Accueil Actualités Réalisation
Scénario
Films Acteurs Photo, Montage
Musique
Repères historiques Ressources documentaires
 
     
     
 

Films

 
 
 
     
 

« Locust Tree Village » : très beau portrait féminin par la réalisatrice de « L’Orient est rouge »

par Brigitte Duzan, 17 janvier 2012

 

« Locust Tree Village », ou « Le village des acacias » (槐树庄) (1), est un film de la réalisatrice Wang Ping (王苹) adapté d’une pièce de théâtre révolutionnaire du dramaturge Hu Ke (胡可). Ecrite en 1959, en plein Grand Bond en avant,  la pièce a pour thème principal les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre la réforme agraire, puis la collectivisation, dans un petit village du nord de la Chine, de 1947 à 1957.

 

Il faut d’abord être familier avec l’histoire de la politique agraire chinoise de ces dix années pour bien comprendre les ressorts du scénario. Mais, au-delà de ce contexte spécifique, l’intérêt du film réside dans le traitement qu’en a fait la réalisatrice, en traçant un portrait émouvant d’une femme dévouée à la cause de la réforme, mais surtout en en faisant une grande figure maternelle qui rejoint celles de la littérature et du théâtre.

 

Affiche du film

 

Le contexte historique

 

Affiche sur la distribution des terres (发地照), 1948

(collection Landsberger)

 

La période couverte par le film part de la réforme agraire initiée dès 1946 dans les zones du nord déjà libérées par les forces communistes pour aboutir au système des communes au moment du Grand Bond en avant. La réforme s’est poursuivie en plusieurs étapes, et, une fois réalisée dans la totalité du pays, fut bientôt relayée par un processus progressif de collectivisation. Chaque étape fut marquée par une intense campagne de propagande pour mobiliser la population.

 

1946

 

Les premières mesures de réforme agraire sont lancées par Mao pour gagner à sa cause la masse de la population paysanne des zones libérées par l’Armée rouge. La terre et les biens des propriétaires sont expropriés et redistribués entre les foyers de façon aussi égalitaire que possible (2). En 1948, Mao déclare qu’environ un dixième des paysans chinois devraient être liquidés pour pouvoir réaliser la réforme agraire dans la totalité de la Chine.

 

 

Promulgation de la loi sur la réforme agraire

dans un village (1950)

1950-52

 

La modification du cadastre (1952)

 

La réforme agraire est l’une des premières entreprises du nouveau régime : la loi est promulguée le 30 juin 1950. Elle fut aussi sanglante que le laissait prévoir Mao en 1948. La population est classée en paysans riches, moyen-riches et pauvres ; les ‘propriétaires’ et les plus riches des paysans sont impitoyablement éliminés.

 

Mais la réforme fut conduite par le principe de lutte des classes, et bien plus dramatique qu’en Union Soviétique où c’est le NKVD qui

fut chargé d’arrêter et exécuter les impétrants. Mao chargea la population de le faire : ce fut un immense règlement de comptes. En outre, chaque village devait désigner au moins un propriétaire à éliminer, voire plusieurs, système de quotas que l’on retrouvera lors de la campagne contre les droitiers.

 

Mao a parlé de 800 000 propriétaires liquidés. C’est certainement une estimation conservatrice. Mais 300 millions de paysans bénéficièrent de la redistribution de quelque 47 millions d’hectares. En trois ans, la Chine était devenue un immense pays réduit à une classe unique de paysans pauvres.

 

En 1952, un slogan proclame :

全国土地改革已基本完成-中华人民共和国三年来的伟大成就

La réforme agraire est pratiquement achevée dans tout le pays – voilà l’immense réalisation accomplie en trois ans par la République populaire de Chine.

 

 

Affiche annonçant la réalisation de la réforme agraire dans tout le pays, 1952 (collection Landsberger)

1953-56

 

Affiche sur le programme ‘d’aide mutuelle’, 1953

(collection Landsberger)

 

Aussitôt commence le processus de collectivisation, mais très progressivement pour ne pas heurter la population à qui l’on vient de distribuer des terres – ce qui ne manquera cependant pas de se produire. Il faut noter d’ailleurs que les terres n’ont jamais été « données » aux paysans, ce qui posera d’autres problèmes bien plus tard…

 

En 1953 est mis en place un programme « d’aide mutuelle » (互助) qui doit permettre aux paysans qui ont de tout petits lopins de « s’entraider » en mettant leurs

ressources en commun. Une campagne est lancée pour sensibiliser les intéressés en s’appuyant sur

l’exemple de l’armée :

互助代耕多打粮军属生活过得强

L’aide mutuelle a facilité les labourages et accru les récoltes ; la vie des familles de militaires en a été renforcée.

 

Et en 1954 sont lancées les coopératives agricoles (农业合作社). Au bout de deux ans, en 1956, une campagne annonce le succès de l’opération :

农业合作化是让大家富裕的社会主义道路

La mise en place des coopératives agricoles est la voie socialiste qui rend tout le monde prospère

 

 

Affiche sur les coopératives (livraison des marchandises), 1954 (collection Landsberger)

 

1957

 

Affiche sur les succès du mouvement coopératif

en agriculture, 1956 (collection Landsberger)

 

La préparation du second plan quinquennal (1958-62) prévoit une industrialisation à outrance : ce sera le Grand Bond en avant (大跃进), accompagné d’une collectivisation qui doit permettre d’accroître les rendements agricoles. Les coopératives doivent se regrouper en vastes communes populaires (人民公社) où tout est collectivisé, y compris les cuisines.

 

En 1958, une vaste campagne est lancée pour mobiliser la population paysanne :

公社如巨龙, 生产显威风

La commune est comme un gigantesque dragon, la production est visiblement impressionnante.

 

C’est toute la vie qui doit être collectivisée/militarisée :

组织军事化,行动战斗化,生活集体化

Militarisez les organisations, mettez-vous sur le pied de guerre, collectivisez les activités quotidiennes

 

Le scénario du film « Le village des acacias », comme la pièce dont il est adapté, suit ces diverses étapes.

 

Un film qui évite la caricature

 

 

L’une des nombreuses affiches faisant l’éloge des communes, 1958 (collection Landsberger)

Le film reprend la trame générale de la pièce de Hu Ke, en présentant la réforme agraire comme une réalisation héroïque de quelques personnages dévoués à la cause de ce processus révolutionnaire parce qu’ils sont convaincus qu’ils peuvent, en l’appliquant, améliorer le sort des habitants de leur village, et, au-delà, participer positivement au développement du pays.

 

La réforme est donc évoquée sous ses aspects les plus positifs, à travers le personnage de la tante Guo, au centre du récit, et des ses efforts pour vaincre les résistances et réussir la réforme d’abord, puis la collectivisation. Mais Wang Ping en a fait un personnage féminin attachant, au-delà des portraits habituels d’héroïnes révolutionnaires, où l’on sent vibrer une corde sensible.

 

Un scénario complexe

 

L’histore commence en 1947, alors que, dans un village du nord déjà libéré par l’Armée rouge, le « village des acacias » (槐树庄) du titre, est organisée la réforme agraire. Deux villageois dirigent le mouvement sous la conduite du Parti : la tante Guo (郭大娘) et Liu Laocheng (刘老成). Ayant entendu dire que les biens familiaux ont été expropriés et distribués aux paysans, Cui Zhiguo (崔治国), le fils du propriétaire terrien Cui Laokun (崔老昆), qui avait eu la tante Guo pour nourrice, revient au village et pour tenter de s’opposer à la réforme. Mais en vain.

 

Six ans plus tard, soit en 1953, alors que la réforme agraire a été réalisée dans tout le pays et que commence le mouvement de création des coopératives, la tante Guo mène le combat pour la constitution d’une coopérative dans le village. Le processus ne se fait pas sans heurts, un certain nombre de paysans y étant opposés. Liu lui-même n’y est pas favorable au départ, mais se laisse finalement convaincre.  

 

On voit, à l’occasion, renaître les tendances de certains à accaparer les terres au détriment des plus faibles, dont un certain Li Mancang (李满仓) qui cherche à profiter de la situation en s’alliant avec Cui Zhiguo pour faire échouer le projet de coopérative. Ils suscitent une vague d’opposition à la tante Guo dans le village et demandent de nouvelles élections. Finalement, le dévouement de celle-ci est cependant reconnu par les villageois qui la réélisent triomphalement, confirmant ainsi la justesse de sa ligne politique.

 

Quelques années plus tard, en 1957, au moment du mouvement « anti-droitiers », Cui Zhiguo est condamné comme droitier et renvoyé … dans le village travailler sous la surveillance de la tante Guo. Peu de temps après, le village établit une commune et celle-ci est élue pour se rendre à Pékin à une réunion de travailleurs modèles.

 

Une figure maternelle emblématique

 

Il faut remarquer que la réforme dans le village ne fait aucune victime. Cependant, les personnages du film sont typés, mais non caricaturaux. Il faut reconnaître à Wang Ping de ne pas être tombée dans ce travers, ce qui est louable vu les conditions dans lesquelles elle travaillait. Même le personnage du propriétaire déchu reste humain : il semble sorti d’un film de Murnau et a l’air inquiétant d’un Nosferatu, filmé dans la même pénombre. Son fils, lui, frise la caricature, mais il fallait bien un méchant dans l’histoire.

 

C’est cependant autour du personnage de la tante Guo que tourne tout le film. Il répond aux critères des héros révolutionnaires des films de la période, qui seront ensuite développés de manière bien plus systématique par Jiang Qing lors de l’élaboration des « opéras modèles ». Parallèlement au grand Bond en avant, et à la rupture avec l’Union soviétique, un nouveau style avait été édicté par Mao, pour remplacer le’ réalisme socialiste’ par « une combinaison de réalisme révolutionnaire et de romantisme révolutionnaire » (革命现实主义与革命浪漫主义相结合).

 

Le traitement de la tante Guo est à la fois réaliste et romantique. Réaliste par sa description de sa lutte pour faire triompher la ligne du Parti, et contribuer ainsi à l’amélioration des conditions de vie des villageois ; le film se veut une image des difficultés rencontrées sur le terrain à chaque étape de la réforme, et des efforts méritoires réalisés par une poignée de gens pour les surmonter.

 

La mère, de Shi Hui, 1942

 

Mais il y a aussi une touche de romantisme dans ce personnage ; il est vrai qu’elle suggère l’image de la révolutionnaire qui se sacrifie à la cause, mais elle reste une femme du peuple, proche du peuple, une femme foncièrement humaine dans ses rapports avec les autres villageois, même Cui Zhiguo dont elle a été la nourrice ; enfin, elle n’est pas indemne : le malheur la touche aussi, personnellement, puisqu’elle apprend vers la fin du film que son fils – engagé dans l’armée et dont elle n’avait plus de nouvelles – est en fait mort au combat. Ses larmes la rapprochent alors de toutes les mères chinoises affligées par la même perte. Ce n’est pas une héroïne d’airain.

 

Il s’agit d’une grande figure de mère révolutionnaire, qui rappelle bien des figures analogues de la littérature et du cinéma : d’abord celle du roman « La mère » (《母亲》)  de

Gorki, qui était en Chine un grand classique, mais aussi celles de films éponymes : celui de 1949  réalisé par Shi Hui (石挥), ou encore celui de 1956, de Ling Zifeng (凌子风).

 

Mais ce personnage féminin doit toute sa finesse et sa profondeur à l’actrice qui l’interprète, tout le film repose sur elle.

 

Une actrice parfaite dans le rôle

 

L’actrice s’appelle Hu Peng (胡朋). Née en 1916, elle avait été une actrice de théâtre avant de commencer une carrière au cinéma.

 

C’est en 1938 qu’elle a commencé, à Yan’an, en jouant dans la troupe ‘anti-japonaise’ de la région militaire frontalière de Jinchaji (晋察冀边区). En 1949, elle entre au studio du Nord-Est. En 1950, elle y joue dans « La fille aux cheveux blancs » (白毛女), rôle qui, bien que secondaire, lui vaut un prix du ministère de la culture. En 1952, elle passe au studio de Pékin où elle travaille jusqu’en 1955. Elle entre alors à l’Académie du cinéma de Pékin nouvellement créée pour parfaire sa formation d’actrice. Quand elle termine, en 1958, elle est nommée directrice de la troupe de théâtre du groupe d’action culturelle de la région militaire de Pékin, avec grade de colonel. Mais elle poursuit aussi sa carrière d’actrice.

 

Hu Peng

 

Hu Peng dans Le village des acacias (à g.)

 

Elle excelle dans les rôles de paysannes solides, et de mères révolutionnaires, comme, en 1959, dans « Le détachement Hui » (《回民支队》) de Li Jun (李俊)/ Feng Yifu (冯一夫). Elle était très populaire auprès du public dans ce genre de rôles qui lui avaient valu le surnom de « mère héroïque » (英雄母亲”), mais celui de la tante Guo du « Village des acacias » est certainement un summum de sa carrière.

 

Il faut dire que, au printemps 1945, elle avait épousé à Yan’an … le dramaturge Hu Ke (胡可), celui-là même qui est l’auteur de la pièce dont le

film est adapté (3). Il y a donc comme une symbiose naturelle entre l’actrice et son rôle, comme si l’un avait été inspiré par l’autre, et l’avait inspiré en retour. Elle ressemble aussi beaucoup à Wang Ping elle-même…

 

Elle est morte d’un cancer fin décembre 2004, à Pékin, à l’âge de 88 ans. Hu Ke lui a survécu, la tante Gao aussi…

 

Mais pourquoi ce film en 1962 ?

 

Au début des années 1960, la Chine traverse une crise profonde, économique et sociale, doublée d’une catastrophe humanitaire. En 1961 commence une période de rajustement économique sous les auspices de Liu Shaoqi (刘少奇),

 

Hu Ke dans son bureau en 2004

Deng Xiaoping (邓小平) et Chen Yun (陈云) ; Mao se retire à Shanghai pour tramer  son retour.

 

Pourquoi, dans ce climat de relative détente, produire un film louant une politique dont on vient enfin de reconnaître les conséquences désastreuses et alors que l’on commence à démanteler les communes ?

 

Rajustement et climat de détente

 

Le virage s’effectue en douceur, mais la politique de rajustement touche tous les secteurs, y compris les domaines artistiques et littéraires, et le cinéma en particulier. En juin 1961, Zhou Enlai lui-même annonce le changement de donne. En août a lieu une grande conférence qui réunit les professionnels du secteur et conclut sur la nécessité, pour répondre aux attentes du public, de diversifier les thèmes des films et d’adapter plus d’œuvres littéraires et dramatiques classiques.

 

Par ailleurs, en octobre 1961, le vice-ministre de la culture Xia Yan (夏衍) profite du climat de détente pour publier, dans le très officiel « Drapeau rouge » (红旗), un long article dans lequel il critique à mots couverts la politique quantitative en vigueur pendant le Grand Bond en avant, et préconise, en s’appuyant sur Marx et Lénine plutôt que Mao, de porter maintenant toute son attention sur la qualité artistique des films.

 

Rappel du passé révolutionnaire pour redonner confiance

 

Même si le ton restait prudent, tout cela fit naître un immense espoir. Mais, en même temps, le Parti avait besoin de redonner confiance dans les acquis de la Révolution. Le peuple était exsangue, décimé par la famine, il fallait lui insuffler un nouvel espoir, mais aussi une nouvelle ferveur. Cela passait par un rappel des luttes et des grandes valeurs révolutionnaires, avec un fort contenu émotionnel.

 

« Le village des acacias » est à replacer dans ce contexte, et ce n’est pas pour rien qu’il a été réalisé au studio de l’armée, le studio du 1er août, le spécialiste des films à fort contenu idéologique.

 

 

Le film (VO non sous-titrée)

 

 

Notes

(1) Village des acacias (plutôt que des sophoras, comme on pourrait également traduire) : c’est clair dès la première image.

(2) Voir le livre de William Hilton « Fanshen » : Hilton est un personnage extraordinaire qui a vécu la réforme agraire dans le petit village de Zhangzhuangcun (张庄村), dans le Shanxi. Marxiste convaincu, il en fait une description et une analyse très positives. Une fois rentré aux Etats-Unis en 1953, il sera victime du Mac Carthysme, privé de passeport et de poste universitaire, et se fera petit fermier pour survivre, avant d’être « réhabilité » quinze ans plus tard. Autre Révolution culturelle à ne pas oublier…

« Fanshen : a Documentary of Revolution in a Chinese Village », par William Hilton, publié en 1966, réédité à diverses reprises, et en 2008 chez Monthly Press Review.

(3) Hu Ke (胡可) est né en 1921 dans le Shandong. A la fin de ses études secondaires, il s’en engagé dans la guerre de résistance contre le Japon, arrivant à l’automne 1937 dans la zone militaire de Jinchaji (晋察冀边区) où il a rencontré Hu Peng. Pendant la guerre, il a écrit des pièces de ‘théâtre parlé’ huaju (话剧) qui ont été interprétées par les troupes itinérantes de l’époque. Après la Libération, il a été nommé au département politique de l’Armée de Libération, puis est devenu le directeur de l’Académie des beaux-arts de l’Armée, tout en continuant à écrire.

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Qui sommes-nous ? - Objectifs et mode d’emploi - Contactez-nous - Liens

 

© ChineseMovies.com.fr. Tous droits réservés.

Conception et réalisation : ZHANG Xiaoqiu