille sourde.

 

La petite fille est d’une étonnante résilience dans ce climat tendu. Elle est même gaie et enjouée, comme si les problèmes des adultes ne la touchaient pas ; l’absence de père qui lui est annoncée, ou le désir initial de sa mère d’avorter, ne la fait pleurer qu’un instant. Elle est solide. C’est sur elle que repose l’avenir. Et cet avenir est aussi fluide et consistant que l’eau qui coule, dans la dernière scène : filet d’eau qui s’infiltre dans les moindres fissures du terrain, et progresse triomphalement vers le fleuve et la mer.

 

Vie à trois

 

Symbole ambigu, que l’eau, dans le film : source d’inondations répétées au début, qu’il faut éponger, colmater, eau insidieuse qui se fraye son chemin en tâtonnant, mais finalement entraîne sans coup férir les enfants qui y pataugent et s’en jouent vers des lendemains de liberté. C’est le sens de la « vague printanière » du titre. L’eau est le symbole féminin – yin – par excellence : souple et résistante à la fois. Yang Lina semble conclure sur une vision d’un univers féminin triomphant, une fois le passé exorcisé, un univers où les femmes tirent leur force de la solution du conflit avec la mère et où les hommes n’existent qu’en marge.

 

Un film techniquement très réussi

 

Yang Lina / Hao Lei

 

S’il pèche par quelques longueurs, « Spring Tide » est construit selon une structure aussi souple que l’eau qui en est la symbolique principale. Ce n’est qu’a posteriori que l’on perçoit la logique qui conduit à la scène finale, amenée par quelques indices préalables.

 

L’interprétation des actrices fait sentir la tension qui règne entre les personnages, bien souvent sans paroles. A ce titre, le rôle de l’enfant est primordial, comme tampon entre la mère et sa fille, et la jeune actrice est remarquable de vivacité et de maturité. Les deux interprètes principales sont des actrices chevronnées : dans le rôle de Guo Jianbo, Hao Lei (郝蕾) a été découverte dans le « Summer Palace » (颐和园) de Lou Ye (娄烨), et, dans le rôle de sa mère, Jin Yan-ling (金燕玲) est une actrice taïwanaise très connue qui a joué dans les films d’Edward Yang (杨德昌), de Stanley Kwan (关锦鹏) et de Li Yu (李玉).

 

Les interprètes et leurs rôles :

Hao Lei 郝蕾              dans le rôle de Guo Jianbo 郭建波

Jin Yan-ling 金燕玲                          Ji Minglan 纪明岚, sa mère

Qu Junxi 曲隽希                              Guo Wanting 郭婉婷, sa fille

Li Wenbo 李文波                             l’ami de Ji Minglan

Huang Shang-ho 黄尚禾                   l’ami de Guo Jianbo

 

La photographie, de l’Américain Jake Pollock, a été primée au festival de Shanghai en juin 1919, et le reste de l’équipe est celle des films de Hou Hiao-hsien et Jia Zhangke. Que ce soit le montage, le son ou la musique, tout est soigné.

 

On attend maintenant le troisième volet de la trilogie.

 

Trailer

 


 


[2] Les trois personnages féminins de Yang Lina font penser aux « Jasmine Women » (《茉莉花开》) de Hou Yong (侯咏), avec un léger décalage dans le temps.

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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