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« Red Cliff » : un John Woo époustouflant

par Brigitte Duzan, 25/27 mars 2009, révisé 16 avril 2012

 

Gigantesque fresque historique mettant en scène un événement majeur et quasi mythique de l’histoire chinoise, « Red Cliff » (《赤壁》) a été conçu comme une sorte de symbole national prenant tout son sens dans le contexte très spécifique des Jeux olympiques de Pékin, la première partie étant sortie en Chine en juillet 2008.

 

La version destinée aux écrans asiatiques est en deux parties qui font au total 280 minutes, soit près de cinq heures. Mais, la première partie comportant des séquences d’explication et  de présentation des personnages qui ont été critiquées parce qu’elles ralentissent l’action, la version sortie en Occident ne fait plus que 100 minutes, ce qui signifie un film beaucoup plus rapide, centré sur les séquences d’action.

 

Contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre français (« Les trois royaumes »), il ne s’agit pas d’un film sur « les trois royaumes », mais, comme l’indique le titre chinois, tout

 

Red Cliff, le film

comme le titre anglais, sur une bataille très célèbre qui a marqué la fin de la dynastie des Han et qui n’est qu’une partie du célèbre classique dit « des trois royaumes ». Il faut bien comprendre d’abord le contexte historique et les forces en présence pour pouvoir ensuite décoder le film.

 

I. Le contexte historique

 

Nous sommes à la toute fin de la dynastie des Han, sous le règne du dernier souverain de la dynastie, l’empereur Xian (汉献帝), troisième fils de l’empereur Ling (汉灵帝).

 

La fin de la dynastie des Han

 

En 184, sous le règne de l’empereur Ling, a éclaté la révolte des Turbans jaunes. Dans les années qui suivent, l’empire est exsangue, aux mains de divers seigneurs de guerre qui tentent d’étendre le territoire qu’ils contrôlent. En 189, l’un d’eux, du nom de Dong Zhuo (董卓), écarte du trône le successeur légitime pour y placer son frère, qui devient l’empereur Xian, mais n’est plus désormais qu’une marionnette que tout le monde cherche à contrôler pour légitimer son propre pouvoir.

 

L’empereur Xian des Han

 

Cao Cao

 

Dong Zhuo est assassiné en 192 et l’empereur Xian finit, en 196, par tomber sous la coupe du seigneur de guerre le plus puissant du nord du pays, le redoutable Cao Cao (曹操), qui n’a plus, dès lors, qu’une idée en tête : réunifier et pacifier l’ensemble du pays sous sa tutelle. Mais il doit pour cela reconquérir la partie sud de l’empire, où il doit affronter deux factions rivales très puissantes : celle de Sun Quan (孙权) et celle de Liu Bei (刘备).

 

Toute la partie sud-est de l’empire est contrôlée par la famille Sun dont le dernier descendant, Sun Quan (孙权), succède en 200 à son frère Sun Ce (孙策), assassiné par une bande rivale dont il avait tué le chef peu de temps auparavant. Sun Quan n’a que dix-huit ans, mais, entouré des conseillers de son frère, il va se révéler très vite un redoutable adversaire.

 

Quant au sud-ouest, ce qui correspond en gros à ce qui est aujourd’hui le Sichuan, autour de Chengdu, il est plus ou moins contrôlé par le gouverneur local, Liu Biao (刘表), qui a donné refuge à un autre chef de guerre qui s’est enfui du nord après avoir tenté d’assassiner Cao Cao,  Liu Bei, (刘备), ce Liu Bei étant un (lointain) descendant de la famille impériale dont il revendique l’héritage.

 

Face aux visées hégémoniques de Cao Cao, tout ce petit monde va se serrer les coudes pour empêcher l’impétrant de conquérir le sud.

 

Les visées hégémoniques de Cao Cao

 

En 207, Cao Cao a réunifié le nord de l’empire et fini d’en sécuriser la frontière nord après une campagne victorieuse contre  les tribus Wuhuan (乌桓) qui s’étaient alliées à un

 

Liu Bei par le peintre Yan Liben

autre chef de guerre. Au retour, il est nommé chancelier impérial : il est tout puissant. Il peut dès lors se tourner contre le sud : il commence la campagne à l’automne 208, direction le bassin moyen du Yangtse, dont la base navale stratégique de Jiangling (江陵), contrôlée par Liu Biao, était la clé de l’accès au sud.

 

Cette première étape de la campagne est un succès. Le clan de Liu Biao, malade, a été affaibli par une lutte entre ses deux fils pour sa succession. A sa mort, c’est son plus jeune fils qui lui succède et, paniqué, se rend tout de suite. Jiangling tombe aux mains de Cao Cao avec une flotte importante et tout un dépôt de munitions. 

 

Sun Quan par Yan Liben

 

Cependant, Liu Bei réussit à s’enfuir, avec une horde de civils et de soldats poursuivis par la cavalerie d’élite de Cao Cao qui en décime les rangs. Liu Bei parvient à rejoindre les avant-postes de Sun Quan, bientôt rejoint par le fils aîné de Liu Biao qui lui amène quelques renforts. Le principal conseiller de Liu Bei, Zhuge Liang (诸葛亮), est alors envoyé auprès de Sun Quan pour former une alliance contre Cao Cao.

 

Quand Zhuge Liang arrive, cependant, Sun Quan vient de recevoir une lettre de Cao Cao, se vantant de commander quelque 800 000 hommes, et demandant la reddition sans condition. C’est le commandant en chef de Sun Quan, Zhou Yu (周瑜), qui trouve les arguments en faveur du combat et de l’alliance : d’abord, Cao Cao avait certainement surévalué ses effectifs, ensuite il y avait dans leurs rangs des troupes

récemment récupérées de l’armée de Liu Biao dont la loyauté n’était pas assurée, et en outre, tous ces soldats étaient des gens du nord qui allaient tomber malade dans le climat du sud auquel ils n’étaient pas habitués, surtout qu’ils allaient être épuisés par la marche forcée qui leur avait été imposée.

 

C’est ainsi qu’eut lieu la bataille de la Falaise rouge qui a donné son titre au film et en est le sujet principal : 《赤壁之战》Chìbì zhī zhàn.

 

La bataille dite « de la Falaise rouge »

 

Il y eut en fait trois batailles successives pour venir à bout de Cao Cao, mais c’est la première qui est la plus célèbre.

 

Trois batailles en une

 

Cette première bataille, la bataille navale de Wulin (乌林, dans ce qui est aujourd’hui le Hubei, sur la rive nord du Yangtse), est sans aucun doute la plus spectaculaire. La victoire des alliés fut due à l’astuce de l’un des commandants de Sun Quan, Huang Gai (黄盖). Les soldats de Cao Cao, comme l’avait bien prévu Zhou Yu, étaient épuisés par la marche et la maladie, mais, en plus, affaiblis par le mal de mer, n’ayant auparavant jamais mis les pieds sur un bateau : Cao Cao avait donc attaché ses bateaux les uns aux autres pour diminuer le roulis. Ce que voyant, Huang Gai fit préparer des « bateaux-torches » remplis de combustible qu’il enflamma et fit dériver, poussés par le vent, vers la flotte de Cao Cao. Le feu se propageant facilement d’un

 

Zhuge Liang

bateau à l’autre, la flotte fut détruite, avec nombre d’hommes et de chevaux, brûlés ou noyés.

 

La retraite fut tout aussi désastreuse, en particulier à travers des marécages, au nord du lac Dongting, qui avaient été gorgés d’eau par de fortes pluies : les troupes, décimées par la famine et la maladie, furent une proie facile pour les soldats envoyés à leur trousse par les deux alliés. Cao Cao finit par se replier plus au nord en laissant la base de Jiangling à la garde d’un de ses jeunes cousins, Cao Ren (曹仁).

 

Il restait donc à prendre Jiangling. Mais la base était trop bien défendue pour pouvoir être prise directement. Il fut donc décidé de prendre d’abord la ville de Yiling (夷陵之战), au nord-ouest de Jiangling, la chute de celle-ci signifiant la  rupture des lignes de ravitaillement de la base navale.  Ce fut la bataille de Yiling ((夷陵之战), avant la bataille finale de Jiangling (江陵之战) : au bout d’un siège de près d’un an, Cao Ren fut obligé de se rendre faute de ravitaillement, fin 209.

 

Une bataille aux conséquences déterminantes

 

La bataille de la Falaise rouge eut pour effet de rééquilibrer les forces rivales et de les rendre désormais incapables de prétendre étendre leur territoire, encore moins viser à une quelconque hégémonie. Cao Cao était relégué dans le nord. Sun Quan avait subi de lourdes pertes au cours des longs affrontements qui suivirent la bataille de Wulin ; en outre, il perdit en 210 son stratège de génie et ami, Zhou Yu, ce qui l’affaiblit considérablement. Quant à Liu Bei, au contraire, il occupa la province de Jing (en gros le Sichuan) que Cao Cao venait de perdre, ce qui lui donnait, avec le contrôle en amont du Yangtse, un avantage stratégique considérable.

 

Il en résulta donc un équilibre des puissances débouchant sur les « trois royaumes » qui, en 220, se répartirent les terres de l’empire après la chute définitive de la dynastie des Han, lorsque le deuxième fils et successeur de Cao Cao, Cao Pi ((曹丕), finit par renverser l’empereur Xian. Ces trois Etats sont généralement connus comme Wèi (), Shǔ () et Wú (), mais on a tendance, pour les désigner, à rajouter un caractère pour les distinguer d’autres Etats du même nom dans l’histoire ancienne chinoise :

-    Cáo Wèi (曹魏), domaine, donc, de Cao Pi, avec pour capitale Luoyang. Le « royaume » sera finalement renversé et assimilé en 265 par la dynastie des Jin (晋朝), fondée par le clan Sīmǎ (司马).

-    Shǔ Hàn (蜀汉), territoire de Liu Bei qui s’y déclara empereur en 221 après la proclamation similaire de Cao Pi à Wei. Mais Liu Bei ne prétendit jamais être le fondateur d’une nouvelle dynastie, il se réclamait simplement de l’héritage « familial ».

-    Dóng Wú (东吴), contrôlé par Sun Quan qui s’y déclara à son tour empereur en 229.

 

 

Carte des trois royaumes

 

 

L’équilibre fut maintenu jusqu’à ce que la dynastie des Jin le fasse voler en éclats, le dernier « royaume » à disparaître étant celui de Wu, en 280.

 

II.  « Les trois royaumes » : l’histoire détournée par la fiction

 

L’histoire de la bataille de la Falaise rouge, avec la description des combats, apparaît dans divers recueils historiques, mais le récit le plus détaillé se trouve dans la « Chronique des trois royaumes » (《三国志》 Sānguó zhì), écrite au troisième siècle, sous la dynastie des Jin. Couvrant la période 189-280, c’est l’un des quatre grands recueils historiques, avec le Shiji de Sima Qian, le Livre des Han et le Livre des Han postérieurs, qui figurent dans les « 24 Histoires officielles ».

 

Le roman, reflet de l’idéologie Ming

 

Le roman des trois royaumes

 

Cependant, une version romancée de cette histoire a été reprise dans le « Roman des trois royaumes » (《三国演义》Sānguó yǎnyì), de Luo Guanzhong (罗贯中). Ecrit, lui, au quatorzième siècle, c’est l’un des quatre grands romans classiques de la littérature chinoise (四大名著 sì dà míng zhù). Il repose sur la chronique historique, mais surtout sur des récits populaires et des légendes nées de l’histoire incorporant une bonne dose de fantastique et de surnaturel, le tout transmis oralement.

 

Recevant sa forme quasiment définitive sous les Ming, à un moment où se développait la littérature populaire, le roman répond aux normes politiques de l’époque. Les Ming, en effet, avaient au départ un gros problème de légitimité. Le fondateur, Zhu Yuanzhang (朱元璋), était, dans les dernières années de la dynastie des Yuan, un orphelin qui était entré dans un monastère bouddhiste pour éviter la famine et avait

ensuite rejoint les rangs des rebelles du mouvement des Turbans rouges. Une fois arrivé sur le trône impérial, il lui fallait faire oublier ses origines de chef rebelle issu de la paysannerie et, pour cela, se rattacher à la lignée glorieuse des empereurs légitimes de l’histoire officielle : les Han.

 

Dans le « Roman des trois royaumes », c’est donc Liu Bei et son royaume de Shu (Han) qui est glorifié, alors que les deux autres protagonistes, Cao Cao et Sun Quan, sont dénigrés, contrairement à la chronique, écrite sous les Jin, qui considéraient l’Etat de (Cao) Wei, dont ils étaient issus, comme les successeurs légitimes des Han. De manière caractéristique, par exemple, l’empereur Wanli des Ming (万历), à la fin du 16ème siècle, alla jusqu’à diviniser Guan Yu (关羽), sous le titre de « Seigneur Guan » (关帝) : Guan Yu n’était-il pas devenu le fidèle conseiller et stratège de Liu Bei, après avoir d’abord combattu pour Cao Cao ?

 

De la même manière, les exploits et les mérites de Zhuge Liang (诸葛亮), l’autre fidèle second de Liu Bei, sont glorifiés pour le faire apparaître comme un stratège hors pair et doté de pouvoirs quasi surnaturels, capables de susciter des vents favorables à la flotte, alors que les conseillers et généraux de Sun Quan, Lu Su et Zhou Yu, sont dénigrés, le dernier en particulier, décrit comme cynique et cruel, alors que, d’après la chronique, c’est son idée de génie qui a permis aux deux alliés de vaincre Cao Cao à Wuling (voir ci-dessus).

 

L’histoire romancée

« Le roman des trois royaumes » est une œuvre populaire qui comporte aussi son lot d’historiettes impliquant des personnages féminins dont certains ont été repris dans le film de John Woo qui avait besoin de son quota d’actrices glamour pour attirer le grand public et assurer le succès du box office.

La plus notable de ces histoires est celle des « deux Qiao », deux sœurs connues sous leurs simples pseudonymes de 大乔 et 小乔 (la grande et la petite Qiao). Filles d’un éminent mandarin selon la chronique, elles épousèrent Sun Ce (孙策) et Zhou Yu (周瑜) ; le premier, frère de Sun Quan qui lui succéda, avait été élevé avec le second qui devint le stratège émérite de la famille. Dans le roman, les deux sœurs, par les intrigues qu’elles suscitent, sont la cause indirecte de la bataille de la Falaise rouge. Le personnage de Xiao Qiao (小乔) est repris dans le film de John Woo, et interprété par la star et top modèle taiwanaise Lin Chi Ling (林志玲)

 

Le film suit le roman plutôt que l’histoire officielle, en rajoutant même sa propre dose de fiction.

 

III. « Red Cliff » : l’histoire romancée réinventée par John Woo

 

John Woo (吴宇森) a conçu son film après toute une vie passée à tourner des films d’action, mais aussi quelques comédies. Après  une bonne quinzaine d’années au Etats-Unis, il rentre en Chine filmer un épisode clef de l’histoire impériale chinoise, au moment symbolique des Jeux olympiques de Pékin. Avec « Red Cliff », John Woo revisite l’histoire avec un brin d’humour, mais le propos est très sérieux : c’est un livre d’images, tissé de légende, offert au peuple chinois. C’est aussi le reflet de l’univers du réalisateur.

 

Sun Quan

 

Mais le film initial durait près de cinq heures. C’est la version réservée au public asiatique. Dans celle réservée aux Occidentaux, le film a été coupé et remonté pour le faire passer à deux heures et demie ; on se retrouvait avec quelques brèves séquences introductives mal reliées entre elles et difficilement compréhensibles pour le spectateur moyen qui n’a pas forcément une connaissance précise de l’histoire. Cette introduction a donc été aménagée comme une série de vignettes colorées où chaque personnage, lorsqu’il apparaît pour la première fois à l’écran, est accompagné de son nom et de son titre, ou de son rôle dans l’histoire (1).

 

Un film plein d’humour

 

Malgré ce procédé assez maladroit, les personnages finissent malgré tout par acquérir une certaine consistance, et,

 

Cao Cao

lorsqu’on arrive au cœur du sujet, c’est-à-dire l’alliance des « sudistes » contre Cao Cao, l’affaire est

 

Liu Bei

 

jouée : on est captivé, et John Woo nous mène dès lors avec brio dans ce qu’il a traité comme une guerre de stratèges, une guerre psychologique en quelque sorte, où chacun fait assaut de finesse. Car sa guerre est celle de Sun Zi, c’est l’art d’observer l’adversaire, de connaître ses forces autant que les siennes et le terrain, pour en déduire la meilleure stratégie à adopter. Le film est une réflexion sur « L’art de la guerre » et en est l’application directe.

 

C’est un film, en outre, plein d’humour, où l’on se prend à rire par moments de la bonne humeur affichée par tous ces généraux qui se comportent comme si la guerre était un jeu. Le premier exemple est la mise en scène d’une anecdote tirée du roman, Elle intervient avant la bataille de la Falaise rouge, lorsque Zhuge Liang arrive au camp de Wu pour assister le stratège local Zhou Yu dans les opérations militaires : Zhou Yu, jaloux du talent de celui qu’il considère (dans le roman) comme un dangereux rival, lui assigne la tâche a priori impossible de fabriquer 100 000 flèches en dix jours, sur quoi Zhuge Liang lui répond qu’il n’en a besoin que de trois. Il fait alors préparer une vingtaine de bateaux chargés de soldats de paille qu’il envoie dans la brume du petit jour vers la flotte ennemie en simulant une attaque. Ils sont immédiatement la cible d’une volée de flèches qui viennent se planter dans les mannequins ; il n’y a plus qu’à récolter le butin (2).

 

Zhuge Liang

 

Zhuge Liang pendant la bataille

 

John Woo a mis en scène cette séquence avec une telle grâce et un tel humour que c’est l’un des meilleurs passages du film : il n’est plus question de rivalité entre les deux hommes, Zhuge Liang cherche au contraire à aider son allié à acquérir les munitions dont il a besoin en montant son stratagème, c’est beaucoup plus logique. Surtout, il traite l’épisode avec une ironie qui frise le burlesque et transforme les amiraux de Cao Cao en brutes stupides dont

Zhuge Liang se moque à plaisir en prenant tranquillement une tasse de thé au milieu des flèches qui pleuvent sur les cibles désignées. John Woo n’a pas oublié qu’il a réalisé des comédies à succès.

 

Un scénario qui revisite l’histoire et le roman

 

John Woo nous sert là sa propre vision de l’histoire, qui mêle chronique officielle et éléments romancés. Ce sont surtout les personnages de Zhuge Liang et Zhou Yu qu’il a réinventés, coulés dans son moule personnel.

 

Présentés dans le roman, et généralement perçus dans l’esprit des Chinois, comme des rivaux (3),  il en a fait des amis que rapprochent leurs caractères, et même leur amour commun de la musique, ce qui nous

 

Zhuge Liang jouant du zheng

donne l’une des plus belles séquences du film – même si elle a tendance à être un peu trop répétée, ce

 

Zhou Yu

 

qui lui fait perdre ensuite son impact initial. Ce sont eux, finalement, qui mènent l’action, car ce sont eux les stratèges, eux dont dépend l’issue des combats, et qui représentent les valeurs (universelles autant que confucéennes) qui font les grands hommes : la loyauté et l’amitié, tout autant que le courage – valeurs qui sont celles, aussi, des héros  des autres films de John Woo, criminels, brigands ou policiers.

 

Quant à Liu Bei, il est présenté comme un chef un peu sur le retour, un peu en retrait,

déjà vieillissant, et d’autant plus humain : ses échecs successifs l’ont rendu quelque peu amer, mais il

reste inébranlable dans ce qu’il considère comme le devoir primordial du souverain : se soucier avant tout du bien du peuple.  Il s’oppose ainsi à Cao Cao dont l’ambition est telle qu’il est prêt à tout pour la satisfaire, y compris transmettre la typhoïde au camp adverse : on peut y voir, à la limite, une préfiguration de la guerre biologique.

 

Même les deux rôles féminins, finalement, loin de tirer le film vers la romance à quat’ sous, ont leur justification dans le scénario, même s’ils restent quand même difficiles à

 

 

Zhou Yu au combat

intégrer dans la trame d’une histoire qui se veut réaliste, et confinent par certains côtés à la mission impossible.

 

Un haut niveau artistique et technique

 

Xiao Qiao, épouse de Zhou Yu

 

On a dit de John Woo qu’il était un « surdoué de la violence surréaliste ». Il se donne à plein dans ce film. Il faut bien sûr reconnaître la totale réussite que sont les scènes de bataille, servies par des effets spéciaux bien maîtrisés, bien qu’elles soient, à mon sens, tout autant servies par la simple beauté presque surréelle, justement, des images, chaque vision de l’armée, et surtout de la flotte, donnant l’impression d’un tableaux ancien aux couleurs estompées, noyé dans une brume légère, jusqu’à la déflagration finale qui transforme l’écran en brasier infernal. Les scènes de bataille sont comme sorties d’un ancien manuel de stratégie, et une illustration visuelle des formations de combat de l’antiquité chinoise. Il faut mentionner le maître des décors, Tim Yip, celui qui a signé ceux de « Tigre et Dragon », près de dix ans auparavant, et avait pour cela reçu un oscar.

 

Ces scènes de bataille n’ont pas été dès plus faciles à tourner (3), mais l’effet est immédiat et assuré : c’est du superbe John Woo, du post gunfu ; le dernier quart d’heure est malgré tout assez long - mais une dernière pirouette, un dernier clin d’œil, hommage ironique à la grande tradition du kungfu, vient poser la signature finale, en quelque sorte, qui fait instantanément oublier le léger ennui précédent.

 

Le film est, d’abord et avant tout, servi par

 

La sœur de Sun Quan

une formidable pléiade d’acteurs (4). Le trio Cao Cao-Liu Bei-Sun Quan est remarquablement bien typé,

 

Confrontation

 

avec des caractères très tranchés qui correspondent bien à ceux de l’histoire, mais il est éclipsé par la superbe prestation du duo Tony Leung- Takeshi Kaneshiro, dans les rôles de Zhuge Liang et Zhou Yu, duo issu, lui, de l’imagination du réalisateur : un Zhuge Liang plus rêveur que son alter ego, plus lettré aussi, et c’est là finalement sa supériorité, mais dont l’entente tacite avec lui n’a  besoin que d’un regard pour s’exprimer.

 

Ces deux personnages et leur interprétation sont sans doute le meilleur atout du film, ce

sont eux qui lui donnent sa profondeur, et c’est certainement le grand mérite de John Woo de les avoir imaginés de la sorte. Ils donnent au film l’équilibre qui aurait pu lui manquer : ce sont les deux piliers autour desquels est construit le film.

 

Celui-ci est en effet remarquablement bien construit, alternant scènes d’action et scènes de réflexion, on pourrait presque dire parfois de méditation. Il faut savoir gré à John Woo d’avoir évité les aspects légendaires de l’histoire, en particulier concernant Zhuge Liang : le sien est un personnage beaucoup plus réaliste que celui du  roman, quelqu’un qui sait lire le ciel et en déduire les phénomènes météorologiques à venir, plutôt qu’une sorte de mage aux pouvoir

 

Plan de bataille

surnaturels, capables de changer jusqu’au sens du vent. 

 

Scène de combat

 

Avec « Red Cliff », John Woo désarçonne ses spectateurs pour les époustoufler ensuite, avec intelligence et brio, un sourire au coin des lèvres. C’est la consécration d’un auteur qui poursuit son œuvre en évoluant avec elle et avec son époque, et en se tournant maintenant vers le public chinois, en mandarin.

 

 

 

 

Notes

(1) On retrouve d’ailleurs un peu le même procédé, mais plus rapide et systématisé au début du film coréalisé par John Woo en 2010 : « Reign of Assassins ».

(2) C’est une anecdote tellement célèbre qu’elle a donné l’une de ces expressions proverbiales en quatre caractères dits chengyu dont un texte chinois est généralement truffé : « 草船借箭 » (« les bateaux de paille empruntent des flèches », pour exprimer l’idée que quelqu’un utilise la puissance de l’ennemi pour le combattre).

(3) Dans le roman, l’arrogance de Zhuge Liang finit par venir à bout de son rival. Zhou Yu rentre chez lui affligé, tombe malade, et, sur son lit de mort, a ces dernières paroles :

« 既生瑜, 何生亮 ? »  Yu étant là, pourquoi créer Liang ?

(4) Leur solution a été en fait extrêmement complexe. Le film devait sortir en Chine avant les Jeux olympiques, il était conçu dans le cadre des manifestations d’ego national qui les ont accompagnés. Il n’est sorti qu’après en raison des difficultés rencontrées avant et pendant le tournage, De dépassement en dépassement et d’incident en accident, John Woo a allègrement dépassé son budget, qui a atteint la somme mirobolante de 80 millions de dollars.

Outre la défaillance tardive de l’acteur Chow Yun-fat, remplacé par Tony Leung (on ne sort pas de l’univers de John Woo), le film a dû affronter des difficultés techniques qui ont parfois pris des dimensions ubuesques. Le producteur Terence Chang a expliqué en soupirant qu’ils avaient dû faire appel à des compagnies étrangères pour les effets spéciaux parce que la Chine n’avait pas encore l’expertise souhaitée dans ce domaine. Ils ont d’abord contracté une société de Hollywood ; mais leurs procédés auraient coûté tellement cher que le budget aurait explosé. Les producteurs de John Woo se sont alors tournés vers une équipe coréenne ; mais celle-ci avait une expertise très étroite : elle pouvait mettre le feu, mais pas l’éteindre ! Il fallut donc pour cela louer en plus les services du studio August First (le studio militaire spécialisé dans les films de guerre) …

 

(5) Principaux acteurs :

Cao Cao (曹操)                          Zheng Fengyi (张丰毅)

Sun Quan (孙权)                    Chang Chen (ou Zhang Zhen 张震)

Liu Bei (刘备)                         You Yong (尤勇)

Zhou Yu (周瑜)                      Tony Leung Chiu-Wai  (梁朝伟)

Zhuge Liang (诸葛亮)              Takeshi Kaneshiro (金城武)

Zhao Yun (赵云)                    Hu Jun (胡军)

Xiao Qiao (小乔)                    Lin Chiling ((林志玲)

Sun Shangxiang (孙尚香)         Zhao Wei (赵薇)     (soeur de Sun Quan)

 

 

Bande annonce pour les Etats-Unis

 

 

L’une des grandes scènes de guerre du film (sous-titres français pour l’unique dialogue)

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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